L’éditeur Cassina réédite cette année dans la collection « Cassina I Maestri », un grand standard de Charlotte Perriand, les meubles de rangement et bibliothèques murales « Nuage ».↓

Charlotte Perriand, réédition système de rangements NUAGE, Cassina 2012

Charlotte Perriand, réédition système de rangements NUAGE, Cassina 2012

J’avais déjà eu l’occasion d’évoquer le génie précurseur de Perriand, – CHARLOTTE PERRIAND en lettres majuscules, Charlotte Perriand et la photographie – vous faisant découvrir différentes facettes du savoir-faire de cette designeuse en avance sur son temps. J’y reviens aujourd’hui car la série « Nuage » prend son essence dans la rencontre de Charlotte Perriand avec le Japon. De plus, je suis une nouvelle fois frappé par l’extrême contemporanéité des meubles qui furent conçus à cette période – milieu des années 50 -, largement inspirés de cette rencontre avec la culture asiatique. ↓

Charlotte Perriand, réédition Bahut NUAGE, Cassina 2012

Charlotte Perriand, réédition Bahut NUAGE, Cassina 2012

De la découverte du Japon

Le 15 juin 1940, Charlotte Perriand s’embarque pour le Japon, à bord du Kahusan Maru. La France s’apprête à capituler 5 jours plus tard à Rethondes. Pour beaucoup d’intellectuels comme Perriand, l’avenir n’est plus en Europe. Charlotte Perriand ne part pas sans raisons au Japon, elle y est invitée par Junzô Sakakura qu’elle connaît très bien. Sakakura propose à Perriand de devenir conseillère dessinatrice en art décoratif auprès du Ministère du Commerce japonais. L’enjeu, pour le Japon, est de continuer et d’accélérer l’exportation de ses produits industriels et artisanaux. C’est un véritable enjeu stratégique pour le pays, surtout en vue de son entrée en guerre. Perriand, vu le contexte politique de l’époque hésitera, mais une telle offre n’arrive qu’une fois dans une carrière et elle s’engouffre alors dans ce projet.

Perriand se plonge dans la culture du pays et dans sa mission : orienter la production des arts appliqués d’un pays. C’est ainsi qu’en 1941 elle réalise sa première grande exposition au Japon qui se veut la rencontre d’un esprit moderne avec la tradition japonaise pour un usage européen. L’exposition s’intitule : « Contribution à l’équipement intérieur de l’habitation, Japon 2061. Sélection, tradition, création ». Rappelez-vous la chaise longue en acier chromé de 1928 ; Perriand utilise une matière première chère aux japonais : le bambou, et remplace l’acier par la matière végétale. Le nouveau matériau fait sensation : le corps se détend aussi bien et l’objet conserve cette beauté intemporelle qui en a fait un classique du design :↓

Charlotte Perriand, Chaise longue en bambou et bois, 1940

Charlotte Perriand, Chaise longue en bambou et bois, 1940

De même une chaise pliante conçue en 1939 s’intègre à l’univers artisanal japonais : elle comporte une ossature avec des coussins tissés en paille de riz. Le tout pouvant se transformer en fauteuil ou pouvant servir de pouf ! ↓

Charlotte Perriand, Chaise longue pliante en bois transformable en fauteuil, 1940

Charlotte Perriand, Chaise longue pliante en bois transformable en fauteuil, 1940

Pour réaliser cette exposition, Perriand a sillonné tout le pays, à la recherche des techniques artisanales japonaises. Sa démarche s’accorde assez bien avec « le Mingei », mouvement artistique japonais qui réaffirme la valeur traditionnel de l’artisanat japonais. En cela, Charlotte Perriand partage le même sens de l’épure que Soêtsu Yanagi, un des principaux théoriciens du mouvement. Perriand : « Je partageais les réflexions de Soêtsu Yanagi, liant l’usuel à la matière sans surcharge décorative ». Le fils de Yanagi, Sôri Yanagi, se formera auprès de Perriand et deviendra un designer de premier plan au Japon.

Le développement des idées japonaises avec Jean Prouvé

Cette première confrontation avec la culture orientale a profondément marqué Charlotte Perriand. De ses années asiatiques – Japon puis Indochine –, elle en a retenu certains principes de base. Au Japon l’équipement de l’habitation provient d’éléments semi-fabriqués qui sont récupérés dans la rue : tatamis, portes, cloisons, portes coulissantes dites « shôji », etc. Ces éléments se combinent et s’assemblent pour une production de masse. C’est grâce aux Ateliers Jean Prouvé que Charlotte Perriand va pouvoir mettre en pratique ces idées. Le 24 mars 1952, le constructeur nancéen et elle signent une convention de collaboration au département meubles des Ateliers Jean Prouvé. Très inspirée par sa période nippone, Charlotte Perriand va alors réaliser et développer de nombreux systèmes combinatoires qui sont aujourd’hui remis au goût du jour, la gamme « Nuage » chez Cassina en est un excellent exemple. ↓

Charlotte Perriand, Bibliothèque TUNISIE, fabrication Ateliers Jean Prouvé et André Chetaille, 1952

Charlotte Perriand, Bibliothèque TUNISIE, fabrication Ateliers Jean Prouvé et André Chetaille, 1952

Charlotte Perriand, Table haute MEXIQUE, fabrication Ateliers Jean Prouvé et André Chetaille, 1953

Charlotte Perriand, Table haute MEXIQUE, fabrication Ateliers Jean Prouvé et André Chetaille, 1953

Sur la lancée de sa collaboration avec Jean Prouvé, Charlotte Perriand connaîtra une « seconde période japonaise ». Elle retourne au Japon une première fois du 13 mai au 17 juin 1953. Elle prévoit une grande exposition à Tôkyô autour de l’habitat intérieur, encore et toujours, mais surtout de son industrialisation. Cette grande exposition s’ouvrira le 31 Mars 1955 dans la capitale japonaise et s’intitule : « Proposition d’une synthèse des arts, Paris 1955. Le Corbusier, Fernand Léger, Charlotte Perriand ». Il ne vous aura pas échappé qu’à la « distribution » de l’exposition figure le peintre Léger, grand ami de Perriand et que l’exposition a justement pour objet, dixit Perriand : « Exprimer la collaboration entre les artistes et les producteurs industriels » et « Réaffirmer le rapport d’unité entre l’architecture, la peinture, la sculpture ».

Pour préparer cette manifestation, Perriand a travaillé d’arrache-pied pendant 2 années. De cette période sont sorties parmi les plus belles créations de notre designeuse, c’est là mon avis. N’êtes-vous pas frappé par le retour actuel du design aux lignes épurées ? Esthétiques, fonctionnelles, pratiques, voici quelques unes des plus belles réalisations de Charlotte Perriand relatives à cette époque

Charlotte Perriand, chaises OMBRES empilées, 1954

Charlotte Perriand, chaises OMBRES empilées, 1954

Charlotte Perriand, réédition chaise OMBRA TOKYO, Cassina

Charlotte Perriand, réédition chaise OMBRA TOKYO, Cassina

Charlotte Perriand, Exposition " Proposition d'une synthèse des arts ", Tokyo, 1955. Banquettes TOKYO, coussins amovibles, tables basses carrées, piètement en tube laqué, plateaux en bois lamellé recouvert de mélanine noire ou blanche, tabourets bas BERGER.

Charlotte Perriand, Exposition ” Proposition d’une synthèse des arts “, Tokyo, 1955. Banquettes TOKYO, coussins amovibles, tables basses carrées, piètement en tube laqué, plateaux en bois lamellé recouvert de mélanine noire ou blanche, tabourets bas BERGER

Charlotte Perriand, réédition Banquette TOKYO, Cassina

Charlotte Perriand, réédition Banquette TOKYO, Cassina

Charlotte Perriand, Exposition " Proposition d'une synthèse des arts ", Tokyo, 1955. Fauteuils empilables OMBRE, table empilable AIR FRANCE.

Charlotte Perriand, Exposition ” Proposition d’une synthèse des arts “, Tokyo, 1955. Fauteuils empilables OMBRE, table empilable AIR FRANCE.

Charlotte Perriand, réédition Fauteuil OMBRA, Cassina

Charlotte Perriand, réédition Fauteuil OMBRA, Cassina

Ja,… mata ne !

じゃ、またね

F.B.

Certaines photo sont empruntées à l’excellent ouvrage de Jacques Barsac : « Charlotte Perriand et le Japon » , chez NORMA EDITIONS