Ben Vautier : Une vie à travers l’Art et la Provocation

Last Updated on 12 août 2024 by François BOUTARD

L’art contemporain a perdu une figure emblématique avec la mort de Benjamin Vautier, plus connu sous le nom de Ben, à l’âge de 88 ans. L’artiste a été retrouvé mort à son domicile de Nice le mardi 5 juin 2024, peu de temps après que sa fidèle épouse, Annie, eût disparu. Selon la famille du facétieux artiste, Ben se serait donné la mort. La fin justement, une thématique présente dans l’œuvre de l’artiste qui affirme le doute et contrebalance un ego immense qu’il assumait pleinement … Après tout, Ben se voyait comme un Dieu créateur. Une phrase transgressive apposée sur un panneau avec un concept nouveau ? Picasso, Duchamp, ne l’ont pas fait, mais lui oui : alors c’est nouveau et c’est génial ! C’est une façon de vous dire que cet artiste qu’on pouvait parfois taxer de « grand enfant turbulent », avait construit un système conceptuel dans lequel l’ego, le doute, la mort et le sexe interagissaient pour former un socle équilibré dans la vie de l’artiste … Une manière de vivre l’art très éloignée des démonstrations potaches qu’on lui connaissait … ↓

Artiste avant-gardiste et provocateur, Ben a marqué le monde de l’art par son approche unique qui fusionne art, philosophie et humour. Né à Naples en 1935, il a grandi en parcourant le monde avant de s’installer à Nice, où il a développé une carrière artistique riche et influente. En 2020, j’avais interviewé Ben pour le blog grâce aux reporters Matthieu Alexandre & Marjolaine Edouard, pour tenter de saisir la philosophie de l’artiste ¹ . ↓

 

Les Débuts et l’Influence Fluxus

Ben Vautier a commencé sa carrière artistique dans les années 1950 en tant qu’autodidacte, initialement attiré par la musique et l’écriture. Cependant, sa rencontre avec le mouvement Fluxus et son fondateur George Maciunas a été déterminante. Le mouvement Fluxus prônait une expérience artistique participative, brisant les barrières entre l’artiste et le public, une philosophie qui a profondément influencé Ben.

Fluxus, un mouvement international de l’avant-garde, se caractérise par une approche radicale et souvent humoristique de l’art, visant à intégrer la vie quotidienne dans les œuvres artistiques. Ben a embrassé cette philosophie en déclarant que « tout est art » et en utilisant cette maxime comme fil conducteur de son travail​. Du 27 juillet au 4 août 1963, Ben fut le metteur en scène du Festival Fluxus de l’art total et du comportement à Nice. Les membres du mouvement vinrent performer dans la ville, dans une ambiance de festival joyeusement bordélique !  ↓

 

Les « Écritures » et les Performances

Ben est surtout connu pour ses « écritures », des œuvres constituées de phrases courtes et provocantes écrites sur des toiles, des objets du quotidien ou des murs. Ces déclarations, telles que « Je ne comprends pas », « Qu’est-ce que l’art ? », ou encore « L’art est partout », invitent les spectateurs à réfléchir sur les conventions sociales, politiques et artistiques​. ↓

Ses performances étaient tout aussi iconoclastes. Il a réalisé des actions comme signer des objets trouvés, des amis, et même des passants, transformant ainsi des éléments ordinaires en œuvres d’art. L’une de ses performances les plus célèbres, « Vomir », consistait à vomir dans un bocal et à l’exposer comme une œuvre d’art. Son approche ludique et provocante des mots et des concepts a continuellement poussé les limites de ce que l’on peut considérer comme de l’art​. ↓

 

 

Le Magasin et la Scène Artistique Niçoise

En 1958, Ben a ouvert le Laboratoire 32, autrement appelé Le Magasin, une boutique de disques d’occasion à Nice. Rapidement, Ben va transformer cette boutique en un véritable centre d’art total, un espace de publication, de rencontre et de discussion qui attire des artistes de divers horizons. Le lieu lui-même devient un happening permanent, où la frontière entre l’art et le quotidien s’estompe. Ben utilise ce magasin pour interagir directement avec le public, rendant l’art accessible et participatif. Il n’est pas rare de croiser l’artiste en train de discuter avec les visiteurs ou de réaliser une performance spontanée. Encouragé par Yves Klein, Ben a commencé à écrire sur les murs de sa boutique, une pratique précurseur de ses futures « écritures ». Cette boutique a également été un lieu d’échange pour des artistes comme Martial Raysse, Bernar Venet et Sarkis.

Ben y intègre divers éléments pour créer une sculpture évolutive qu’il baptise N’importe quoi. En 1974, il déménage son magasin pour l’installer au musée du Centre Pompidou. Les murs, « tableaux » et objets sont ornés de mots inscrits dans son style rond et naïf caractéristique. Ces phrases célèbrent la vie tout en questionnant le statut de l’artiste et la condition humaine. ↓

 

 

La Fondation du Doute à Blois

L’un des projets marquants auxquels Ben Vautier a contribué est la création de la Fondation du Doute à Blois. Inaugurée en 2013, cette fondation est dédiée à l’art contemporain et à l’esprit Fluxus. Le projet a pris forme grâce à la collaboration de Ben avec la ville de Blois et d’autres artistes de la scène Fluxus. La Fondation du Doute abrite une collection impressionnante d’œuvres d’artistes Fluxus et contemporains, et sert de centre d’exposition, d’échange et de réflexion sur l’art et ses frontières.

La genèse de ce projet remonte à la volonté de Ben de créer un espace où l’art pourrait être à la fois provocateur et accessible, en résonance avec sa philosophie que « tout est art ». La Fondation du Doute propose non seulement des expositions permanentes et temporaires, mais également des performances et des ateliers, encourageant l’interaction entre les artistes et le public. Ce lieu est devenu un symbole vivant de l’héritage artistique de Ben et de son engagement pour une expression artistique libre et innovante​..

 

Une Vie de Provocation et d’Innovation

Ben Vautier a toujours cherché à provoquer et à étonner. Ses performances incluaient des gestes extrêmes comme hurler jusqu’à perdre sa voix ou uriner dans un bocal. En 1963, il a même signé toute la ville de Nice et a produit des certificats d’authenticité pour cette « œuvre ». Ces actes ont testé les limites de ce qui peut être considéré comme de l’art et ont repoussé les frontières de l’intervention artistique.

 

L’Héritage de Ben

Ben Vautier laisse derrière lui un héritage indélébile dans le monde de l’art contemporain. Ses œuvres sont présentes dans des collections prestigieuses comme le Centre Pompidou à Paris, le MoMA à New York, et le Musée Reina Sofía à Madrid. Il est reconnu non seulement pour ses contributions à Fluxus, mais aussi pour son influence sur le mouvement de la Figuration Libre​.

La mort de Ben Vautier marque la fin d’une époque pour l’art contemporain. Sa capacité à mélanger provocation, humour et réflexion profonde sur la nature de l’art a laissé une marque indélébile. Ben a laissé une empreinte faite de liberté et de poésie, de légèreté apparente et de profondeur accablante​. Son travail continue d’inspirer et de défier les conventions, rappelant à chacun que, véritablement, « tout est art ».

(1) L’interview du blog sert de support et d’exercice dans le Cahier d’Activités de « L’ATELIER » niveau B2 aux Editions DIDIER- Méthode de français pour le FLE (Français langue étrangère).