Suite et fin de mon entretien avec Cornélia KOMILI, artiste peintre installée à Lyon. Cornélia évoque notamment ses sources d’inspiration et sa peinture. Le tout pour mieux comprendre comment un artiste conçoit une oeuvre et la réalise.

Francis Bacon, Lucian Freud.

Rencontre entre les deux peintres majeurs de l’art britannique d’après-guerre. Lucian Freud peint par Francis Bacon. Est-ce qu’un artiste comprend mieux un autre artiste ?

 

Cornélia, t’inspires-tu d’autres artistes ?
Cornélia Komili : Oui, ça m’arrive. Quand je manque d’inspiration, je vais regarder des gens qui me sont contemporains et dont j’estime le travail. Ça nourrit le mien et me motive.
Je vais peu consulter des artistes dits «anciens», mais ça peut arriver. Ainsi ces derniers temps,  j’ai pas mal regardé Watteau pour mon travail, mais c’est une exception.
Si vraiment je n’ai pas d’inspiration, je lis William Gibson ou J.G. Ballard !

D’ailleurs tu cites J.G. Ballard sur ton site Internet ?
C.K. : Effectivement : «Loin d’être le paysage aliénant que la plupart des gens croient, le paysage technologique offre les possibilités de paix, une sorte d’union avec le tout.»
J’aime Ballard car il est libre. Lire Ballard c’est comme regarder de la peinture. Je n’ai jamais aimé les histoires au cinéma, dans les livres, ou dans une peinture qui sont trop balisées par un scénario. Pour moi, le scénario me donne l’effet de bloquer l’art. Au contraire, quand il y a peu de scénario, l’artiste est libre de créer. Ballard écrit des livres où il ne se passe rien. Tu peux, par exemple, démarrer ta lecture au milieu d’un de ses livres. Pour moi, Ballard par son écriture nous fait un «don» d’images.

Est-ce que tu as d’autres auteurs qui t’inspirent ?
C.K. : Dans la science fiction non. Ailleurs que dans ce domaine littéraire oui. Même si ça ne se voit pas dans ma peinture, l’écrivain J.D. Salinger m’inspire beaucoup. Je retrouve dans son écriture cette liberté d’expression. Concernant Ballard, c’est une erreur commune de le lier à la SF, excepté pour ses anciens travaux. Au cinéma, Hal Hartley, cinéaste indépendant majeur est très inspirant. Chez Hartley, ce sont les humains qui font l’ambiance de ses films. Il s’agit souvent de huis clos théâtraux extraordinaires. J’aime aussi beaucoup le film «Blade Runner», un grand classique.

Revenons à ta peinture. Dans ta dernière exposition, tu insères des chiens. C’est nouveau ?
C.K. : Oui. C’est en rapport avec Watteau qui, dans ses tableaux, insère cet animal qui prend une dimension pathétique. J’aime cette idée. Les chiens avec leurs grands yeux humides me font pitié, comme l’humain d’ailleurs. C’est aussi relié à un autre souvenir douloureux de ma jeunesse lorsque j’ai vu sous mes yeux un chien mourir de froid dans la rue en plein hiver.
J’ai de la tendresse pour ces animaux même si je préfère les chats. J’introduis le chien dans ma peinture aussi parce que je n’ai toujours pas trouvé comment introduire l’être humain dans mes tableaux. D’ailleurs, ce problème qui m’est posé vient peut-être du fait que je ne sais pas qui intégrer comme personne dans mes tableaux. Une personne que je connais ? Je ne sais pas… Un inconnu ? Est-ce que celà m’intéressera…  Au contraire, le chien est une figure générique et vivante. Le chien a aussi une forme intéressante à peindre.

Quel est ton rythme de travail pour peindre ?
C.K. : C’est très variable. Quand, sur une peinture, j’ai beaucoup d’idées ça peut aller extrêmement vite. Et puis d’autres peintures vont me prendre beaucoup de temps. Rares sont les toiles qui m’ont pris du temps et qui deviennent mes préférées ! En général, les tableaux qui vont vite sont les plus réussis et le travail est alors très gratifiant. Une toile pour laquelle je reprends les couleurs par exemple, ne sera jamais ma préférée. Il m’arrive aussi de peindre d’après une photographie que j’ai prise il y a 2 ans. A cette époque, je n’étais pas inspirée pour l’exploiter. Et maintenant, je peux le faire. C’est souvent une question d’inspiration qui fait que je vais trouver l’idée pour utiliser la photographie à cet instant.

Connais-tu des artistes, qui, au contraire de toi, ne savent pas à l’avance ce qu’ils vont peindre ?
C.K. : Oui. J’ai une amie qui travaille à l’intuition – en conservant  une «méthode» de travail -. En peinture,  j’ai essayé de le faire mais je m’y perdais, c’était terrible !

J’apprécie ta peinture car je peux me projeter dans les paysages peints. Je peux par exemple, m’imaginer plus petit pour rentrer dans une toile et m’y perdre. C’est une peinture métaphysique et ça me rappelle les tableaux de De Chririco ?
C.K. : Oui, en effet, il y a de ça dans ma peinture. Souvent, on me parle de Hopper alors que je me sens beaucoup plus proche de De Chririco ! Très jeune j’ai regardé les toiles de De Chririco. D’ailleurs récemment au musée des Beaux Arts,  il y a eu un De Chririco exposé – pour l’exposition Cornell,  – et j’aurais aimé en voir plus !
C’est un peintre qui a réussi à créer des ambiances, à partir de rien – pas de support pour s’inspirer -. Le contraste entre le blanc des statues – figure d’Apollon – et les ambiances jaunâtres, verdâtres, m’inspire beaucoup. Celà confère aux toiles un côté très abstrait. D’ailleurs, dans ma dernière toile, j’ai expérimenté le contraste entre un blanc très «propre» et des ambiances colorées. Donc oui, De Chirico m’inspire.
J’aime Hopper mais sa peinture est analytique pour moi. Plus jeune, j’adorais la toile du garagiste. Puis, avec les années, je me suis essayée dans ma peinture à des choses moins figuratives, donc à priori moins accessibles. Ma démarche est donc différente. J’espère faire une peinture moins «facile». Mais il m’arrive parfois de retomber dans une peinture figurative. Je me sens alors malheureuse, je ne l’assume pas.
Généralement, les gens préfèrent un style plus figuratif car plus identifiable. Il est souvent étonnant pour un artiste de s’apercevoir que ce sont les toiles qu’il aime le moins que les gens achètent le plus ! Je préfère travailler par séries, des ensembles de toiles qui appartiennent à un même univers et qui créent une unité d’ensemble. Je regrette que mon atelier soit trop petit car je ne peux pas dresser plusieurs tableaux en même temps. Celà m’aiderait à m’immerger encore plus dans ma peinture, à voir combien de toiles peuvent aller ensemble. Celà revient à créer une exposition.

Justement, comment un artiste prépare t-il une exposition ?
C.K. : Je n’ai vraiment travaillé qu’avec un seul galeriste professionnel. C’est compliqué car, souvent, j’aurais aimé avoir du temps supplémentaire avant une exposition pour peindre une ou d’autres toiles pour la compléter. Dans le même temps, si tu attends trop pour exposer alors tu es déçu car tes toiles deviennent obsolètes et ne te plaisent plus.
La vérité c’est qu’il n’y a jamais de bon moment pour une exposition, on n’est jamais prêt. J’ai toujours été déçue de mes expositions, je ne sais pas pourquoi, sans doute par souci de perfection. J’aime les expositions cohérentes.

As-tu envie de rajouter quelque chose ?
C.K. : Oui. J’aimerais dire que l’artiste n’est pas un être «coupé» de toute ambition sociale. Plus mon travail plaît, plus il est valorisé, plus j’ai envie de peindre, et mieux je peins. L’artiste totalement innocent, je n’y crois pas ! La reconnaissance de mon travail est une source de motivation forte, c’est valable pour beaucoup d’artistes.
Enfin, les gens ont souvent l’image de l’artiste maudit qui crée. Un de mes professeurs aux Beaux Arts, Philippe Sergeant qui est philosophe, m’a enseigné que pour créer, il faut être heureux. Et bien je crois que c’est vrai. Tu ne peux pas créer dans la durée un travail intéressant si tu n’es pas heureux dans ta vie privée. La création c’est avant tout un acte positif, un ajout. Or, si tu te sens malheureux, c’est diffile à faire.

Cornélia, je te remercie d’avoir répondu avec sincérité à l’ensemble de mes questions.

Cornélia Komili, Lotissement 1, 2014

Cornélia Komili, Lotissement 1, 2014

 

Cornélia Komili, Paysage 3, 2014

Cornélia Komili, Paysage 3, 2014

Giorgio De Chirico, Place d'Italie, 1912

Giorgio De Chirico, Place d’Italie, 1912

F.B.