Gonzague Gauthier : « Nous guidons et aidons les internautes à produire par eux-mêmes quelque chose d’intéressant »

Artdesigntendance, en partenariat avec le blog de Tonio Libero s’interroge sur les nouvelles pratiques numériques des institutions culturelles. Dans un secteur en profonde mutation, nous avons souhaité aller à la rencontre des professionnels de la communication des musées. Nous les avons interrogés sur la manière dont les musées intègrent et perçoivent les nouveaux outils numériques. Nous avons démarré avec le Musée d’Art Contemporain de Lyon, nous poursuivons aujourd’hui avec le Centre Pompidou. Nous voici donc reçus par Gonzague Gauthier, chargé de projets numériques (réseaux sociaux et collaboratif, e-publishing) au Centre Pompidou.

Comment est organisé le musée sur la partie numérique ?
Gonzague Gauthier : J’appartiens au Service Multimédia qui est rattaché à la Direction des Editions, déconnectée elle-même de la Direction de la Communication, contrairement à ce que l’on pourrait penser ! C’est que le Musée est une grande institution avec plusieurs directions. La médiation, par exemple, est rattachée à la Direction des Publics.

Avant d’arriver à cette fonction, quel est votre parcours ?
G.G. : J’ai commencé à travailler au Centre il y a quatre ans, sur l’exposition elles@centrepompidou. J’étais en charge du blog spécialement conçu pour l’exposition. Puis je suis resté au Centre, intégré au service Multimédia avec la casquette de Community Manager, en charge de la partie webmaster et réseaux sociaux du site du Centre Pompidou. A l’époque, le site était loin de ressembler à l’actuelle version. Alain Seban (Président du Centre Pompidou) avait alors initié le projet Centre Pompidou Virtuel : nous savions quelles données mettre à disposition sur le site mais certainement pas comment interagir avec les réseaux sociaux.
Aujourd’hui, c’est Thomas, Community Manager, qui occupe ce poste, appuyé par une autre personne. Ils organisent tous les deux la présence du musée sur les réseaux sociaux.

Quelles sont les grandes lignes de la stratégie du Centre sur les réseaux sociaux ?
G.G. : Tout d’abord, nous organisons notre présence à l’aide du CERSO : Comité Editorial des Réseaux Sociaux. Nous fonctionnons avec deux CERSO. Le premier, présidé par Alain Seban, valide l’orientation éditoriale des Réseaux Sociaux. Le second est plus pratique. Mon service échange et forme toutes les personnes qui font la programmation du Centre Pompidou. Nous les aidons à appréhender les outils pour qu’ils diffusent eux-mêmes leurs contenus.
Une fois cette organisation mise en place, la stratégie du centre consiste à utiliser les réseaux sociaux comme discours de l’amateur. Il ne s’agit pas de se substituer au discours scientifique, nécessaire, du Centre, mais d’engager la conversation avec le public, à partir des données que le Centre met en ligne sur son site web.

Justement, cela pose la question de l’utilisation des contenus mis en ligne, non ?                                                                                         G.G. : Oui, tout à fait. Le Centre Pompidou a clairement fait le choix d’alimenter le site web du musée avec énormément de données, contrairement à d’autres musées qui mettent en avant une vitrine de leurs différentes offres. Ainsi, il faut savoir que nous mettons en ligne des contenus publiés depuis 1977, et que pour cela, nous effectuons un gros travail d’acquisition des droits d’auteur. Je comprends la frustration du grand public, qui n’a pas le droit de réutiliser personnellement ces contenus, mais la loi française sur le droit d’auteur est ainsi faite.

Vous mettez certes à disposition des ressources, mais que veut exactement dire « engager le dialogue avec les publics » sur la base de ces informations ?
G.G. : Nous guidons les internautes à appréhender ces contenus et à produire quelque chose d’intéressant par eux-mêmes. Deux exemples : un Live-Tweet que nous avions organisé sur l’exposition Mondrian / De Stijl -1er décembre 2010 au 21 mars 2011-. Nous avons eu des profils très différents qui ont tweeté en direct. Une personne, par exemple, qui ne connaissait pas ce mouvement artistique a tweeté ses réactions mais celles aussi des personnes qui découvraient l’exposition, de sorte que nous avions un ressenti sur l’ambiance de l’exposition ! A l’inverse, des gens familiarisés avec De Stijl ont tweeté sur les propositions de structuration du mouvement. Au final, nous avons recueilli une polyphonie de discours, en plus de celui de l’institution. C’est ce qui nous intéresse.
Dans le cadre d’une autre exposition, nous avons ouvert un site Tumblr permettant au public de poster des photos sur le site. Bien entendu, nous les avons accompagnées en choisissant certaines œuvres, il faut être un minimum directif.

Comment s’articule la présence du Centre sur les réseaux sociaux ?
G.G. : Nous réfléchissons en premier lieu à investir les réseaux pour lesquels nous avons capacité à alimenter suffisamment de contenu. Puis, nous adaptons nos messages en fonction de la spécificité du réseau choisi et du public visé.
Nous aimerions investir plus de réseaux, notamment ceux qui privilégient l’image. Mais nous sommes contraints par l’exploitation du droit d’auteur et, en tant qu’institution public, nous nous devons de respecter ces limites. Je le regrette certes, mais c’est ainsi…

Avez-vous une approche spécifique par rapport aux « nouveaux influenceurs numériques » ?
G.G. : Rappelons que l’outil numérique ne peut se substituer au plaisir de la visite physique. Je parlerais de « surcouche » pour désigner les outils numériques.
Effectivement, nous observons les communautés qui gravitent autour du Centre. Pour être synthétique, nous dissocions les influenceurs – personnes avec une grande audience, des comptes twitters fortement suivis par ex., des amateurs éclairés – personnes qui produisent un discours scientifique pertinent -. A partir de là, nous organisons notre communication en « entonnoir » : de la masse quand il s’agit d’annoncer l’ouverture d’une exposition à la production d’un discours sur l’œuvre au fur et à mesure que l’exposition avance dans le temps.
Notre rôle est aussi de réorienter les internautes qui vont dans un premier temps aller par exemple sur la page Facebook institutionnelle du Centre, et de les inviter à découvrir des pages Facebook thématiques comme celle des Cinémas du Centre. Nous servons alors d’« interface ».
Pour résumer, je dirais que les réseaux sociaux permettent aux gens de produire eux-mêmes le sens de leur visite par rapport aux différents rebonds sémantiques que nous leur proposons.

D’autres logiques commandent-elles votre approche ?
G.G. : Oui, si nous proposons à l’internaute de rebondir sur des sujets connexes il faut s’en donner les moyens. Par conséquent, nous travaillons à l’ergonomie du site web et des réseaux de telle manière que l’internaute puisse rebondir d’une œuvre à un courant artistique, lui-même relié à une conférence en lien avec le sujet par exemple. On découvre ainsi des comptes amateurs qu’on ne connaissait pas et qu’on n’avait pas ciblés…
De plus, nous réalisons des propositions adaptées aux écrans sur lesquels nous diffusons : site web du Centre, application du Centre, réseaux sociaux.
Au final ce qui nous intéresse, c’est de voir comment la communauté autour du Centre Pompidou évolue et interagit avec les ressources documentaires que nous mettons à disposition.

Un autre exemple d’animation sur les réseaux sociaux avec un contenu culturel ?
G.G. : Oui, tout à fait. Pour la Nuit des Musées 2011, le Centre Pompidou a conçu un dispositif interactif avec l’artiste Florent Deloison – travaille sur les jeux vidéo « old school » -, appelé La Bataille du centre Pompidou.                                                                                                 C’était une sorte de «Space Invador» réinventé pour l’occasion. Un écran géant était installé dans le forum du Centre et le public constituait des équipes pour interagir, à l’aide de tweets sur l’écran. Le contenu du jeu restait culturel, en lien avec les collections permanentes du musée. Cette installation nous a permis de valider qu’une forme ludique conduit des profils, plutôt « geeks », à s’intéresser à l’œuvre artistique, ce qui ne serait pas forcément le cas sans animation. Et puis c’était formidablement étonnant d’observer ce mélange de compétences entre amateur d’art et utilisateur confirmé des réseaux sociaux ! Nous faisons aussi en sorte de conserver une production valorisable des événements que nous créons. Dans le cas du Live-Tweet de l’exposition sur Mondrian, nous avons par exemple réalisé un story file, consultable en ligne.

Fin du premier volet de l’interview

Florent Deloison, La bataille du Centre Pompidou, nuit des musées 2011.

Florent Deloison, La bataille du Centre Pompidou, Nuit des Musées 2011. Photo Lorena Biret.

F.B. & A.B.