C’est durant mes vacances méditerranéennes que j’ai eu l’occasion de me plonger dans la culture de l’Italie du Sud, en particulier celle de la région de Naples, la Campanie. Naples, la ville du sud par excellence. Tour à tour bruyante, chaude, animée, enfiévrée ; mais aussi bourgeoise, traditionnelle, avec ses palais qui la font crâner. ↓

Naples, aperçu Piazza Bellini

Naples, aperçu Piazza Bellini

J’étais parti pour partager avec vous une exposition locale regroupant Jackson Pollock, Joan Miró et Lucio Fontana, rien que ça ! – cf billet précédent Lucio Fontana, père de « l’art spatial – . Malheureusement je n’en aurai rien vu, galerie fermée et basta sans plus d’explications !

A une exposition perdue, une autre retrouvée, par la magie du hasard d’une déambulation dans les rues piétonnes de Sorrente. La Villa Fiorentino,  présente jusqu’au 30 Septembre, l’exposition Biasiucci / Paladino.

Art contemporain ancré dans la terre vésuvienne

Antonio Biasiucci et Mimmo Paladino sont 2 figures majeures de l’art contemporain italien. Mimmo Paladino surtout, le plus connu des 2, a acquis une stature d’artiste international avec des participations à la célèbre Biennale de Venise notamment. Plusieurs rétrospectives de son œuvre ont déjà eu lieu. L’exposition à la Villa Fiorentino consiste en un dialogue entre les sculptures de Paladino et les photographies d’Antonio Biasiucci. ↓

Biasiucci / Paladino, au centre oeuvre de Paladino : Tavolo, 1990

Biasiucci / Paladino, au centre oeuvre de Paladino : Tavolo, 1990

Bien que ne connaissant pas ces 2 artistes, ni le mouvement artistique auquel les historiens de l’art rattachent Paladino ( Transavanguarde ), j’ai ressenti un attachement profond et viscéral des 2 artistes à leur terre natale, la région de la Campanie, et à son histoire. En particulier, dans les sculptures de Mimmo Paladino, la matière constitutive de certaines de ses œuvres fait écho à la couleur noire de la roche balsamique, héritée de la colère du Vésuve. C’est le cas notamment en contemplant ses demis-corps calcinés qui, aidés d’ailes, s’arrachent au tumulte de la vie terrestre ↓

Senza Titolo, 2008, Mimmo Paladino

Mimmo Paladino, Senza Titolo, 2008

A une table en bois, marquée sans sa chair par des formes géométriques dont il reste aux extrémités des stigmates de brûlure, répondent au mur les photographies en noir et blanc de Biasiucci – cf photo ci-dessus également – Nous sentons le fantôme, caché, de la tragédie volcanique du Vésuve ; de la façon dont elle a marqué la terre et les corps, elle s’insère, brutalement dans l’objet. ↓

Mimmo Paladino, Tavolo, 1990

Mimmo Paladino, Tavolo, 1990

Ce sont donc 2 artistes proches de la terre et des paysages vésuviens qui s’expriment. Antonio Biasiucci, né à Dragoni en 1961 dans la région de Caserta, travaille sur les rituels et coutumes de sa région, et notamment sur la vie paysanne. Tout naturellement, il s’est intéressé au géant qui domine Naples et sa région, le Vésuve. Il devient ainsi en 1984 le photographe officiel de l’observatoire du Vésuve. Grâce à cette collaboration, Biasiucci réalise une série de clichés en noir et blanc intitulée Magma que l’on retrouve exposée sur un pan de mur de l’exposition.↓

Antonio Biasiucci, Magma, 1987-1993

Antonio Biasiucci, Magma, 1987-1993

 Une atmosphère sacrée presque menaçante

L’exposition présentée tourne autour des mythes et esprits. On en sent la présence dans une pièce que Biasiucci consacre à un rituel violent. Toujours figurés par des clichés noir et blanc, l’artiste met en scène une sorte de Dieu, qui met au supplice un cochon. Les photographies, floues, retranscrivent une ambiance menaçante. Biasiucci s’inscrit dans le passé violent de sa région, histoire sacrée et noirceur se confondent encore lorsqu’il expose une série de silhouettes et visages – série EX VOTO, serie 2007-2011- La technique utilisée : photographie sur plexiglass et aluminium, entretient précisément le mystère de personnages, qu’on croirait sortis de l’antiquité. ↓

Antonio Biasiucci, Ex Voto, serie 2007-2011

Antonio Biasiucci, Ex Voto, serie 2007-2011

A ce monde énigmatique presque irréel, Paladino répond avec une douceur amère dans sa série des dormeurs – Dormiente, 2012

Mimmo Paladino, Dormiente, 2012

Mimmo Paladino, Dormiente, 2012

Encore une fois je ne peux m’empêcher de penser au Vésuve, aux habitants saisis dans leur sommeil et retrouvés recouverts d’une épaisse couche de cendres. Ce qui frappe dans la sculpture de Paladino, c’est la sérénité du visage et la finesse du corps, qui répond aux angoissantes photographies noir et blanc de Biasiucci. Mimmo Paladino expose ses dormeurs « flottants » dans le parc de la villa, que vous pouvez découvrir au début de la vidéo suivante ↓

Je vous laisse avec ces impressions méditerranéennes, imprégnées de la terre volcanique locale, de son histoire et de ses légendes. Vous pouvez découvrir le travail de photographe d’Antonio Biasiucci sur son site : http://www.antoniobiasiucci.it/

L’odeur du souffre continuera encore de plâner longtemps sur la région napolitaine : “A ce moment, de la cendre, mais encore peu serrée ; je me retourne : une traînée noire et épaisse s’avançait sur nous par derrière, semblable à un torrent qui aurait coulé sur le sol à notre suite…A peine étions-nous assis et voici la nuit, comme on l’a, non point en l’absence de la lune et par temps nuageux, mais bien dans une chambre fermée, toute lumière éteinte… Il y en avait qui, par frayeur de la mort, appelaient la mort. Beaucoup élevaient les mains vers les dieux ; d’autres, plus nombreux, prétendaient que déjà il n’existait plus de dieux, que cette nuit serait éternelle et la dernière du monde.” –

Extraits des lettres de Pline le Jeune à Tacite, sur l’éruption du Vésuve en 79 après J.-C -.

F.B.