Lors de l’édition 2017 du salon professionnel Museum Connections qui s’est déroulé les 18 et 19 janvier dernier à la Porte de Versailles, des conférenciers de haut niveau sont intervenus sur différents sujets liés au business muséal et aux nouvelles pratiques digitales qu’empruntent les institutions culturelles. Parmi ceux-ci, Laura Wright, anciennement directrice de la Tate Enterprises, qui est venue parler de la stratégie des différentes boutiques de la galaxie Tate.

Les boutiques de la Tate, un endroit stratégique pour le business du musée

La Tate Enterprises est la division de l’institution culturelle qui gère toutes les activités de merchandising des 4 différentes Tate et, par conséquent, toutes les boutiques (éditions, produits dérivés) et lieux de restauration. « Un empire dans l’empire » à gérer puisque cela représente 8 boutiques pour 4 musées, la sortie de 60 ouvrages annuels, 4 sites d’exposition pour un staff de plus de 200 personnes et qui génère 18 à 20 millions de livres sterling par an pour l’institution Tate ! Le merchandising et les boutiques sont donc des lieux stratégiques pour le musée qui doit aussi penser à l’image que le visiteur se fait de l’institution lorsqu’il s’arrête dans les différents « shops ».

Avec l’extension de la nouvelle Tate, La Switch House, nouvelle aile de la Tate Modern, l’équipe de la Tate Enterprises a dû réfléchir à l’aménagement des boutiques dans ce nouveau lieu. 1ère leçon : on ne fait pas du copier/coller à la Tate. Les boutiques de la Switch House ont été pensées pour s’insérer dans le nouveau lieu. Laura Wright, parmi les produits phares en boutique, cite les livres, reproductions, objets pour enfants, et les objets “dérivés” des expositions. Concernant les livres, qui nécessitent un investissement financier et surtout du temps – La Tate avec Tate Publishing possède son propre service d’édition -, la nouvelle boutique laisse plus de place au visiteur pour déambuler dans ce rayon stratégique. 

L’épineuse question des reproductions

Le propos de Laura Wright devient très intéressant lorsqu’elle évoque l’épineuse question des reproductions. Elle souligne qu’il y a 20 ans les ventes d’affiches, posters cartonnaient mais, avec l’arrivée du numérique, les reproductions sont devenues progressivement accessibles sur Internet, en boutique de grands magasins (type IKEA) et les ventes ont chuté. Que faire alors ? La Tate Enterprises a alors eu l’idée de lancer une série de petites reproductions. Et c’est un fameux artiste, le peintre contemporain allemand Gerhard Richter  qui a, en quelque sorte, initier le mouvement… L’artiste a en effet décidé de faire don d’une photographie à l’institution anglaise, qui l’a commercialisée sur internet, à condition que les ventes générées reviennent exclusivement dans les caisses du musée. L’opération s’est révélée gagnante puisque tous les exemplaires se sont vendus. Devant ce succès, Laura Wright et ses équipes ont demandé aux artistes s’ils voulaient produire, spécialement pour le musée, des œuvres originales.                                                                                   

Certains ont joué le jeu. Option marketing prise par le musée : créer un espace à part dédié aux reproductions en édition limitée, notamment des objets, à l’image d’une galerie d’art pour laisser le visiteur flâner et choisir. Second parti-pris : proposer peu d’objets ; selon Laura Wright : “ce n’est pas le prix qui compte, mais la qualité “. Les prix varient ainsi de 200 à 2.000 livres sterling. La Tate a misé sur la valeur de l’objet. ↓

Damian Hirst, Coupe et tasse, Anamorphic cup and saucer love of god, en vete sur la boutique en ligne de la Tate

Damian Hirst, Coupe et tasse, Anamorphic cup and saucer love of god, en vente sur la boutique en ligne de la Tate

Sur le site de vente en ligne de la Tate (Tate Shop), le public qui achète est plus varié. Sur cet autre canal d’entrée de business, le musée a considérablement élargi son offre de reproductions et propose d’ailleurs des reproductions personnalisées. À écouter Laura Wright, on a donc l’impression que la nouvelle boutique de la Tate a trouvé son point d’équilibre entre les reproductions “papier” classiques, mais qui restent originales, une sélection d’objets individuels en édition limitée, et la partie livres. L’institution Tate se déclare aussi satisfaite de “démocratiser l’art” même si on pourra toujours lui reprocher un positionnement (trop) mercantile…↓

Richard Rauschenberg, Reproduction en édition limitée, Untitled (Gold Painting), 1955. En vente sur la boutique en ligne de la Tate

Richard Rauschenberg, Reproduction en édition limitée, Untitled (Gold Painting), 1955. En vente sur la boutique en ligne de la Tate

Les livres dans les boutiques de la Tate

Et les livres dans tout ça ? Comme pour les reproductions en série limitée, la Tate Enterprise a revu sa copie et souhaité agrandir ses espaces dédiés aux livres. L’idée est simple : rendre l’acheteur potentiel et le futur lecteur plus à son aise dans un espace plus grand. Un espace restreint avait tendance à quelque peu intimider le visiteur qui portait sa curiosité sur des livres spécialisés. À l’image des diapositives que passent Laura Wright sur cet espace, on se croirait plus dans une librairie que dans une boutique de musée c’est certain ! ↓

Laura Wright présentant une diapositive du coin librairie de la Switch House

Laura Wright présentant une diapositive du coin librairie de la Switch House

Sur une autre question stratégique : les catalogues d’exposition. Sont-ils en vente sur Internet, consultables sur une édition digitale payante par exemple ? Et bien non. La Tate a fait le choix de vendre uniquement ses catalogues en boutique : une ode au plaisir du livre auquel je dois dire rester sensible. Je ne me vois pas acheter le catalogue d’une exposition en version digitale… D’ailleurs, si vous allez jeter un coup d’œil sur le site de la Tate, vous verrez que l’on vous propose de consulter les catalogues d’exposition et de collection via un moteur de recherche en ligne puissant qui vous indiquera si l’ouvrage de vos rêves est disponible ou pas au rayon livre de la Tate, et si bien sûr vous pouvez le consulter dans une salle de lecture à défaut de l’acheter… Selon Laura Wright, le désir du papier, et particulièrement dans l’art, existe toujours ! D’ailleurs, elle mentionne un splendide catalogue très fourni dédié à Rauschenberg, donc assez cher, qui est acheté par près de 2% des visiteurs de la Tate ! (Ce qui, entre nous, me semble énorme). 

Des choix stratégiques

Concernant le digital, Laura Wright explique que la Tate essaie d’optimiser son business : clairement l’institution anglaise est là pour faire du cash sur le web, alors qu’elle privilégie la qualité de présentation de ses produits dans la nouvelle boutique de la Switch House. En revanche, ne sont vendus que les livres de Tate Publishing, afin d’éviter un “fourre-tout” qui ferait passer la boutique en ligne de la Tate pour un Amazon culturel ! 

D’après Laura Wright, Tate Enterprises concentre aujourd’hui son effort sur le business en ligne, en particulier : la poursuite de la collaboration avec des artistes pour proposer des objets en série limitée, les reproductions papier originales et la “conversion”. Sur ce dernier point, je suis resté sur ma faim, qu’entend-elle exactement par conversion ? Le marketeur que je suis a son idée… mais on ne peut pas aborder tous les sujets en 3/4h :-)). 

Voilà en tout point une conférence passionnante, un sujet à voir développer et traiter par d’autres institutions…

F.B.