On pourrait dire de Corinne FHIMA qu’elle est une “sérieuse emballeuse”. Dans sa dernière installation et performance, Barquette Factory, réalisée à la galerie White Projects à Paris en Mai dernier, l’artiste plasticienne donne à voir la fabrication, la gestion et la distribution de masse de ses barquettes Eve Wainting for Love. Ces Eve perruquées, découpées et emballées sous cellophane avec code barre font la signature de l’artiste depuis quelques années.Son personnage ne se refuse rien, convoquant la grande histoire de l’art avec ses références à Joseph Beuys et Jasper Johns – eve, beuys & johns-. Corine FHIMA mord avec ironie l’imagerie machiste de notre époque, de la grande consommation de masse aux valeurs du cac40 – série des eve CAC40 -. Pour ce second volet de nos entretiens “Inside Brain’s Artist”, Corinne FHIMA m’a reçu dans son atelier, au coeur du de la Goutte-d’Or. Beaucoup de rires ont émaillé notre conversation autour, notamment, du processus créatif de l’artiste et de sa place dans la société.

Art Design Tendance : La première question que j’ai envie de vous poser c’est qui est donc cette fameuse Eve ?                            Corinne Fhima : Et bien c’est moi, ou plus précisément mon alter-égo sur laquelle je projette la vie quotidienne (rires).

A.D.T. : D’où vous est venue cette idée de vous prendre comme modèle de vos propres oeuvres ?                                                                                               C.F. : Cela s’est fait très progressivement. Au départ je travaillais sur le cochon, un travail entamé pendant que j’étudiais aux Beaux-Arts de Paris – séries pigs series et eve & pigs series. J’ai toujours travaillé avec plusieurs médiums à la fois, j’adore les mélanger : volume, peinture et vidéo par exemple. Progressivement j’ai commencé à me prendre en photo et à m’insérer dans l’histoire du cochon et donc j’ai créée ce personnage d’Eve. Puis, j’ai tout liquidé et je suis restée centrée sur mon personnage jusqu’à remplacer la côtelette de porc en barquette par moi : je me suis embarquetée !

A.D.T. : Y a-t-il une noirceur dans vos œuvres ?                                                                        C.F. : Non, j’y vois plutôt la projection des images de notre quotidien que l’on recrache.

A.D.T : Pourtant, dans la série sur le CAC40, l’image est forte avec Eve tenue rattachée par une laisse aux indices boursiers ? Ainsi que la bétonnière qui recrache ?                                  C.F. : Oui mais j’ai toujours travaillé sur le thème du lien, j’ai toujours rattaché le tableau avec l’objet. Dans mon travail avec la bétonnière c’est l’idée du passage de quelque chose de mou à l’état de solide qui m’intéressait. Ça c’est pour le côté lien. Pour le côté finance : l’univers de la finance est dominé par le masculin (on dit les « patrons du CAC40 ») et je veux imposer du féminin ligoté, saucissonné !

A.D.T. : On peut donc voir dans votre travail le reflet de ces images quotidiennes qui nous assaillent ?                                                                                                                              C.F. : Pas uniquement. Je m’inscris dans une tradition de l’histoire de l’art dans laquelle le corps de la femme a toujours été exposé, idéalisé, une « image » en fait. J’ai toujours toujours baigné dans ces symboles, je poursuis cette tradition, je la prolonge, mais je tords les codes en jouant avec les symboles -cf. série eve, beuys & johns -.

A.D.T. : les sujets que vous abordez sont largement empreints de notre société, comme la société de consommation par exemple ?                                                                              C.F. : On peut y penser en effet car on n’y échappe pas ! En fait je ne suis pas obnubilée par le sujet mais j’aime travailler quand même sur l’obsession, la consommation à travers les produits usinés c’est notre univers quotidien. On n’y réfléchit pas trop. Tout le monde va chez Carrefour Market acheter de malheureuses barquettes de poulet par exemple. Ce qui m’intéresse c’est les produits usinés, l’idée de fabrication, de chaîne, de transformation, d’empaquetage, tout le processus.

A.D.T. : Qu’est-ce qui est le plus excitant dans votre travail ? La mise en scène de l’univers d’Eve ou la confection de votre travail ?                                                                                C.F. : Tout simplement la réalisation des projets qui sont au départ sur des maquettes dans un lieu grandeur réelle ! C’est là que l’œuvre parle. Et j’adore réaliser un projet dans son ensemble comme celui que j’ai pu faire à la Galerie White Projects à Paris. Il s’agissait bâtir une installation-concept entièrement basée sur l’ idée de la performance de l’usinage.

A.D.T. : On peut également visionner une vidéo autour de l’installation ?                                C.F. : Effectivement, pendant le vernissage de l’exposition, « trois ouvriers chinois » sont venus emballer les barquettes. C’est une performance qui a été filmée. Dans cette action, les ouvriers sont là pour recréer cette atmosphère de l’usine de transformation du produit alimentaire, la « poulette » est embarquetée et mise dans des cagettes sur un convoyeur motorisé. On en revient à l’emballement. (rires)

A.D.T. : Qu’est-ce que vous voudriez que les gens retiennent de Barquette Factory ?               C.F. : Je voudrais qu’ils retiennent cette idée de processus détourné. Je veux montrer des œuvres en mouvement, j’aime l’idée du rythme, de la pulsation de l’œuvre d’art, de l’œuvre vivante en train de se produire. L’œuvre dans l’instant me plaît beaucoup. J’ai parfois des surprises quand les gens trouvent que ce travail est par exemple violent. . Je ne le ressens pas comme tel. L’artiste transmet sans doute des choses inconscientes… J’explore le registre du fantasme et de l’irréel. Contrairement à ce que l’on peut croire trop hâtivement, je ne suis pas dans le discours de la dénonciation. D’ailleurs, si je fais vivre à mon alter-égo ces expériences, c’est bien qu’elles ne relèvent pas de la vie réelle.

A.D.T. : Y a-t-il d’autres thèmes que vous aimeriez aborder dans votre travail d’artiste ?          C.F. : En fait je suis très obsessionnelle, donc je suis partie pour un moment sur les “Eve” (rires). Je n’ai pas fini de creuser le personnage, jusqu’au moment où je n’en pourrai plus ! On ressent ce moment où il est temps de passer à autre chose. Mais tant que je continue à développer des choses, mon vécu par exemple, autour du personnage, alors je continuerai !

A.D.T. : Je reviens au fait d’avoir filmé cette performance autour de la Barquette Factory. Pourquoi était-ce si important de le faire ?                                                                           C.F. : Cela faisait partie intégrante du projet articulé autour du fantasme de l’usine et du conditionnement. Il fallait donner une idée de la chaine de fabrication. Et puis comme je vous le disais, j’aime montrer des œuvres en mouvement.

A suivre…

Corinne FHIMA, eve waiting for love, from eve and Pigs Series, 2006

Corinne FHIMA, eve waiting for love, from eve and Pigs Series, 2006. Huile sur toile, photo sur bâche, cactus en tissu et pvc 250×200 cm 2006.

 

Corinne FHIMA, revisited energy, from the Pigs Series, 2002

Corinne FHIMA, revisited energy, from the Pigs Series, 2002

 

Corinne FHIMA, eve, beuys & johns, 2013. tirage argentique Lambda,  cousu et rembourré, barquette de viande, drapeau tirage argentique Lambda 120x90 cm.

Corinne FHIMA, eve, beuys & johns, 2013. Tirage argentique Lambda, cousu et rembourré, barquette de viande, drapeau tirage argentique Lambda 120×90 cm.

Ils emballent bien / They packed well from BERNARD Hervé (rvb) on Vimeo.

Photos courtoisie de l’artiste

Vidéo de la performance réalisée par Hervé Bernard

Mes remerciements à Anne Floderer et Eurydice Coulon, Press Agency Online

F.B.