La suite de mon interview avec Stéphane Degroisse, chargé du site Internet et des nouveaux médias du Musée des Beaux-Arts de Lyon. Dans cette partie, Stéphane nous explique l’évolution et la stratégie suivie par le musée pour la création d’applications dédiées aux expositions.

Art Design Tendance : Comment justement un musée comme le vôtre, qui couvre la période Antique jusqu’à l’art moderne, organise-t-il  ses parcours thématiques ?

Stéphane Degroisse : Rappelons d’abord que notre service de médiation culturelle est une référence en France. Depuis très longtemps, il propose des visites commentées suivant des thématiques particulières : l’eau ou le portrait/autoportrait, regards croisés art et sciences, art et musique…). Les médiateurs travaillent aussi avec les publics éloignés, par le biais d’association (ATD quart-monde, Franca, hôpital St Jean de Dieu, établissement pénitencier de Roanne…).

Il y a 2 ans nous avons lancé une seconde application (Appli Parcours thématiques) complémentaire à l’Application Musée des Beaux-Arts de Lyon qui, justement, propose une visite des collections principales à travers des thèmes. Ces parcours transversaux (exs : les couleurs/noir, les fleurs, les femmes, les chefs-d’œuvre) ont d’abord été conçus pour un format papier et sont disponibles à l’accueil. De plus, nous sommes à même de répondre à des demandes « sur-mesure », si vous souhaitez une visite guidée sur le thème de la lumière en peinture, le parfum dans l’histoire de l’art, nous pouvons l’organiser.

Nous avons donc repris ces contenus thématiques pour les adapter dans notre application avec un service de géolocalisation. Nous y avons rajouté de l’interactivité, avec des animations, du zoom dans l’image, des suppléments sonores, etc. Nos applications sont donc développées à partir d’un savoir existant que nous capitalisons avec le support numérique, avec le souci constant d’éviter un copier/coller du papier vers l’écran. Cela nous permet de toucher un public plus varié. (Depuis mai 2015, l’appli Parcours Thématiques a été téléchargée près de 1.500 fois. )

Aujourd’hui, nous nous posons la question de « fusionner » ces 2 applications dans un souci de cohérence. Nous testons en ce moment la mise à disposition de tablettes à l’accueil du musée qui proposent les 2 applications. Nous constatons que les gens ne perçoivent pas clairement la différence entre les 2 parcours de visite. Second enseignement : les gens préfèrent encore l’audioguide traditionnel, la tablette effraie encore un peu l’utilisateur : par sa prise en main, moins intuitive et simple qu’un audioguide.

Découvrir les chefs d'oeuvre et s'instruire grâce au numérique. Un pari relevé par le Musée des Beaux-Arts de Lyon

Découvrir les chefs d’oeuvre et s’instruire grâce au numérique. Un pari relevé par le Musée des Beaux-Arts de Lyon

A.D.T. : Justement, ne pensez-vous pas que l’utilisateur ne préfère pas télécharger les applications depuis son propre smartphone ?

S.D. : Pas forcément, d’autres contraintes s’imposent : le téléchargement ou la connexion wifi dans l’ensemble des pièces du musée. Pour répondre précisément à votre question de départ, je pense que l’ergonomie d’une application doit être pensée différemment, selon qu’elle s’utilise avant, pendant ou après une visite au musée,  contrairement à ce que nous avions imaginé en 2011.

Lorsque vous êtes dans le musée, l’application doit être pratique, axée sur l’expérience de l’utilisateur et forcément, l’ergonomie s’en trouve modifiée. Pas besoin d’infos pratiques, de réserver en ligne ou de voir les salles virtuelles, car vous vivez réellement le musée.

Puisque les applications rentrent en concurrence avec l’audioguide, nous réfléchissons à la cohérence à donner à l’ensemble de nos outils. Nous proposons des supports multiples pour visiter le musée entre le plan papier des collections, notre application institutionnelle qui explique les  5 grandes collections du musée, l’application parcours thématiques, les supports papiers pour les expositions temporaires comprenant par exemple des livrets enfant, etc.

Ceci pour dire que si nous veillons à renseigner un public très varié, il faut veiller à l’équilibre des propositions, à leur cohérence.

Pour améliorer nos propositions, nous travaillons sur l’expérience des visiteurs. Nous allons lancer prochainement une étude de publics sur ces outils, même si ce type d’étude coûte cher, nous avons besoin d’un retour de nos visiteurs. C’est pourquoi nous concevons quelquefois des questionnaires sur Facebook ou nous  interrogeons  les gens à la sortie d’une exposition. De façon générale, nous testons et ajustons ensuite.

A.D.T : Parlons des applications dédiées aux expositions temporaires, comment fonctionnez-vous ?

S.D. : Nous avons réalisé la 1ère application pour une exposition temporaire en 2012, à l’occasion de l’exposition Emile Guimet et l’Egypte Antique, nous avons enregistré 600 téléchargements. Pour l’exposition Soulages en 2012, nous avons aussi conçu une application téléchargée 2.500 fois et enfin, pour l’événement Joseph Cornell et les surréalistes à New-York, l’application a été téléchargée 2.800 fois.

Nous avons décidé de suspendre ces applications mobiles sur Apple et Android. Loin d’être rentables (en région), ces applications coûtent cher et par rapport à la fréquentation globale d’une exposition, ne touchent pas un public très suffisant pour continuer à investir du temps et des budgets qui sont de plus en plus contraints. En moyenne, une application revient à 7 €/téléchargement pour le MBA ! Or, de mon point de vue, en région, on ne peut pas se permettre de proposer une application payante. Le développement d’une application dédiée, si elle est très positive pour l’image de l’institution, reste extrêmement coûteux, de l’ordre de 15.000 €. Les grands musées parisiens peuvent se permettre de lancer une application payante, car la fréquentation est sans commune mesure avec un musée de région, sans compter la part très importante des touristes qui peuvent télécharger une appli pour 5€. Pour nous c’est plus difficile. Je pense aussi que les mentalités ne sont pas encore assez prêtes pour un contenu payant.  Il faut que l’application apporte une réelle plus-value par rapport à l’audioguide.

À titre d’exemple, nous pouvons réaliser des économies d’échelle en travaillant avec le même prestataire sur plusieurs projets, ce qui nous reviendra moins cher mais on reste, dans ce cas, dans une fourchette de prix comprise entre 10.000 et 13.000 euros pour le développement complet d’une application, en responsive design, développée sur Apple et Android. Pensez aussi que si l’on souhaite réaliser en plus un teaser vidéo de l’exposition, nous paierons également un prestataire externe.

Nous avons proposé ensuite non pas des applications à télécharger sous Apple ou Android mais des applis de type web app. Une web app est une application développée pour un smartphone ou une tablette mais qui est consultable avec une connexion internet (wifi ou 4G). Une web app ne nécessite pas d’être téléchargée sur les plateformes Appstore pour les mobiles de marque Apple ou sur Google Play Store pour Samsung. La web app (on pourrait dire le site mobile dédié à l’expo) est consultable et téléchargeable quelle que soit la marque du matériel mobile, ce qui représente un progrès dans la démocratisation de l’accès à du contenu culturel.

Sur la web app, vous retrouvez l’audioguide en ligne, même si l’ergonomie n’est pas aussi soignée que sur une appli Apple par exemple. Il s’agit donc d’une solution embarquée qui présente aussi l’avantage d’un fichier beaucoup plus léger que les applications téléchargeables classiques.

Ce développement nous a coûté 4.000 € en comparaison des anciennes applications à 12.000 €. Nous aurions aimé évidemment continuer de proposer des applications plus sophistiquées, mais nous devons tenir compte des budgets qui ont plutôt tendance à diminuer. Nous sommes responsables et travaillons avec ces contraintes budgétaires.

La Web App ou l'Audioguide en ligne, ici lors de l'exposition consacrée à la collection Jacqueline Delubac, oeuvre de Miró

La Web App ou l’Audioguide en ligne, ici lors de l’exposition consacrée à la collection Jacqueline Delubac, oeuvre de Miró

Nous testons sur l’exposition actuelle (Exposition Autoportraits, de Rembrandt au selfie) un partenariat avec l’appli izitravel qui proposent des visites audioguidées géolocalisées dans les grandes villes. Lyon est très bien représentée avec les visites Unesco, Vieux Lyon, Traboules, etc. En un an, avec deux audioguides (chefs-d’œuvre et enfants), nous avons atteint le nombre de 18.000 téléchargements (de juin 2015 à avril 2016). Nous intégrons nous-mêmes le contenu – via un CMS très simple – et venons d’ajouter une version anglaise et une version chinoise à l’audioguide chefs-d’œuvre.
Concernant les derniers chiffres statistiques de consultation, l’audioguide de l’exposition Autoportraits a été consulté 2.800 fois en 6 semaines… 

L’évolution de l’offre numérique culturelle en direction des touristes s’étoffe, évolue, nous demeurons attentifs à ces évolutions.

Stéphane Degroisse me présente la version web app de l’exposition Renaissance. À la bande son de l’audioguide (2H00 de contenu), s’ajoute un parcours express (pour s’adapter aux visiteurs pressés, entre midi et deux par exemple) d’1h 15 mn, soit de quoi grandement compléter sa visite !

Fin du 3e épisode, à suivre…

Bande-annonce de l’exposition Autoportraits, de Rembrandt au selfie, du 25 mars au 26 juin 2016. Le musée est également très présent sur YouTube.