2013 est un grand cru pour le Musée d’Art Contemporain de la ville de Bordeaux. Avec flamboyance et pertinence dans sa programmation, l’institution bordelaise fête cette année 40 années de soutien et de mise en avant de l’art contemporain. Son point fort : un espace d’exposition unique en France, l’entrepôt Lainé.  Artdesigntendance et le blog de Tonio Libero ont voulu profiter de l’occasion pour faire le point avec Blaise Mercier, responsable des Relations Extérieures, Presse et Communication du CAPC. Avec des initiatives de plus en plus audacieuses des musées dans l’utilisation des technologiques numériques, nous avons aussi voulu tâter le terrain de ce côté-ci…

Blaise Mercier bonjour, merci de recevoir Artdesigntendance et le Blog de Tonio Libero. C’est une année particulière pour le CAPC qui fête ses quarante ans, pouvez-vous nous dire en quelques mots quelle est l’identité de ce musée ?                        C’est une identité multiple, en particulier dû au fait qu’à l’origine, avant de devenir un Musée, notre institution était un Centre d’Arts Plastiques – dénomination conservée-, et avait donc pour vocation de produire de l’art. Cette notion de lieu qui produit a été conservée.

Quelles sont les missions du CAPC ?                                                                                                                                                            Le musée a trois missions. Premièrement, une mission scientifique. Conserver et restaurer les œuvres d’art contemporaines est essentiel. D’ailleurs ce mois-ci nous recevons une mission scientifique pour restaurer l’œuvre de Richard Long, White Rock Line, qui se trouve sur le toit du musée. Les techniques de conservation et de restauration évoluent vite, surtout dans l’art contemporain, c’est passionnant. Par exemple, saviez-vous que les œuvres en néon sont l’affaire de spécialistes ? Ce genre de questions ne se posait pas il y a quelques décennies. Ensuite, une mission de recherche. Le musée essaie de répondre à la question suivante : « Qu’est-ce que l’art contemporain aujourd’hui ? ». Nous avons, pour répondre à cette question, un commissaire conceptuel qui nous appuie dans cette démarche. Le CAPC a un fort ancrage dans le présent, cette question nous nous la posons en permanence et ce que nous montrons doit tenter d’y répondre. Enfin, une action bien entendu à l’adresse des publics.

Récemment, nous avons rencontré Hervé Percebois, conservateur de la collection du Musée d’Art Contemporain de Lyonqui nous a parlé de ses choix d’acquisition. Quelle est la politique du musée à cet égard ?                                                 Tout d’abord, en termes de chronologie, le CAPC acquiert des œuvres qui n’ont pas été produites avant 1969. Nos collections embrassent les quarante, cinquante dernières années. Beaucoup d’œuvres sont acquises suite à une exposition du musée.

Avouez-le, le CAPC dispose d’un lieu atypique qui sort de la configuration classique d’un musée d’art contemporain ? Effectivement, l’entrepôt Lainé, autrefois un ancien magasin de denrées coloniales, confère au lieu d’exposition une identité très forte. Contrairement à nombre d’espaces d’exposition, le CAPC est un « anti-white cube ». En revanche, Il faut des artistes capables de résister à la force du lieu. De façon paradoxale, une œuvre monumentale peut passer complètement inaperçue dans le lieu alors qu’à l’inverse, une petite œuvre peut aspirer l’espace ! Le travail de certains artistes se prête très bien au lieu, je peux par exemple citer la spectaculaire installation de miroirs réalisée par Daniel Buren en 1991 : Arguments topiques qui est, pour beaucoup, une des meilleures expositions jamais réalisée du travail de l’artiste.

1973-2013 : quarante années d’activisme dans l’art contemporain, pas facile de choisir les artistes programmés durant cette année… Quel est le sens de de la programmation 2013 du  CAPC ?                                                                                                   Nous avons commencé par nous poser la question : qu’est-ce qu’être un musée d’art contemporain en 2013 ? De notre point de vue, la réponse est : un musée du présent. C’est pourquoi nous avons donné carte blanche à de jeunes artistes comme le duo Pauline Boudry & Renate Lorenz ou encore David Lieske qui a mis fin à  sa carrière d’artiste visuel en 2012 et gère aujourd’hui les informations et les images que son œuvre génère. A ce titre, il explore des questions très actuelles sur l’identité permanente de l’artiste. Nous ne souhaitions vraiment pas verser dans la nostalgie pour ce quarantième anniversaire. Ainsi, nous avons demandé à Didier Arnaudet, critique d’art et compagnon de route du CAPC depuis le début de son histoire, à concevoir une exposition-anniversaire avec le regard actuel du témoin de la mémoire vive du musée. Nous restons également fidèles au thème annuel défini par le musée, à savoir la question de l’identité. La rétrospective consacrée à Sylvia Sleigh : un œil viscéral, interroge la représentation du genre, idem pour la conférence de Beatriz Préciado –Voir le genre / voir le sexe donnée le 5 juin 2013.  Enfin, Markus Schinwald est un artiste contemporain capable « d’habiter » la nef du CAPC avec ses sculptures et ses installations mécaniques remarquables.

Pour reprendre les termes de Lawrence Lessig, professeur à Harvard, fondateur de Creative Commons et du Standford Center For Internet & Society, nous sommes à un tournant dans la pratique muséale. Nous passons de la « read-only » culture – le visiteur est passif devant l’œuvre d’art, les explications lui sont fournies – à la « read-write » culture – le visiteur participe et interagit avec l’exposition – ; comment vous, CAPC, percevez-vous ce tournant dans la pratique de visite des musées ?                                                                                                                                                                                                          Je suis en charge de la stratégie digitale du musée et, à ce titre, j’observe et confirme ce renversement des pratiques. La donne a changé, les gens sont éduqués, informés, la communication descendante classique à destination du public est désormais insuffisante. Nos visiteurs analysent les images et participent au débat artistique.                                                                      

Comment êtes-vous organisés pour répondre à ces nouvelles pratiques ?                                                                                       Nous avons changé nos pratiques de travail au sein du musée. Les agents s’investissent dans la communication à destination des publics en utilisant les réseaux sociaux. Ils y sont fortement encouragés. Des étudiants agiles avec les nouveaux médias numériques viennent aussi temporairement renforcer nos équipes. Je dirais que nous sommes aujourd’hui en pleine mutation sur ce sujet, nous avançons et testons, le personnel des agents du musée est partie prenante dans ce projet de communication.

La présence sur les réseaux sociaux du musée suit-elle une stratégie ?                                                                                           Oui, nous axons beaucoup notre communication éditoriale sur les coulisses du musée. Nous essayons ainsi de faire comprendre comment fonctionne un musée. Par exemple, nous avons expliqué comment nous avions pu hisser une œuvre de Mario Merz – une voiture-, au 2ème étage. Notre mission, sur les réseaux sociaux, est aussi pédagogique. Lorsque l’artiste luxembourgeois Michel Majerus installe une gigantesque rampe de skateboard dans la nef, nous expliquons qu’il s’agit d’une œuvre d’art qui s’apparente à une rampe de skateboard et non une rampe adaptée pour l’art ! Nous privilégions Facebook , qui permet d’interagir avec le public. Les étudiants sont par exemple d’excellents prescripteurs pour relayer les événements du musée. Qui plus est, c’est un public aguerri à l’utilisation des réseaux sociaux.

Quelle est votre position sur le droit à photographier durant une exposition ?                                                                               Nous considérons que c’est une bataille perdue d’avance que d’interdire au visiteur le droit de photographier les œuvres. Nous laissons faire et je trouve cela d’ailleurs formidable.

De plus en plus de musées et galeries proposent des dispositifs numériques durant la visite d’une exposition. Développez-vous ce « type » de visite ?                                                                                                                                                                            Nous donnons déjà accès aux œuvres de la collection sur notre site Internet, les internautes peuvent aussi se faire une idée d’une exposition grâce à des aperçus photographiques des œuvres. Concernant des applications mobiles, nous sommes en pleine réflexion sur le sujet. Des questions se posent : que faut-il montrer ?, jusqu’à quel point proposer des visites virtuelles ? Le sujet mérite réflexion. A ce titre, nous suivons les travaux de la communauté museogeek francophone. Les projets Museomix et MuzeoNum  nous intéressent. Nous suivons également le CLIC France – Club Innovation et Culture France –.

Ne pensez-vous pas qu’à force de vouloir  tout montrer  sur le web, cela se fasse au détriment du plaisir de la visite réelle ? Autrement dit, quid du débat IRL vs IVL ?                                                                                                                                               Oui, tout à fait. Nous sommes vigilants sur ce point. Pour moi, l’interface virtuelle ne doit pas remplacer l’expérience avec le lieu. D’ailleurs, avec un endroit comme le nôtre, comment pourrait-on faire autrement ? Au CAPC, nous avons toujours fait en sorte que les gens se perdent dans la visite du lieu (nous confirmons). De même, lorsque nous annonçons une exposition, nous faisons en sorte de laisser une place au mystère de la découverte in-situ du travail de l’artiste. Lorsque nous avons préparé l’exposition de Markus Schinwald par exemple, je n’ai pas voulu tout découvrir, tout de suite, c’eut été un mauvais calcul.

Avez-vous en tête des modèles de communication parmi les musées ?                                                                                             J’aime beaucoup ce que fait le Walker Art Center de Minneapolis sur son site Internet, c’est innovant et passionnant ! Allez y faire un tour…                                                                                                                                                                                                                 Nous n’y manquerons pas, merci ! Nous vous remercions pour cet entretien Monsieur Mercier.

F.B. + Toniolibero

Propos recueillis le 29 juin 2013

Photos ©François Boutard

 

CAPC, vue sur la nef principale, en hauteur accrochages de l'exposition Markus Schinwald

CAPC, vue sur la nef principale, en hauteur accrochages de l’exposition Markus Schinwald

CAPC, vue sur la nef depuis le premier étage

CAPC, vue sur la nef depuis le premier étage

CAPC, nef principale

CAPC, nef principale, à gauche les étranges marionnettes mécaniques de Markus Schinwald

 

 

Coins et recoins du CAPC, effectivement on peut s'y perdre avec bonheur !

Coins et recoins du CAPC, effectivement on peut s’y perdre avec bonheur !

CAPC, les inquiétantes marionnetets de Markus Schinwald

CAPC, les inquiétantes marionnettes de Markus Schinwald

 

 

CAPC, Au premier étage une invitation à rentrer dans l'exposition La Sentinelle

CAPC, Au premier étage une invitation à rentrer dans l’exposition La Sentinelle

CAPC, à l'étage, exposition La Sentinelle

CAPC, à l’étage, exposition La Sentinelle

CAPC, toit du musée, Richard Long, White Rock Line, 1990

CAPC, toit du musée, Richard Long, White Rock Line, 1990