Une interview exceptionnelle avec Hervé Perdriolle, critique d’art, commissaire d’exposition et marchand d’art. J’ai voulu rencontrer ce grand connaisseur de l’art contemporain pour comprendre ce qui l’avait poussé à partir pour découvrir de nouvelles formes d’art en Inde.

Si vous avez raté l’épisode précédent, c’est ici !

Art Design Tendance : Pouvez-vous expliquer les différences  entre l’art moderne, l’art contemporain et l’art vernaculaire indiens ?

Hervé Perdriolle : Si l’on se réfère à notre histoire, il existe un décalage avec un pays comme l’Inde où l’art moderne a commencé chronologiquement plus tard, à partir des années 50. On parle donc d’art moderne indien à propos d’artistes qui ont aujourd’hui 80/90 ans ou qui sont décédés depuis quelques années. Quant à l’art contemporain indien,  c’est le INDIA SHINING qui nous l’a fait découvrir. Les schémas sont beaucoup moins dessinés. Lors de mon dernier voyage, j’ai rencontré K.G. Subra Manyan, un des grands artistes modernes et intellectuel indien à qui j’ai justement posé cette question. Selon lui, il faut arrêter de catégoriser l’art ainsi. Notre vision chronologique des choses a peu de sens en Inde. On ne peut comprendre l’art indien avec nos repères occidentaux, ne serait-ce que parce que l’essor industriel indien ne s’est pas fait à la même période que le nôtre…

A.D.T. : Peut-on apprécier l’art vernaculaire indien sans avoir de références culturelles sur ce pays ?

 H.P. : Absolument. Même si c’est encore compliqué pour les indiens eux-mêmes de s’y  retrouver ! Des grandes familles indiennes ont collectionné de l’art tribal mais de façon caritative, sans ordonner leurs collections selon différents critères comme je le ferai moi-même. Or, mon background culturel n’est pas celui des indiens. L’art brut, l’outsider art, par exemple, sont encore méconnus en Inde. Pourtant, la connaissance de ces formes d’art en marge est nécessaire pour apprécier l’art vernaculaire indien dans toute sa diversité.

Je pense qu’il est au contraire beaucoup plus facile pour un occidental d’apprécier l’art vernaculaire que pour un indien lui-même, qui va être pris dans sa structure sociale et culturelle qui lui est propre, très marquée en Inde (castes).

Dans les années 70 et 80, il y a eu une génération de penseurs et d’intellectuels indiens qui portaient un regard pointu, elle a malheureusement en grande partie disparu.

A.D.T. : Quel est le statut de l’artiste tribal en Inde ?

H.P. : Globalement, ils sont considérés comme des artisans. Les indiens les connaissent souvent à travers des boutiques de quartier qui fabriquent des petits objets souvenirs (handicraft), pour les touristes. Comme c’est également le cas pour l’artisanat aborigène d’Australie. Très peu de gens connaissent les grands noms de l’art aborigène australien comme Clifford Possum.

Même si les grandes figures de l’art vernaculaire indien sont également peu connues en Inde, l’art tribal y est plus médiatisé. On peut par exemple acheter des timbres à l’effigie de la tribu Warli. Dans le terminal principal de l’aéroport de Bombay, vous avez une fresque, pas forcément réussie d’ailleurs, interprétée d’après les Warli. Pour autant, un des plus grands artistes warli comme Jivya Soma Mashe est peu connu de ses compatriotes.

A.D.T : Les collectionneurs qui vous sollicitent ont-ils un profil commun ?

H.P. : Pour les pièces importantes, ce sont des gens qui montrent une grande curiosité, comme Agnès B ou la Fondation Cartier par exemple. Ils ne recherchent pas la spéculation mais au contraire une certaine déstabilisation. S’aventurer sur des terrains inconnus,  c’est intellectuellement excitant.

A.D.T. : Y a-t-il un marché international pour l’art contemporain indien ?

H.P. : Un artiste comme Subodh Gupta est représenté et exposé dans le monde entier. Concernant l’art vernaculaire, nous en sommes au commencement. Je travaille avec certains  gros collectionneurs en France, aux Etats-Unis, au Japon, en Equateur, etc.

A.D.T. : Avec des personnalités comme Jangarh Singh Shyam et Jivya Soma Mashe, comment cela se fait-il que l’on n’ait pas entendu parler plus tôt de l’art vernaculaire indien ?

H.P. : Je vois deux raisons à cela. La première est intrinsèque à l’inde. Ce pays qui compte 3000 ans d’art sacré, du bouddhisme à l’hindouisme en passant par le jaïnisme qui ont complètement occulté l’art des premiers habitants de l’Inde, appelés Ādivāsī, ce sont les peuples aborigènes du pays.

La seconde raison est l’évolution de notre regard occidental. Certaines pièces que je présentais il y a 15 ans passaient inaperçues, aujourd’hui les grands collectionneurs sont dans un état d’esprit plus ouvert pour les apprécier réellement.

A suivre…

Jangarh Singh Shyam et Mayank Kumar Shyam

Jangarh Singh Shyam et Mayank Kumar Shyam

Jangarh singh shyam 1989 collection Fondation Cartier 182x122cm

Jangarh singh shyam 1989 collection Fondation Cartier 182x122cm

Art Contemporain Indien, Herve Perdriolle, Editions Cinq Continents, 2012

Art Contemporain Indien, Herve Perdriolle, Editions Cinq Continents, 2012

Une bibliographie indicative sur l’art vernaculaire indien :

→ L’art du Mithila par Yves Vequaud, 1976

→ The painted world of the warlis, Yashodara Dalmia 1988

→ Magiciens de la Terre Centre Pompidou 1989

→ Autres Maitres de l’Inde Quai Branly 2010

→ Painted Song, Thomas Kaiser, 2012

→ Art Contemporain Indien, Herve Perdriolle, Editions Cinq Continents, 2012

Video Hervé Perdriolle s’exprime sur l’art de Janghar Singh Shyam : 

F.B.