Quand j’étais petit puis étudiant, j’écrivais à l’encre de mon stylo-plume. Je ne sais pas si cet usage a toujours cours mais j’ai rencontré le maître du «paysage encré» en la personne de Roland Flexner. Cet artiste français exilé à New York a perfectionné à l’extrême l’art de projeter de l’encre «Sumi». Le Sumi est l’encre traditionnelle utilisée en calligraphie japonaise. Or, Flexner est passé maître dans l’art de la souffler, au bout d’une paille, composant des paysages imaginaires hallucinants de beauté. ↓

Roland Flexner, Sumi Drawing 29

Roland Flexner, Sumi Drawing 29

Roland Flexner, Sumi Drawings 10

Roland Flexner, Sumi Drawings 10

Tour à tour énigmatiques, inquiétants, baignés d’une noirceur oscillant entre le gris et le noir, les tableaux-scènes de Flexner nous ouvrent en grand les portes d’un imaginaire fantasmagorique. Ce que je préfère chez lui : imaginer un lac imaginaire, gelé, intemporel, comme ici par exemple : ↓

Roland Flexner, Sumi Drawings, 91

Roland Flexner, Sumi Drawings 91

Nature morte, forêt, mondes engloutis, lacs gelés, folie, enchevêtrement, beauté sombre, nature, sauvagerie, paysages lunaires, sont les mots et groupes de mots qui me viennent spontanément à l’esprit lorsque je visualise les tableaux encrés de l’artiste. On rentre dans l’univers de Flexner comme on pourrait rentrer dans un univers surréaliste. On peut ainsi penser à Max Ernst qui travailla sur le thème de la Forêt, développé dans une série de plus de quatre-vingts toiles du même nom réalisées en 1927-28. ↓

Max Ernst, La Forêt, série, 1927-1928

Max Ernst, La Forêt, série, 1927-1928

Ou encore à L’œil du silence ↓

Max Ernst, L'oeil du silence, 1943-1945

Max Ernst, L’oeil du silence, 1943-1945

Science-fiction et surréalisme font bon ménage, on ne sera pas surpris d’apprendre que L’œil du Silence chez Ernst a servi de repère à l’élaboration de la couverture du roman de science-fiction La forêt de cristal de l’écrivain britannique J.G. Ballard.  Ce dernier citait souvent le peintre surréaliste comme une de ses inspirations pour certains de ses romans comme Le Monde Englouti, La Forêt de Cristal, ou La foire aux Atrocités.

JG Ballard,  La Forêt de Cristal - Crystal World, 1966, couverture originale

JG Ballard, La Forêt de cristalCrystal World, 1966, couverture originale

Les paysages hallucinés de Roland Flexner donnent envie de rentrer dans la forêt de nos peurs inconscientes. On imagine ainsi assez bien les tableaux de Flexner comme cadre à l’intrigue du roman La Forêt de cristal de J.G. Ballard, dont on pourrait dire ainsi :  « Médecin dans une léproserie à Fort Isabelle, le Dr Sanders se rend à Port Matarre, ville sans attrait obombrée par les eaux noires du fleuve et par la jungle obscure – à « l’obscurité aurorale » semblable à celle de L’île des morts de Böcklin –, à la recherche d’un couple de collègues, Max et Suzanne Clair, dont il est sans nouvelles depuis cette étrange lettre de Suzanne – qui fut sa maîtresse –, dans laquelle elle décrit la forêt environnant la clinique de Mont Royal comme « la plus belle de toute l’Afrique, une véritable demeure de pierres précieuses ». Alors, faut-il craindre avec délectation les paysages étonnamment mystérieux et obscurcis de Flexner, ou, au contraire, s’y projeter dans l’univers merveilleux des possibles ? A vous de voir et de laisser votre imagination prendre le pouvoir…

Roland Flexner, Sumi Drawings 8

Roland Flexner, Sumi Drawings 8

Je remercie chaleureusement Roland Flexner d’avoir répondu à ma sollicitation et d’autoriser l’utilisation des photographies de son site web.

F.B.