L’artiste plasticien contemporain aime truffer ses œuvres de détails. Ce sont souvent des indices qui nous éclairent sur la vision et le regard que porte l’artiste sur le monde qui l’entoure. Tel détail, motif, répétition, vaut parfois mille discours. Chez certains c’est obsessionnel, tels les tableaux mouchetés de millions de points de Yayoi Kusama. Chez d’autres, c’est un emploi parcimonieux qui viendra discrètement réveiller la conscience du spectateur. ↓
L’obsession de la répétition
En visitant l’exposition récemment consacrée au très jeune artiste brésilien Maxwell Alexandre au Mac Lyon, j’ai expérimenté l’art de la répétition. Inquiet, je me suis demandé si j’étais le seul à remarquer l’emploi systématique du motif de l’impression plastique de la marque de piscine Capri ? Mais pourquoi donc les délicates toiles très colorées de cet artiste reprennent systématiquement, en fond, ce motif ? Passé la lecture du dépliant de l’exposition, de quelques articles en lien avec, non vraiment je me fais des idées, le procédé est purement esthétique :-)) ↓
L’art du branding et des symboles
Habilement, l’exposition intitulée Pardo é Papel que l’on peut traduire par « Brun est le papier », joue sur la sémantique. Le mot Pardo désignant à la fois la population métissée du pays, qui possède à des degrés divers une ascendance africaine, et un papier d’emballage brun-orangé sur lequel l’artiste conçoit ses tableaux. Selon l’intéressé, le terme brun a justement pour but de dissimuler la noirceur. Dans un pays culturellement raciste, on comprend alors l’intention de l’artiste d’afficher clairement la couleur : « Pardo is beautiful, black is beautiful too ! » ↓
Au-delà de cette histoire de papier, il a fallu que l’artiste soit terriblement épris des piscines Capri pour imposer un tel branding au spectateur ! Je n’aurais sans doute pas le fin mot de l’histoire, mais cette répétition stylistique me titille…
L’obsession sociale CAPRI-cieuse
Issu d’un milieu pauvre, Maxwell Alexandre a grandi et vit à Rocina, une des plus grandes favelas de Rio. On pourrait s’amuser de ma remarque sur l’emploi systématique d’un logo de piscines gonflables, mais le process est tout sauf hasardeux. À la façon dont Maxwell Alexandre brocarde avec talent les inégalités sociales et surtout raciales de son pays (au Brésil on emploi le terme de “pardos” pour les “bruns”), il faut voir la marque Capri comme un symbole révélateur du contexte inégalitaire brésilien. Dans la revue brésilienne Continente, l’artiste explique ainsi : « Cela faisait partie de mon enfance, de ce vocabulaire de taudis. Ces symboles qui sont dans votre vie, mais que vous ne comprenez pas correctement. Ma lecture de ces gravures concerne l’estime de soi, car elle parle de la distinction sociale qui existe dans la favela. Celui qui peut avoir chez lui une dalle (comprendre une chape de béton avec un revêtement) est d’un niveau social supérieur, mais celui qui peut avoir une piscine enterrée (dans la dalle) est d’un niveau social encore plus élevé ». Voilà tout est dit… ↓
Maxwell Alexandre, témoin de la mondialisation
Outre le symbole “Capri”, Maxwell Alexandre distille les références à la mondialisation des produits et à l’influence du marketing pour jauger du niveau de vie d’une personne. En avoir ou pas… Ainsi le personnage brun qui s’incruste dans certaines toiles de l’artiste représente Toddynho, la mascotte d’un célèbre produit laitier au Brésil. La marque Danone est aussi présente avec son super dino, Danonino. Comme pour les piscines Capri, Maxwell Alexandre fournit une explication sociologique claire : « Je pensais que c’était dingue de ne pouvoir avoir accès aux produits laitiers Danone et à la marque Toddynho quand je le voulais. Ce n’est arrivé que lorsque je suis allé chez d’autres personnes et que j’ai vu le réfrigérateur plein. Ce sont des objets qui parlent de distinction sociale, quelque chose qui se passe dans la favela (…). » ↓
Publicité pour la marque Toddynho, la cible marketing n’est clairement pas l’habitant d’une favela…↑
Voilà ces quelques réflexions qui rendent justice à l’auteur engagé de ces œuvres. Outre la portée puissante du discours, j’ai particulièrement apprécié le travail de l’artiste, assez peu commun, puisqu’il utilise dans ses compositions du cirage à chaussure, du latex, du henné ou encore du bitume. Les personnages des toiles, dont les traits du visage sont absents, souligne l’invisibilité d’une majorité dans un pays où les élites ont toujours la peau blanche. Et toujours ce fameux motif à l’origine bleu, qu’il adapte en fonction de l’humeur colorée du tableau… ↓
F.B.