Versailles accueille chaque année un artiste contemporain depuis 2008, l’occasion de s’interroger sur les spécificités de l’exposition de l’art contemporain au sein du patrimoine. Quelle relation entre le patrimoine, institué comme beau, objet d’un consensus national, et l’art contemporain, toujours décalé, polémique et propice à diviser ?

Pratique exceptionnelle hier encore, l’art contemporain s’expose de façon de plus en plus courante, voire banale, au sein de monuments historiques, symboles de notre héritage culturel commun. Au fil des expositions, la vision du rapport entre patrimoine et art contemporain évolue, et Versailles illustre parfaitement ce changement de paradigme : on sollicite désormais non plus uniquement de grands artistes controversés, comme purent l’être Jeff Koons ou Murakami à Versailles en 2008 et 2010, mais aussi des artistes prêts à entrer en résonance avec le lieu. Versailles n’est pas un décor : il n’est plus question de rivaliser avec les ors du Roi Soleil, de faire naître la polémique, ou de créer une quelconque hiérarchie entre art contemporain en quête de reconnaissance et patrimoine consensuel. ↓

Vue de l'Exposition Jeff Koons à Versailles, 2008.

Vue de l’Exposition Jeff Koons à Versailles, 2008. Le Chien-Ballon, une sculpture gonflable de l’artiste américain Jeff Koons, est exposée dans le salon d’Hercule au château de Versailles.

Ici, les œuvres contemporaines bouleversent autant qu’elles embellissent. La dichotomie entre art contemporain et patrimoine classique offre à ce dernier une lisibilité nouvelle. Pour des lieux aussi emblématiques que Versailles, que l’on visite souvent une fois dans sa vie, les expositions temporaires sont l’occasion de redécouvrir le château, d’y revenir régulièrement pour l’appréhender de façon toujours nouvelle, nous rappelant ainsi que Versailles fut un haut lieu de création et de mouvance artistique avant de se figer peu à peu. L’art contemporain cherche à y insuffler de nouveau un peu de cette vie et de ce dynamisme novateur.

Versailles et les œuvres pérennes : une relation d’éveil et de complémentarité

Le Lustre Gabriel, modernisation du lustre en cristal

Le château s’enrichit désormais régulièrement d’œuvres contemporaines permanentes, au fil des restaurations. En 2013, le lustre ornant l’escalier Gabriel  a ainsi été la première œuvre pérenne installée à Versailles. Cette œuvre des artistes Ronan & Erwan Bouroullec  offre une réinterprétation sensible du lustre en cristal à travers ses trois cordes de cristal qui forment un dessin organique, régi par les lois de la pesanteur. ↓

Le Bosquet du Théâtre d’Eau : quand le menuet rencontre l’art contemporain

Le bosquet du Théâtre d’Eau a quant à lui été restauré par le paysagiste Louis Benech et l’artiste plasticien Jean-Michel Othoniel. Le projet invite le visiteur à une promenade dansante, inaugurée en 2015. Ici, l’artiste s’est inspiré du rapport formel entre la chorégraphie des danses baroques et le dessin des jardins pour dessiner trois sculptures fontaines en perles de verre. « On y lit l’évocation d’une danse joyeuse et bondissante, une danse à trois temps faite de circonvolution et de ricochets. » pour reprendre les termes de l’artiste lors d’une interview. Le roi danse à nouveau, sur l’eau. ↓

Restauration du Bouquet du Théâtre d'Eau par Jean-Michel Othoniel et Louis Benech

Restauration du Bosquet du Théâtre d’Eau par Jean-Michel Othoniel et Louis Benech, château de Versailles, 2015. Source : www.versaillesinmypocket.com 

 

Ces œuvres contemporaines font consensus par leur habilité à jouer avec les codes du Beau à Versailles. Elles utilisent l’or, le cristal et l’eau dans des formes nouvelles et parviennent à se fondre dans les ornements du château par leur capacité à jouer à la fois de leur différence et de leur similitude avec ceux-ci, en se plaçant subtilement du côté d’un savoir-faire de luxe (le Lustre Gabriel a ainsi été fabriqué par Swarovski) et du design contemporain.

Les expositions temporaires, autant de manières de regarder Versailles

Chaque année, le château accueille un nouvel artiste, dont les œuvres invitent à appréhender les lieux de façon toujours différente, en empruntant d’autres trajectoires.

Ólafur Elíasson : le Versailles des mirages

Ólafur Elíasson fut, en 2016, un des premiers artistes invités à Versailles à utiliser les lieux comme matière première de ses œuvres à l’occasion d’une exposition temporaire présentant un autre Versailles, un Versailles de mirages, à travers une succession de machines optiques et d’expériences illusionnistes grandeur nature, qui brouillent notre perception de l’espace et déforment la réalité.

The Curious Museum, un miroir monumental disposé devant la façade du Salon d’Hercule, dédoublait ainsi la salle ; là où The Sense of Unity, dans la Galerie des Glaces, reflétait à l’infini un cercle qui se démultipliait dans les miroirs de la Galerie, créant un labyrinthe sans issue.

Ses œuvres, présentées le temps d’une exposition temporaire, s’ancrent dans l’histoire des pratiques de la Cour, lieu d’observation et de préservation des normes sociales par un jeu constant de regards, jeu amplifié par l’architecture baroque qui crée illusions et perspectives. ↓

Installation Your Sense of Unity au Château de Versailles, 2016. Conception et réalisation Ólafur Elíasson

Installation Your Sense of Unity au Château de Versailles, 2016. Conception et réalisation Ólafur Elíasson. ©Anders Sune Berg

Hiroshi Sugimoto : portraits de famille

Hiroshi Sugimoto, dont les œuvres sont visibles à Versailles depuis le 16 octobre, semble lui aussi être entré en résonance avec les lieux pour faire revivre le passé le temps d’une exposition. Ce grand artiste japonais, investit de ses œuvres éclectiques à deux, trois ou quatre dimensions le Domaine de Trianon, lieu dédié à l’intimité des souverains. L’artiste y présente les ombres des grands personnages qui ont marqué ces lieux, de Louis XIV à Marie-Antoinette en passant par Madame du Barry. Ses photographies, obtenues à partir de figures de cire criantes de réalisme et moulées sur le vivant, dégagent une aura mystique, troublante, accentuées par la profondeur du négatif. Ses œuvres viennent prolonger les galeries de portraits du Domaine et questionnent notre rapport au temps, à la photographie et aux nouveaux supports de l’art contemporain. ↓

Photographie de Hiroshi Sugimoto, Louis XIV, 2018 au Château de Versailles. Courtesy de l'artiste & Gallery Koyanagi (Tokyo) ; Marian Goodman Gallery (New York, London, Paris) ; Fraenkel Gallery (San Francisco). © Hiroshi Sugimoto.

Photographie de Hiroshi Sugimoto, Louis XIV, 2018 au Château de Versailles. Courtesy de l’artiste & Gallery Koyanagi (Tokyo) ; Marian Goodman Gallery (New York, London, Paris) ; Fraenkel Gallery (San Francisco). © Hiroshi Sugimoto. Source : https://culturebox.francetvinfo.fr 

Ainsi, la rencontre de l’art contemporain et du patrimoine agit comme une véritable figure de style qui exacerbe, d’un côté l’art le plus contemporain, et de l’autre le patrimoine le plus classique. Cette mise en relation met en exergue tous les questionnements portés par l’art contemporain concernant notre société actuelle, en soulignant l’écart qui la sépare désormais des sociétés dans lesquelles pareil patrimoine a pu naître, tout en dépoussiérant celui-ci. Au-delà de l’aspect marketing pour l’artiste comme pour le lieu, ces expositions sont l’occasion de redécouvrir chaque année Versailles, ce classique du patrimoine français, mais aussi tant d’autres monuments historiques ! ↓

Hiroshi Sugimoto, Napoleon Bonaparte, 1999, tirage argentique. Installation au château de Versailles 2018. Courtesy de l’artiste © Tadzio

Hiroshi Sugimoto, Napoleon Bonaparte, 1999, tirage argentique. Installation au château de Versailles 2018. Courtesy de l’artiste © Tadzio.

Écrit par Coline Jacquet.