En ce nouveau dimanche, alors que les festivaliers cannois se remettent à peine de leurs émotions dues à DSK dit “Putman”, il me sera permis d’évoquer ici une grande dame du design, autrement distinguée, considérée comme l’incarnation du chic à la française : Andrée Putman.


– “Quoi, notre salle de bains en damier noir et blanc ? Et tu l’as laissée faire ?

Mais chérie, on ne peut en vouloir à Andrée, tu sais bien que c’est sa marque de fabrique !”

Putman, Andrée : «On a beau avoir lu des dizaines et des diazines d’articles à son sujet, elle reste insondable. Qui est vraiment Andrée Putman ? Une décoratrice de génie, une people, une faiseuse, une caution chic ? Plus on essaie de cerner sa personnalité, plus elle nous échappe. Et si elle fait partie des signatures les plus médiatiques et réputées du design français, c’est bien grâce à sa personnalité unique, qui a aussi bien marqué le milieu de la nuit que celui de la mode et du design. Sa vie est un roman. Elle aurait dû devenir pinaiste, comme le rêvait sa mère, elle devient architecte d’intérieur, mais à cinquante ans passées… sPour tenter de percer son mystère, un petit détour par sa biographie s’impose.                                                                                                                                                                               L’enfance, d’abord, se déroule sous les cloches de Saint-Germain-des-Près dans un milieu d’intellectuels et de grands bourgeois fantasques. Elle joue toute la journée au piano et compose très vite ses propres morceaux. Sa mère fait d’elle et de sa soeur «des petits monstres d’enfants prodiges». Mais à vingt-deux ans, elle déclare qu’elle renonce «à la magnifique prison de la musique». Elle ne veut pas de cette vie de solitude et de privation, elle veut explorer le monde. Ce dernier commence en bas de chez elle, au café de Flore, où elle croise Juliette Gréco, Sartre et Beckett, autant de personalités qui la fascinent. Elle démarre coursier au Femina grâce à une relation de sa grand-mère, puis devient rédactrice pour différents magazines, dont L’oeil pour lequel elle crée aussi des natures mortes (des «archipels d’objets», dit-elle). Sa vie change quand elle épouse Jacques Putman, brillant critique et marchand d’art, ami de Beckett et de Bram van Velde. Avec lui, elle devient une grande mondaine, reçoit le Tout-Paris et commence à jouer les décoratrices pour des amis. C’est aussi la période Prisunic et la rencontre avec l’équipe Mafia. Pour le style Prisu, elle fait éditer des lithos d’artistes à 100 francs. Mais c’est à la suite de son divorce qu’elle va se placer sur le devant de la scène. Collectionneuse, chineuse invétérée, elle décide de rééditer des chefs-d’oeuvres méconnus du design comme les meubles d’Eileen Gray ou la petite chaise en métal de Robert Mallet-Stevens. Elle négocie les droits avec les ayants-droits et lance la fabrication sous le label Ecart. Le succès est immédiat. Son nom commence à circuler. Mais c’est New-York qui fait d’elle une créatrice. Sur un malentendu. Les Américains pensent qu’elle est connue en France et lui confient le chantier de l’hôtel Morgan’s de New-York. Bref, sa carrière dans le design démarre alors qu’elle a cinquante-quatre ans. L’hôtel Morgan’s, donc, la rend célèbre. Elle y prône le luxe sans chichis, une rigueur esthétique héritée de son amour pour le modernisme. Son décor n’a rien d’étonnant. Seule sa salle de bains en damier noir et blanc (une idée originale de Karl Lagarfeld pour sa maison de Rome décorée par Putman à la manière du style Sécession, selon ses désirs) fait date et devient un classique du genre. Dans les chambres de l’hôtel, elle accroche des photos noir et blanc de Mapplethorpe. Ce n’est pas grand-chose et pourtant, c’est déjà un geste fort. Un parti pris.                       Andrée Putman, c’est surtout un oeil, un regard sur la culture au sens large, sur des objets, un art des mélanges des arts. Et un goût qui fait autorité. Dans les années 1980, son nom devient le symbole d’une élégance, une caution de chic absolu. Celle qui s’affiche dans les médias, dans les soirées mondaines, les vernissages, symbolise la «starification» du design. Ses anciens collaborateurs n’hésitent pas à dire qu’elle est «la meilleure RP de Paris», capable de vendre n’impote quoi. Car elle a le don du langage. Un don rare de captiver les gens avec des histoires. Avec Starck, elle est une des rares designers à bénéficier d’une réputation internationale et à pouvoir faire reposer des projets sur son nom. Depuis le début des années 2000, sa santé déclinant, la designer a passé la main à ses enfants, Cyrille (célèbre pour son livre-témoignage sur son passé de drogué) et Olivia (architecte-paysagiste de formation), qui dirige aujourd’hui le Studio Putman et se veut la garante et l’héritière du style Putman. Mais saura-t-elle succéder à sa mère en donnant un second souffle à la «marque»…? André Putman a surtout eu le talent de se façonner un personnage des plus intriguants sur lequel repose pour beaucoup, son aura et sa création.»

Andrée Putman en 2009. Interview dans le n°69 du magazine IDEAT.

Andrée Putman en 2009. Interview dans le n°69 du magazine IDEAT.

Hôtel Morgans, New York. Design conçu par Andrée Putman en 1984

Hôtel Morgan’s, New York. Design conçu par Andrée Putman en 1984

 

Hôtel Morgan's, New York.

Hôtel Morgan’s, New York

Aménagement intérieur, Studio Putman, Tanger 2007

Aménagement intérieur, Studio Putman, Tanger 2007

 

Aménagement intérieur, Studio Putman, Bruxelles 2008

Aménagement intérieur, Studio Putman, Bruxelles 2008

Aménagement intérieur, Studio Putman, Saint-Sébastien, 2004

Aménagement intérieur, Studio Putman, Saint-Sébastien, 2004

 

Scénographie « LE TEMPS DES COLLECTIONS », MUSEE DES BEAUX ARTS DE ROUEN,2014. Réalisation Studio Putman

Scénographie « LE TEMPS DES COLLECTIONS », MUSEE DES BEAUX ARTS DE ROUEN,2014. Réalisation Studio Putman

Scénographie « LE TEMPS DES COLLECTIONS », MUSEE DES BEAUX ARTS DE ROUEN, 2014. Réalisation Studio Putman

Scénographie « LE TEMPS DES COLLECTIONS », MUSEE DES BEAUX ARTS DE ROUEN, 2014. Réalisation Studio Putman

 

Table ouverte, édition Studio Putman

Table ouverte, édition Studio Putman

Espace public, Stade de France, 2008. Réalisation Studio Putman

Espace public, Stade de France, 2008. Réalisation Studio Putman

Sur ce, je vous laisse retourner à vos habitudes dominicales, fussent-elles de nature «putmaniennes» ou non ! Mais après m’avoir lu, bien sûr ;-))

Les définitions sont extraites de l’excellent livre : Les 101 Mots du design à l’usage de tous – Marion Vignal & Cédric Morisset, Archibooks.

F.B.