Jamais je n’aurais pensé que mon amour pour les « Muscle Cars » – voitures américaines sportives aux lignes aguicheuses produites de 1964 à 1974 avec pour emblème la Ford Mustang – m’emmènerait sur les traces du premier « esthéticien » industriel…

Buick Riviera GS, 1971 et Ford Torino Talladega, 1969

Buick Riviera GS, 1971 et Ford Torino Talladega, 1969

Etrangement notre homme, né en France en 1893 à 2 pas de la Tour Eiffel, décoré après 4 années de Grande Guerre, est plus connu outre-Atlantique que dans son propre pays de naissance. Citoyen franco-américain en 1938, il est celui qui comprit que le développement de la société de consommation, et encore plus celui de l’« American Way Of Life », irait de pair avec un produit industriel designé. Que l’on donne envie au consommateur d’acheter un produit certes, de qualité, mais aux contours esthétiques réussis ! Voici une de ses plus brillantes réalisations, la « Studebaker Hawk », considérée comme la voiture précurseur des Muscle Cars. ↓

Studebaker Hawk Series (1956). Raymond Loewy a conçu une massive calandre à maillage chromé. Du style, une gueule !

Studebaker Hawk Series (1956). Raymond Loewy a conçu une massive calandre à maillage chromé. Du style, une gueule !

Issu d’un milieu bourgeois et conformiste, Raymond Loewy (1893-1986), puisqu’il s’agit de notre homme, quitte la France en 1919 pour New York. Plus rien ne le rattache à l’Hexagone : ses parents sont morts de la grippe espagnole sitôt la Première Guerre Mondiale terminée. Loewy rejoint à New York un de ses 2 frères. Il comprend rapidement le potentiel industriel du Nouveau Monde : la production de masse se développe, Henry Ford triomphe avec la Ford T, l’aéronautique et l’automobile avancent à vitesse grand V sous l’impulsion d’ingénieurs doués. Mais il manque indubitablement quelque chose au tableau, ce « je ne sais quoi » qui perdure et se renouvelle dans la vieille Europe. Les Américains inventent, fabriquent, commercialisent, mais se soucient peu du résultat esthétique du produit fini. Au même moment en France, le Salon des Arts Décoratifs de 1925, exposition universelle grandiose consacre l’art déco. Et des précurseurs comme Charlotte Perriand, Le Corbusier ou Pierre Jeanneret – cf article Charlotte Perriand – imaginent déjà les objets de demain aux lignes volontairement épurées. Raymond Loewy saisit alors sa chance, il imposera son credo : « la laideur se vend mal », titre d’un livre dans lequel il expose sa théorie.

Raymond Loewy, La laideur se vend mal, Gallimard 1952

Raymond Loewy, La laideur se vend mal, Gallimard 1952

Pour lui, il faut simplifier l’aspect esthétique d’une machine, donner envie au consommateur d’acheter un produit fini agréable au regard. Ce faisant, il séduit les industriels puisqu’il réduit les coûts de production. En avance sur son époque Loewy invente sans le savoir le marketing produit, l’art du packaging ! Pour le cigarettier Lucky Strike, il conçoit un nouvel étui révolutionnaire : impression du logo Lucky sur les deux côtés du paquet – Loewy invente au passage la publicité subliminale ! – blancheur du paquet pour séduire la gent féminine et rajout d’un papier cellophane qui protège l’étui cartonné

Raymond Loewy, étui pour Lucky Strike

Raymond Loewy, étui pour Lucky Strike

Par la suite Raymond Loewy réalisera bon nombre de logos, symboles de marques désormais installées dans notre inconscient collectif : BP, New Man, Exxon, Lu. Le palmarès est impressionnant pour un créatif qui élève le design graphique au rang d’art. Si on suit la pensée de Raymond Loewy, l’identité visuelle d’une marque comte autant que les produits ou services qu’elle propose. Il invente en quelque sorte la communication visuelle avant l’heure… ↓

Mais c’est le cas Shell qui attire mon attention, preuve de l’esprit visionnaire que fut Raymond Loewy. A la fin des années 60, l’agence de design La Compagnie d’Esthétique Industrielle – fondée par Loewy en France en 1952 et pendant de la Raymond Loewy Associates aux Etats-Unis – remporte le contrat Shell. Notre designer améliore le logo de la célèbre compagnie, mais surtout il imagine le concept de stations services comme nous le connaissons aujourd’hui ! ↓

Shell, station service

Shell, station service

La CEI et Loewy convainquent les dirigeants de Shell  que les clients ne sont pas les voitures, mais les individus de passage qui s’arrêtent dans de simples garages Peugeot ou Citroën. Exit, les garages, désormais le client s’arrêtera dans de véritables centre multiservices avec supérette, cafétéria. Un design novateur permet à l’automobiliste de se servir à la pompe, sans que le tuyau ne touche le sol. Loewy pense à tout : l’automobiliste pourra prendre son café sur place, protégé par un grand toit aux couleurs de Shell. Le succès du concept devient planétaire…

Durant toute sa carrière, Raymond Loewy touchera avec facilité et bonheur à tous les secteurs de production possible. Pour la compagnie Sears, Roebuck and Company, une chaîne américaine de grands magasins fondée en 1892, célèbre pour vendre toutes sortes de biens de consommation et d’équipement, Raymond Loewy se voit confier en 1934 le design du réfrigérateur Coldspot. Il conçoit un réfrigérateur esthétique, pratique et surtout 2 fois moins cher à fabriquer. C’est le jackpot : les ventes de l’appareil passent de 60.000 à 275.000 unités. Sa réputation fait, Loewy se consacre à des réalisations plus “sexy”, notamment dans le secteur automobile, en plein boom aux États-Unis. Il collabore avec la marque Studebaker, travaille aux modèles BMW 507 et Lancia Loraymo et redessine les fameux bus Greyhound. Mais aussi ce qui va booster sa carrière, le domaine ferroviaire : Loewy dessine les locomotives K4S, S1, T1 et GG1 des Chemins de fer de Pennsylvanie.

Raymond Loewy, Locomtotive GG1, 1934

Raymond Loewy, Locomtotive GG1, 1934

Raymond Loewy développe alors avec ses homologues américains Donald Deskey, Henry Dreyfuss, Brook Stevens, Norman Bel Geddes ou Walter Dorwin Teague  une manière de designer bien particulière, ce qu’il appelle le “Streamline”, soit un design aérodynamique et avant-gardiste inspire de l’aéronautique et qui façonne des véhicules dédiés à la vitesse (locomotives, voitures de sport, bateaux). 

Raymond Loewy pose devant un modèle Studebaker qui affiche un design aérodynamique

Raymond Loewy pose devant un modèle Studebaker qui affiche un design aérodynamique

Les formes du mouvement streamline, aussi appelé style paquebot évoquent les rondeurs de l’Art Déco et sont conçues avec de nouveaux matériaux comme l’aluminium, le métal brillant, la bakélite et les premiers plastiques. Homme de son temps, il collabore avec la NASA en réalisant notamment le design de l’intérieur de la station spatiale Skylab. En 1962, Le président J.F. Kennedy lui commande même la décoration d’Air Force One, l’avion présidentiel américain. Raymond Loewy, devenu une personnalité publique américaine très en vue, conçoit pour l’appareil une carlingue peinte d’une couleur bleue à la demande du président. Son coup de génie : il utilise un bleu écume de mer et une couleur argent sur la moitié inférieure qui feront dire qu’ils rendaient l’allure de l’avion plus horizontale et ainsi plus élégante. Loewy enlève le côté “militaire” de l’appareil et le fait rentrer dans la modernité. ↓

AIR FORCE ONE, de nouvelles couleurs pour rentrer dans la modernité

AIR FORCE ONE, de nouvelles couleurs pour rentrer dans la modernité

La Compagnie de l’Esthétique Industrielle (CEI) concevra des meubles inscrits dans la modernité. Le modèle DF 2000 est un classique du mobilier pop art, réalisé en plastique, et qui confère au meuble une grande fluidité

Raymond Loewy Compagnie de l'Esthétique Industrielle, Commode DF 2000, 1965

Raymond Loewy Compagnie de l’Esthétique Industrielle, Commode DF 2000, 1965

Si, comme moi, vous aimez le design, Raymond Loewy est une figure incontournable de son évolution. Curieusement, je le trouve assez méconnu en France alors que son empreinte dans le monde industriel reste indélébile et se prolonge encore aujourd’hui. The R.L. Touch is still alive !!!

Le site officiel de Raymond Loewy

F.B.