Suite de l’interview avec Stéphane Barret, créateur plasticien qui travaille à la réalisation des célèbres poupées en cire du Musée Grévin et dont le travail à titre personnel – des sculptures hyperréalistes autour du corps humain – est présenté en ce moment chez Créapole,  jusqu’au 5 mai 2019.

Art Design Tendance : L’hyperréalisme se veut plus que du réalisme, mais on échoue sans doute toujours à capter l’humanité du modèle. Est-ce assumé et un moteur, car cela dérange, ou est-ce une frustration? 

Stéphane Barret : Je ne sais pas… Pour moi cet hyperréalisme n’est pas une priorité.

Stéphane Barret, Caloundra, résine polyuréthane, matériaux mixtes, peinture à l’huile et acrylique, Hauteur : 80 cm.

Stéphane Barret, Caloundra, résine polyuréthane, matériaux mixtes, peinture à l’huile et acrylique, Hauteur : 80 cm. « Sur sa tête, dans la zone dévolue ordinairement à la pousse des cheveux, un entrelacs dense et serré de fils de plastique rouge forme, au final, une boule intense, tant dans sa densité que dans sa couleur flamboyante. Cette sphère évolue en profil vers la forme d’une goutte coulant vers sa nuque, renforçant ainsi l’effet de masque. » Photographie ©Coline Jacquet.

A.D.T. : Au musée Grévin le sujet représenté est primordial, son identité majeure. Qu’est-ce qui oriente le choix de vos modèles dans vos créations personnelles? Leur personnalité ressort-elle dans la coiffe ?

S.B. : Je choisis le modèle selon des critères de beauté qui me sont propres. Le visage notamment est assez important pour moi et oriente mes recherches. Mes personnages ne présentent pas d’expression particulière. Il faut que le visage soit beau tout en étant sans expression.

A.D.T. : Dans l’acte de création que préférez-vous ? La conception, la réalisation, le résultat ?

S.B. : Il y a deux étapes dans mon travail.

L’étape du buste me pose peu de problèmes : j’ai scanné la personne, j’ai le volume, je sais où je vais. J’ai quelques interrogations sur le tatouage mais c’est assez défini et structuré.

La coiffure, sa construction et sa mise en couleur, me pose beaucoup plus de problèmes. Entre ce que j’ai dans la tête, ce que je dessine et le passage en volume, j’ai souvent des doutes quant au résultat. Je ne voyais pas les choses de cette façon, ce n’est pas ce que j’avais imaginé, … Cela plombe ma création. Parfois je laisse de côté mon travail quelques jours avant de le reprendre, finalement satisfait du résultat obtenu.

Stéphane Barret, Nelson, résine polyuréthane, matériaux mixtes, peinture à l’huile et acrylique, Hauteur : 1,50 m.

Stéphane Barret, Nelson, résine polyuréthane, matériaux mixtes, peinture à l’huile et acrylique, Hauteur : 1,50 m. « Cet homme est assis en équilibre sur le rebord, comme on le serait auprès d’une stèle. Il semble en pleine réflexion mais son attitude est sereine. Son couvre-chef n’est rien de moins qu’un énorme cube de béton, légèrement décentré, à la limite du déséquilibre. Par les zébrures de leur tracé, ses tatouages, teintés de gris, pourraient s’apparenter à des codes-barres et constituent de petits motifs, sur le torse, aux poignets tels des bracelets-montres. Portés également sur le dos, ils s’inscrivent dans un parfait carré, en cohérence géométrique avec la figure cubique de la coiffe. » Photographie ©Stéphane Barret.

A.D.T. : A quel moment selon vous le sens de vos œuvres s’écrit-il ? Portent-elles un message ?

S.B. : Je pense que le sens se crée tout au long du processus. J’ai des idées visuelles en tête quand je crayonne, ce que j’ai envie de raconter se construit petit à petit, et surtout à la fin.

A.D.T. : Chaque sculpture a un peu sa propre histoire, son récit ?

S.B. : Un ami aveugle m’a fait tous mes textes. Cela a été un exercice intéressant pour moi, puisque j’ai dû lui décrire les œuvres au téléphone, décomposer chaque sculpture, expression, couleur, lui expliquer le pourquoi,… Ce fut un vrai travail prospectif.

A.D.T. : Est-ce lui qui a trouvé les titres des œuvres ?

S.B. : Non, les noms des personnages sont uniquement des villes de l’hémisphère sud, de mon Territoire Sud (1). Adélaïde, Caloundra, Kimberlay,…  

Adélaïde, résine polyuréthane, matériaux mixtes, peinture à l’huile et acrylique, Hauteur : 1,30 m.

Stéphane Barret, Adélaïde, résine polyuréthane, matériaux mixtes, peinture à l’huile et acrylique, Hauteur : 1,30 m. « L’allure générale de sa coiffe rappelle la coiffure iroquoise. Cet ensemble, progressivement ouvragé, crée l’effet éventail. Buste tatoué de lignes à bords arrondis et de longueurs variables, leurs dispositions discontinues créent des effets de décalage. » Photographie ©Stéphane Barret.

A.D.T. : Voyez-vous une différence entre l’hyperréalisme du musée Grévin notamment et le réalisme ? Qu’apporte l’ « hyper » au réalisme ?

S.B. : Dans mes œuvres personnelles, je suis peut-être davantage dans le réalisme que dans l’hyperréalisme. Le personnage sous la coiffe passe presque au deuxième plan désormais. J’ai envie qu’il soit cohérent par rapport à sa coiffe, qu’il soit beau, mais je le finis assez rapidement. Le nu passe ainsi presque inaperçu sous la coiffe imposante. C’est vraiment elle qui apporte tout son sens à ma création et je fais beaucoup de recherche sur la matière, les couleurs…

A.D.T. : Vos œuvres s’écartent en effet un peu de l’hyperréalisme. C’est un genre bien à vous que vous créez.

S.B. : Je voulais échapper un peu à l’hyperréalisme que je pratique tous les jours et qui correspond à un vrai métier. Au Musée Grévin, je travaille avec des gens qui sont spécialisés dans les implantations, dans la peinture, etc. Je ne voulais pas partager, déléguer et donc emprunter la voie de Ron Mueck. Je me situe donc à mi-chemin entre réalisme et hyperréalisme.

A.D.T. : C’est intéressant aujourd’hui de constater que l’art contemporain s’exprime autant dans l‘abstraction que dans l’hyperréalisme, sans doute pour la première fois de l’histoire de l’art. Les artistes disent des choses complètement différentes en faisant de l’abstraction ou de l’hyperréalisme. Ici vous nous proposez un mélange intéressant entre les deux.

S.B. : Tout à fait, c’est un mixte. J’avais envie d’associer ces deux choses complètement différentes que sont la coiffe et le corps humain pour mélanger les genres.

Avec cette idée de coiffe surdimensionnée posée sur un corps humain je suis très libre, je peux aller très loin, dans des univers très différents, délirants et colorés. Le tatouage fait le lien entre le corps et cette coiffe et j’essaie de soigner cette liaison. Chaque œuvre forme un tout, une sculpture visible de loin par sa dimension, et en même temps de près on découvre une multitude de détails.

L’une des dernières sculptures réalisées pour l’exposition.

L’une des dernières sculptures réalisées pour l’exposition. Détail de la barbe naissante, des sourcils, des yeux, abstraction du tatouage et de la coiffe, morceau de mur cassé. Photographie ©Coline Jacquet.

A.D.T :  Comment se passe le travail en atelier, notamment à l’approche d’une exposition? Comment se prépare-t-on en tant qu’artiste à un tel événement ?

S.B. : Ce que je fais aujourd’hui me passionne. La sculpture me prend tout mon temps, mais je ne compte pas mes heures. J’ai la tête pleine d’idées, je pense que je n’aurais jamais assez de temps pour tout faire !

Je me sentais prêt à exposer depuis un moment. Mais je n’avais pas envie de séparer mes pièces dans différentes galeries, je souhaitais présenter la totalité de mon travail comme un ensemble : Territoire Sud, territoire de petits êtres nus portants des coiffes surdimensionnées. J’ai donc décidé de me lancer seul pour ma première exposition parisienne après celle au Grand Palais.

J’ai envie d’avoir un retour sur mes créations, de me faire connaître un peu. J’espère pouvoir continuer dans ce parcours un peu plus personnel, pour donner une suite à ces 3 ans de création personnelle durant lesquelles je me suis beaucoup investi.

A.D.T. : Est-ce que les boîtes de rangement sur lesquelles les œuvres sont photographiées leur serviront de socles lors de l’exposition ?

S.B. : Oui tout à fait. Pour protéger les sculptures j’ai fait des boîtes qui, customisées en vraies boîtes de transport, se transforment en socles. Cela apporte une troisième dimension aux choses et me permet de jouer sur les dimensions des socles. La scénographie est très importante dans ce corps à corps entre spectateur et œuvre.

L’artiste Stéphane Barret dans son atelier, au milieu de ses œuvres « en boîte ». Photographie ©Coline Jacquet.

L’artiste Stéphane Barret dans son atelier, au milieu de ses œuvres « en boîte ». Photographie ©Coline Jacquet.

(1) Titre de l’exposition.

Propos recueillis par Coline Jacquet.

Exposition Territoire Sud, du 27 avril au 5 mai 2019, Créapole, 21 rue du Pont Neuf, 75 001 Paris.

Nos remerciements chaleureux à Stéphane Barret et Elisabeth Dalby sans qui cette rencontre n’aurait pas été possible.

→ Pour en savoir plus :

Sur Ron Mueck :

https://www.contemporain.com/sculpture/artistes/celebres/ron-mueck.html

http://www.unregardcertain.fr/les-oeuvres-monumentales-et-troublantes-de-lartiste-ron-mueck/3120

https://www.fondationcartier.com/expositions/ron-mueck-1

Sur l’hyperréalisme :

http://www.hyperrealisme.net/