BEN, l’interview

L’artiste Ben Vautier, alias Ben, expose en ce moment au Domaine départemental de Chamarande (Essonne, 11 juillet – 11 octobre 2020) plus de 400 œuvres, en grande partie issues de sa collection particulière. Si vous lisez ce blog régulièrement, vous aurez remarqué mon attrait particulier pour la période de l’artiste consacrée au mouvement Fluxus, qu’il a accompagné en France et en Europe. Je suis originaire de Vendôme, dans le Loir-et-Cher, or, Ben nous a fait un beau cadeau en établissant à Blois ” le Centre Mondial du Questionnement “, avec la Fondation du Doute.

BEN : "Je me demande si je suis artiste-peintre ou artiste questionneur..."

PORTRAIT BEN, © Eva Vautier – © Ben

Lorsqu’on m’a proposé d’interviewer l’artiste, à l’occasion de cet événement qui retrace différentes périodes du “Chef du Questionnement mondial”, de ses premiers gestes et actions de rue – on ignore souvent qu’il fût un véritable performer chez lui, dans les rues niçoises à ses débuts – à des œuvres récentes, j’avais forcément très envie de le faire… Pour des raisons d’emploi du temps, je ne pouvais malheureusement me déplacer, et c’est pourquoi je remercie Matthieu Alexandre & Marjolaine Edouard, réalisateurs de documentaires et reportages, d’avoir posé mes questions à l’artiste, joignant l’image à la parole puisque l’interview fut filmée. ↓

BEN, artiste philosophe

S’il y a un bien une personnalité artistique qui s’est permise durant toute sa carrière d’interroger la place de l’artiste dans la société, et de se confronter à sa propre personnalité/ego c’est bien BEN. Ben Vautier doute, s’interroge et se pose des questions de fond : « Qui suis-je ? », « Que suis-je ? ». Il y répond au travers d’œuvres très personnelles qui découlent de ce questionnement. En 1976, dans la série intitulée Introspection, BEN conçoit une approche philosophique du questionnement ; ses réponses sont parfois naïves, mais elles révèlent un conflit intérieur qu’il a le courage d’affronter. Rien d’étrange donc à l’entendre pointer avec malice durant l’entretien cette interrogation : « Suis-je artiste-peintre ou artiste-philosophe ? ». ↓

Alité, Ben n'en demeure pas moins philosophe...

Alité, Ben n’en demeure pas moins philosophe… Ben photographié en 2019 par Olivier Meyer. Crédit photographique :site https://www.wikiwand.com/fr

BEN pose des questions nous renvoient à notre existence... Philosophe BEN...

BEN pose des questions qui nous renvoient à notre existence… Philosophe BEN… BEN dans une interview à artistikrezo.com : « Pourquoi le doute ?
Mais parce que l’art, ce ne sont que des questions. Pourquoi peindre ? Pour la gloire. Pourquoi la gloire ? Pour emmerder les autres. Pourquoi ? Pour exister. Pourquoi vouloir exister ? Pour ne pas mourir… Je suis en questionnement perpétuel. La matière avec laquelle je travaille, ce sont des doutes. »

 

Dans nombre de ses interviews, BEN affirme que la recherche de la vérité est une constante de son oeuvre... Dont acte !

Dans nombre de ses interviews, BEN affirme que la recherche de la vérité est une constante de son oeuvre… Dont acte ! BEN : « Je décidais de dire la
vérité en tant qu’art :
(mes jalousies mes hontes mes angoisses). »

 

Une réponse de BEN qui se confronte à lui-même

Une réponse de BEN qui se confronte à lui-même. 

BEN, artiste de l’appropriation

En préparant cet échange, j’avais écouté des interviews de l’artiste et j’avais noté que sa démarche artistique (entre autres) avait été guidée par l’idée de faire quelque chose de nouveau, qu’aucun artiste n’avait jusque-là pensé et réalisé. C’est pourquoi je souhaitais lui demander si le fait de produire, en tant qu’artiste, quelque chose de jamais vu était une idée obsessionnelle. Une manière pour moi de titiller l’ego de l’individu ;-))

Sur ce point, l’artiste n’a pas répondu formellement à ma question, revenant sur les grandes étapes de l’histoire de l’art moderne/contemporain, du constructivisme de Malevitch à Fluxus, en passant par Marcel Duchamp, dont on sent pour ce dernier qu’il s’agit d’une référence importante. Ce que BEN nous répond finalement, c’est qu’il est important d’être libre de créer quelque chose de neuf, et donc que : « l’histoire de l’art est une histoire de libertés conquises. »

Dans les années 60, BEN s’est précisément amusé avec ses amis artistes niçois (Arman, Yves Klein, Martial Raysse ; on parle d’ailleurs d’École de Nice) à relever  le défi « d’être le premier ». D’où son idée de s’approprier n’importe quel objet et de le signer. La signature “BEN” étant la certification pour l’objet de devenir une oeuvre d’art ;-)) En ce sens, BEN avoue d’ailleurs que les ready-made de Marcel Duchamp ont eu un impact considérable sur sa réflexion artistique, soit l’idée de reprendre un matériau du quotidien et de donner à le voir à nouveau, en y apposant sa typographie si distinctive et sa signature… Et ce qui s’applique à des choses matérielles est aussi valable pour les idées/notions. ↓

Moi BEN je signe

Alors justement, en quoi BEN est-il un précurseur ? C’est un des premiers artistes dont les œuvres sont des mots écrits sur la toile et dont la valeur est contenue dans leur expression. Toute sa vie, BEN a ainsi exploré le potentiel du langage peint comme moyen artistique. Et puis ensuite, vient évidemment la typographie qui fait de lui un artiste à l’expression visuelle immédiatement reconnaissable. Sur ce sujet, BEN affirme qu’il a choisi d’adopter une écriture enfantine pour que « n’importe qui puisse comprendre ses messages », mais avoue dans le même temps que cela lui a immédiatement porté préjudice, puisqu’on l’a assimilé à ses débuts à un artiste qui dessine pour les enfants… 

Mes questions à BEN

Le temps imparti à l’interview et les réflexions de BEN n’ont pas permis d’avoir réponses à toutes les questions que j’avais envie de lui poser. Voici ce qu’elles étaient :

1) Pourquoi avoir intitulé cette exposition qui balaie plus de 50 ans de carrière « Être libre » ?

2) Dans une société où les plateformes de communication abondent (réseaux sociaux en particulier), pensez-vous que toutes les opinions s’expriment librement ? (en filigrane la question du « politiquement correct », peut-on tout dire aujourd’hui ?)

3) Votre œuvre, protéiforme, recherche-t-elle quelque chose ?

4) Vous êtes un artiste très prolifique, avez-vous pensé à un moment donné de votre carrière qu’il fallait produire moins et plus rarement pour initier la séduction sur le marché de l’art ?

5) Vous êtes un des pionniers en France de la performance. Que recherchez-vous dans cette pratique ?

6) Dans votre vie d’artiste, est-ce que le fait de produire/réaliser quelque chose de nouveau, de jamais vu auparavant, est une obsession ? 

7) Vous avez porté le projet de la Fondation du Doute à Blois – (l’auteur du blog sur lequel sera diffusé l’interview vous en est reconnaissant, puisqu’il est originaire du département, de Vendôme), un lieu original où règne l’esprit de Fluxus. Le nom de la Fondation, la Cour d’entrée qui se nomme « Cour du Doute » et le camion dans cette cour qui porte l’étendard « Centre Mondial du Questionnement », interrogent la vérité.

N’est-ce pas fatiguant de toujours douter de tout 😉) ???

8) Qui était l’artiste le plus truculent chez Fluxus ?

9) Que voudriez-vous que l’on retienne de votre œuvre ?

Et vous, à ma place, quelles questions auriez-vous eu envie de poser à l’artiste ?

Mes remerciements chaleureux à Matthieu Alexandre et Marjolaine Edouard d’InTERREviews qui ont réalisé l’interview et la vidéo de BEN, ainsi qu’à Pascal Scuotto, sans qui cette rencontre n’aurait pas été possible.

F.B.