Martial Raysse, une voie singulière dans l’art contemporain français

Martial Raysse est un artiste français né à Golfe-Juan-Vallauris le 12 février 1936. Artiste protéiforme, il aura expérimenté toutes sortes de pratiques artistiques au cours de sa carrière : assemblage d’objets récupérés, photographies, installations, décors de théâtre, sculptures, mobilier urbain, mosaïques, peintures. etc. Son goût pour la réalisation d’œuvres plurimédiumniques, c’est-à-dire ceux qui usent simultanément de plusieurs médiums, témoigne d’une grande créativité et d’une soif pour l’expérimentation. Alors qu’on a souvent tendance à réduire son œuvre à la peinture, Martial Raysse est bien plus que cela : il a patiemment construit un univers très personnel, une voix singulière dans l’histoire de l’art contemporain français. Reconnu hors des frontières françaises, Martial Raysse possède la particularité d’avoir vu son travail reconnu et acclamé d’abord aux États-Unis, lui qui  imagina avec ses amis artistes niçois, Yves Klein et Arman, un axe Nice-Los Angeles-Tokyo, pour contrecarrer l’écrasante domination de l’axe Paris-New-York 🙂 . En 1965, alors qu’il n’a que 29 ans, le Stedelijk Museum d’Amsterdam lui consacrait déjà une exposition rétrospective. En 2014, le centre Georges Pompidou organisait une grande rétrospective de son œuvre. ↓

 

Martial Raysse : le plaisir des couleurs

J’ai découvert l’artiste à l’occasion d’une visite au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne intitulée : Proposition to escape : « Heart garden » (1966). Une installation au propos volontairement ironique combinant néon, plexiglass, métal peint, ou encore du bois. La poésie de l’œuvre, la couleur des matériaux, sa gaieté et surtout son propos faussement naïf m’avait séduit. Dans la série Made in Japan, Raysse s’est accordé une grande liberté pour réinterpréter des classiques de la peinture française. Il revisite La Grande Odalisque d’Ingres, pour réaliser un visage aux couleurs acidulées, complété par des objets de pacotille fabriqués au Japon. La richesse chromatique de ses tableaux réalisés dans les années 60 envoûte mon regard !  ↓

Jean-Auguste-Dominique Ingres, La Grande Odalisque, 1814

Jean-Auguste-Dominique Ingres, La Grande Odalisque, 1814

 

Ingres, La Grande Odalisque, détail du visage

Ingres, La Grande Odalisque, détail du visage

 

Martial Raysse, La grande odalisque, 1964.  Peinture acrylique, verre, mouche, passementerie en fibre synthétique, sur photographie marouflée sur toile. Photo : Philippe Migeat / Centre Pompidou, MNAM-CCI / Dist. RMN-GP © Adagp, Paris 2014

Martial Raysse, La grande odalisque, 1964. Peinture acrylique, verre, mouche, passementerie en fibre synthétique, sur photographie marouflée sur toile. Photo : Philippe Migeat / Centre Pompidou, MNAM-CCI / Dist. RMN-GP © Adagp, Paris 2014

Pour être honnête, les tableaux de Martial Raysse désarçonnent toujours au 1er regard, car la vivacité des couleurs employées surprend. C’est ce jeu qui me plaît ici : l’acclimatation progressive du regard à un sujet de facture classique traité avec des couleurs surprenantes ; la confrontation peinture classique/peinture contemporaine, et cette dernière qui prend le large… Martial Raysse nous emmène du classique vers un ailleurs aux allures exotiques dont j’ai envie de dire, que malgré les apparences, ça tient la route. C’est surprenant au 1er regard, puis cela devient évident !

J’aime aussi d’autres tableaux de nus ou de visages féminins de cette même période. La couleur toujours, qui saute aux yeux, puis séduit, embellit.. J’💗. Bien sûr, on rapproche Martial Raysse du Pop art américain pour l’utilisation de ses couleurs pétantes, très pop, et ses emprunts à l’imagerie publicitaire et à la vie quotidienne. Certains estiment d’ailleurs qu’il est le “Warhol français”. Je trouve la dernière expression injustifiée, je préfère le voir comme l’égal d’un Roy Lichtenstein qui invente un nouveau langage pictural, avec une dose de fantaisie et d’humour supplémentaire. D’ailleurs, les couleurs volontairement criardes qu’il emploie, associées à un soupçon de vulgarité, tendance kitsch, ne sont-elles pas un contrepied au Pop art, une critique en filigrane de la société de consommation ? J’aime le traitement de sujets féminins par Raysse qui dégagent une grande sensualité. L’artiste fait aussi partie des pionniers pour utiliser le néon dans ses tableaux. Pour le plaisir des yeux : ↓

Martial Raysse, Nu jaune et calme, 1963

Martial Raysse, Nu jaune et calme, 1963. © Adagp, Paris

 

Martial Raysse, peinture simple et tranquille, 1965

Martial Raysse, peinture simple et tranquille, 1965. © Adagp, Paris

 

Martial Raysse, Soudain l'été dernier, 1963

Martial Raysse, Soudain l’été dernier, 1963. Peinture acrylique sur toile et photographie, chapeau de paille, serviette éponge. © Adagp, Paris

 

Martial Raysse, Verte pour toujours, 1963

Martial Raysse, Verte pour toujours, 1963. Peinture, xérographie contrecollée sur toile, velours, bois, perles en plastique. Martial RAYSSE © Adagp, Paris, 2022. Photo: Jean-Louis Losi, Paris.

 

Martial Raysse, Nissa Bella, 1964

Martial Raysse, Nissa Bella, 1964. © Adagp, Paris

 

Martial Raysse, Sans titre, 1964

Martial Raysse, Sans titre, 1964. © Adagp, Paris

 

Martial Raysse, Peinture sous haute tension, 1965

Martial Raysse, Peinture sous haute tension, 1965. © Adagp, Paris

Fascinant et énigmatique Ici Plage, comme ici-bas

En 2012, Martial Raysse peint la fresque monumentale Ici Plage, comme ici-bas. Une œuvre foisonnante présentée lors de la rétrospective de l’artiste au Centre Pompidou en 2014. Elle semble en quelque sorte boucler la boucle, entre les premières peintures et installations autour du thème de la plage et notamment Raysse Beach (1962-2007). ↓

Ici plage, comme ici-bas (2012), de Martial Raysse.

Ici plage, comme ici-bas (2012), de Martial Raysse. © ARTHUS BOUTIN/PINAULT COLLECTION/ADAGP, PARIS 2014

 

 

Vue de l'installation Raysse Bech, Martial Raysse, 1962-2007

Vue de l’installation Raysse Beach, Martial Raysse, 1962-2007. 9 panneaux en bois : peinture vinylique appliquée sur photographie collée sur Masonite, et application d’objets divers. © Adagp, Paris

Un détail amusant : dans l’installation Raysse Beach, Raysse utilise un dauphin en plastique, bien des années avant que Jeff Koons n’en fasse un objet kitsch et populaire… J’avoue que La Plage me fascine, on devine en arrière-plan du tableau des références à l’histoire, des personnages courent et fuient la guerre, les destructions et la violence, à l’image d’une scène moyenâgeuse. À l’inverse, les personnages du 1er plan évoquent l’époque contemporaine. Raysse les dépeint à l’aide de couleurs agressives et dissonantes. Pourquoi ? Quelle société succède à la profusion (faussement) heureuse des couleurs pop des années 60 ? On peut voir plusieurs messages, notamment celui d’une population coincée par la montée des eaux consécutive au réchauffement climatique – toute l’humanité semble s’être donné rendez-vous sur une bande de terre étroite !, entre plage et terrain vague… Auriez-vous envie de vous baigner dans la flaque du 1er plan ? La pinup hésite, s’accroche à sa bouée…

J’ai le sentiment que La Plage exprime : “The Show must go on !” dans un entredeux de l’histoire où chacun sait que plus rien ne sera comme avant… Le carnaval grotesque avant la tempête ?

F.B.