Suite et fin de mon entretien avec Marie-Bérangère Gosserez. Si vous avez raté la première partie, c’est ici.

Art Design Tendance : Quels sont les premiers prix chez vous pour acheter une pièce ?

Marie-Bérangère Gosserez : Pour 1.000-1.500 euros, vous pouvez acquérir une pièce signée, datée et numérotée.

A.D.T. : Pour des pièces fabriquées à  la main et en série limitée, vous restez accessible ! 

M.B.G. : Oui, même si je reconnais que certaines pièces sont aujourd’hui difficilement accessibles pour des clients qui m’ont suivi à l’ouverture de la galerie. Pour moi, c’est important qu’une personne puisse acquérir un objet contemporain à faible prix, comme un tabouret design par exemple. Cela permet de démarrer une collection.

A.D.T. : Comment se fixe le prix d’une pièce de design contemporaine ?

M.B.G. : On n’atteindra jamais, pour du design, les prix de l’art contemporain. Déjà parce que le prix d’un tableau relève plus d’une valeur immatérielle contrairement à une pièce de design pour laquelle les coûts de production sont connus. Prenez un tableau noir de Soulages par exemple, se baser sur un coût de production n’aurait pas de sens !

Je fais connaître de jeunes designers donc je ne suis pas concernée par une spéculation des prix. Je n’édite pas Ron Arad ou Zaha Hadid ! Mes clients ne viennent pas forcément m’acheter un nom. En revanche, ils suivent le travail de la galerie car ils s’aperçoivent que j’édite certains designers que l’on commence à retrouver ailleurs. La galerie est un tremplin. Je peux citer l’exemple de Valentin  Loellmann, sa console Spring/Summer a été primée « Plus Belle Pièce de Design Contemporain du PAD London en 2013 ». En deux années,  le prix de ses pièces ont doublé : de 750 à 1500 euros pour un tabouret « Fall-Winter » par exemple. Grégoire de Lafforest, designer dont j’édite les pièces depuis 2013, est en train de dessiner le mobilier pour Hermès : ce n’est pas rien ! Pas mal de designers avec qui je travaille sont régulièrement sélectionnés sur les stands tendances du Salon Maison et Objets, et on vient les « chercher » à la galerie.

Valentin Loellmann, console Spring-Summer

Valentin Loellmann, console Spring-Summer

A.D.T. : Est-ce que les grandes institutions culturelles commencent à montrer les travaux des jeunes designers ?

M.B.G. : Ça commence, mais cela reste très faible. J’ai eu les vases réalisés par Eric Jourdan acquis par le Fond National d’art Contemporain Paris, mais c’est un peu l’exception qui confirme la règle dans ma galerie. C’est un designer confirmé qui travaille déjà chez Roset et Cinna. J’ai aussi l’impression que les musées acquièrent des pièces moins accessibles au grand public et qui sont de l’ordre du spectaculaire. Ce sont souvent des pièces de musées car très fortes visuellement, donc difficiles à intégrer chez soi ! Or, je me situe plus dans la tradition des Arts Décoratifs ce qui explique peut-être que mes pièces ne sont pas non plus acquises par les musées de design…

A.D.T. : Justement, comment expliqueriez-vous à un novice la tradition des Arts Décoratifs ?

M.B.G. : C’est le travail de la matière avec des techniques artisanales et traditionnelles. Mes choix, à la galerie, ont évolué sur ce point. J’édite beaucoup moins de pièces qui pourraient être industrialisables qu’à mes débuts,  pour justement me positionner différemment d’autres éditeurs. Je mets donc en avant le savoir-faire artisanal des fabricants. C’est ainsi que je m’inscris dans cette tradition des Arts Décoratifs.

A.D.T. : Que vous apporte la participation à des foires internationales ? (récemment à Collective Design à New York) ?

M.B.G. : À Londres ou New York, j’ai la possibilité de trouver une autre clientèle qui travaille notamment beaucoup avec les décorateurs. Contrairement à la France, dans les pays anglo-saxons, le particulier qui veut meubler son intérieur avec goût fait appel à un décorateur. 95% de la clientèle rencontrée au Salon Collective Design était constituée de décorateurs. Les décorateurs font venir leurs clients sur les stands, ils sont des conseillers et des prescripteurs. Les particuliers sont plus représentés dans ma clientèle française.

Espace de la galerie Gosserez au dernier Salon Collective Design, New York

Espace de la galerie Gosserez au dernier Salon Collective Design, New York

A.D.T. : Y a-t-il des tendances qui se dégagent dans le design contemporain des années 2010 ?

M.B.G. : Nous sommes loin d’une période de style baroque ce qui finalement est surprenant car nous vivons une période économiquement plus difficile donc plus austère. Le design d’aujourd’hui n’est pas très drôle et je m’inclus dedans (rires). Je constate aussi que le design s’internationalise. Auparavant, le design était très européen (tradition art déco et art nouveau), or, aujourd’hui, des pays comme le Brésil, la Corée, l’Inde ou le Japon proposent des choses intéressantes.

A.D.T. : Quels conseils donneriez-vous aujourd’hui à un jeune designer motivé pour réussir ?

M.B.G. : Je lui dirais de moins regarder ce qui se fait maintenant mais de prêter attention à ce qui se faisait avant. Le design français est un microcosme où tout le monde se connaît et sait ce que chacun a fait. J’aurais donc tendance à dire : « arrêtez de regarder ce que font vos contemporains et puisez des idées sur ce qui s’est fait dans le passé ! ». D’ailleurs, peu vont à Drouot, c’est dommage ! Enfin, je leur dirais d’avoir leur propre style.

A.D.T. : Comment repérez-vous les talents de demain ?

M.B.G. : Je m’informe à travers la presse spécialisée, les blogs, les projets de fin d’études, mais je vais aussi à la rencontre des jeunes designers sur les espaces de salons qui leur sont dédiés, à Milan par exemple ou lors des Design Weeks. Mais l’essentiel pour moi reste le contact. Je veux savoir comment le designer appréhende sa carrière et s’il est prêt à dessiner des pièces pour moi, à produire des modèles uniques ou en série limitée. Le design de galerie n’a rien à voir avec le design industriel. Je les mets en garde sur des choix qui pourraient être incohérents : exposer dans ma galerie est difficilement compatible avec la commercialisation d’une pièce en quantité industrielle chez un grand éditeur.

A.D.T. : Comment voyez-vous le futur de votre galerie ?

M.B.G. : Les rencontres et les projets me font évoluer naturellement. Je suis quelqu’un qui a tendance à se lasser rapidement. Mon métier est merveilleux puisqu’il me permet de lancer de nouveaux projets avec de nouvelles matières, de nouveaux artisans et des techniques nouvelles.

Je souhaite continuer à rencontrer l’excellence dans le dessin et la fabrication et montrer de quoi sont capables les designers et les fabricants. Ma galerie est tout sauf un musée donc le challenge est de continuer à répondre aux attentes et à la demande des clients. Et donc de vendre.

A.D.T. : Une dernière question, aimez-vous l’art contemporain ?

M.B.G. : Pour être très honnête, c’est un domaine très vaste et mes goûts sont très éclectiques. J’aime aussi bien le Land art que le Street art. Bien évidemment, l’art contemporain m’intéresse, mais je manque cruellement de temps. Le design m’en demande déjà beaucoup !

Marie-Bérangère Gosserez, merci beaucoup pour le temps que vous m’avez accordé et le plaisir de découvrir ce bel endroit qu’est votre galerie !

Meridienne Oppe

Grégoire de Lafforest, Meridienne Opper, édition galerie Gosserez

 

Galerie Gosserez, vue du sous-sol, les pièces rayonnent dans cette très belle cave voûtée. Au 1er plan,

Galerie Gosserez, vue du sous-sol, les pièces rayonnent dans cette très belle cave voûtée.

 Os & Oos, Installation lumineuse The Mono-Light, édition Galerie Gosserez

Os & Oos, Installation lumineuse The Mono-Light, édition Galerie Gosserez

Valentin Loellmann. Table Fall/Winter, édition Galerie Gosserez

Valentin Loellmann. Table Fall/Winter, édition Galerie Gosserez

F.B.