Last Updated on 3 avril 2023 by Chloé RIBOT
Qu’ont en commun le réalisateur de cinéma russe Andreï Tarkovski (1932-1986) et le peintre américain Cy Twombly (1928-2011) ? Un goût prononcé pour la photographie, et en particulier le polaroid. Le premier a fait des études de peinture avant d’entrer dans une école de cinéma, le VGIK. Et le second a découvert le médium photographique à l’occasion de son séjour au Black Mountain College, au début des années 50, avec son ami Robert Rauschenberg. ↓
Les photos de Tarkovski : instantané et nostalgie
Dans les années 1970, le réalisateur de Nostalghia commence à prendre ses premiers clichés avec un polaroid. À cette époque, il coupe les ponts avec sa Russie natale, une décision douloureuse qui le pousse à « enregistrer » chaque moment passé, à capter les choses sur l’instant. Extraordinairement, les photographies de Tarkovski révèlent cette nostalgie de l’exil. Chaque cliché, amplifié par le côté « vintage » de la photo polaroid, enregistre des instants comme suspendus. Beaucoup de ses clichés, avec pour compagnon sensible la nature, semblent « brumeux », comme sortant d’un rêve éveillé. Parfois une douce lumière perce la scène, beauté fugace du temps qui passe. Oui, assurément, les photos de Tarkovski ont quelque chose de délicieux, une puissance libératrice qui nous détache d’un mode contemporain où tout est dit, su, filmé et commenté en temps réel. ↓
Les photos de Twombly comme un carnet de croquis
En regardant les photos de Tarkovski, je me suis rappelé celles de Cy Twombly ; quelques-unes avaient été exposées à l’occasion de la rétrospective qui lui était consacrée au Centre Pompidou (2016-2017). J’ai senti chez les 2 artistes la même nécessité d’emprunter au polaroid ses effets distanciés par rapport à la réalité de l’instant. Selon les spécialistes du grand peintre américain, Twombly a utilisé la photographie comme un carnet de croquis, enregistrant ce qui se passait autour de lui. Il a démarré en faisant des instantanés de ses instructeurs et collègues artistes au Black Mountain College en Caroline du Nord en 1951, et, l’année suivante, a photographié son propre travail et celui de son collègue Robert Rauschenberg dans le studio new-yorkais de ce dernier. Au départ, ce travail photographique n’était pas destiné à être exposé ou publié. ↓
Comme de nombreux artistes, Twombly a immédiatement pris le Polaroid SX-70 lors de sa sortie en 1972. Intelligemment conçu et peu coûteux, il a produit la première image instantanée, crachant une image au toucher de son bouton rouge. Tout ce que le photographe avait à faire était de regarder et d’attendre que l’image se résorbe. L’image SX-70 mesurait alors 3 pouces carrés. Sa surface semblable à un bijou a transformé le monde en un disque privé, une mémoire permanente de quelque chose de vu. ↓
Twombly a enregistré tous ses sujets – les pièces en écho de ses maisons, le feuillage au-delà, les couchers de soleil, les citrons et les fleurs de Rome et de Gaeta – dans une série de visions personnelles. Comme pour Tarkovski, le temps semble suspendu dans ces clichés, une qualité sur laquelle le diktat de l’instantané n’a plus aucune prise…↓
F.B.