Déambuler dans le Musée d’Art Contemporain de Lyon en compagnie de Thierry Raspail, son directeur depuis sa création en 1984, est toujours un plaisir. Thierry Raspail est un vulgarisateur très efficace, avec une passion chevillée au corps qui donne tout son sens à l’Institution lyonnaise et à ce pourquoi j’aime tant l’art contemporain. Avec lui, l’art contemporain est abordé de façon simple, jamais de façon pédante ou prétentieuse – le leitmotiv des grincheux de l’art contemporain -, preuve de l’extraordinaire pouvoir de compréhension du monde moderne qu’il propose. Et cela d’autant plus lorsque notre hôte évoque avec gourmandise la façon dont le musée constitue, depuis plus de 30 ans maintenant, une collection qu’il espère non pas pléthorique, mais pensée « en termes de fragments ».

Le Bonheur de Deviner Peu à Peu, tel est le titre de l’exposition que présente actuellement le MAC Lyon sur un de ses étages et qui rassemble 7 oeuvres de 7 artistes différents, toutes entrées dans la collection du musée. On ne saurait trouver meilleur titre à mon sens, puisque l’art contemporain nous permet précisément, en partant d’un univers qui nous est souvent étranger d’appréhender peu à peu, une oeuvre. C’est ce que j’aime dans l’art contemporain : être confronté, brusquement, à des référentiels très différents de ceux de mon environnement quotidien pour entamer un voyage intérieur vers d’autres émotions. L’artiste suggère, le spectateur voyage, peu à peu… ↓

Le Bonheur de Deviner Peu à Peu, une exposition du Mac Lyon sur la collection du musée

Le Bonheur de Deviner Peu à Peu, une exposition du Mac Lyon sur la collection du musée. D’après une oeuvre de Mel Ramos, artiste de la collection du MAC Lyon

Oeuvre de Mel Ramos, exposition Le Bonheur de Deviner Peu à Peu au MAC Lyon. Le MAC Lyon a acquis 55 oeuvres de l'artiste dédiées à la figure féminine

Oeuvre de Mel Ramos, exposition Le Bonheur de Deviner Peu à Peu au MAC Lyon. Le MAC Lyon a acquis 55 oeuvres de l’artiste dédiées à la figure de la pin-up + 2 oeuvres de figure masculine se détachant sur des fonds représentés par des logos de marques.

En 1984, lors de la création du musée, Lyon n’avait aucun passé en matière d’art contemporain. Si la décision de créer un musée d’art contemporain fut actée à l’époque, il n’y avait rien à y présenter, aucun fonds ! L’idée était alors de constituer une collection originale, complémentaire à celle du Musée d’Art Moderne de Saint-Etienne, et surtout à celle du Musée de Grenoble, une place forte de l’art moderne et contemporain. Plutôt que de vouloir présenter à tout prix un panel des oeuvres des artistes les plus fameux, au risque d’acquérir des oeuvres de seconde zone, l’idée de départ fut au contraire de collectionner des expositions plutôt que des oeuvres, de sorte que les oeuvres acquises d’un artiste constitue un tout qui à lui seul puisse faire l’objet d’une exposition. Autre idée directrice : collectionner les oeuvres des artistes à leurs débuts, ce qui, pour bon nombre d’artistes rentrés dans la collection, renvoie aux années 60 ou 70.

Thierry Raspail rappelle que l’acquisition d’une oeuvre suit un cheminement rigoureux. Ainsi, pour financer et valider l’entrée d’une oeuvre dans la collection, cette dernière est proposée par le conservateur du musée devant une commission scientifique – commission scientifique régionale des Musées de France – qui réunit des conservateurs de disciplines très différentes. Sont alors jugés la cohérence d’intégrer l’oeuvre au fonds déjà existant et le rapport qualité/prix. Selon Mr. Raspail, La Ville de Lyon, la région au travers du FRAM (Fonds régional d’acquisition des Musées) et le ministère, soient les tutelles du musée, peuvent s’opposer à la décision d’achat. Autre information importante : une fois acquise par le MAC Lyon, l’oeuvre devient inaliénable, c’est-à-dire qu’elle ne peut être revendue. Une différence majeure avec les musées publics américains qui peuvent eux, décider de revendre les oeuvres acquises. Cette disposition fait aujourd’hui débat dans la communauté muséale. ↓

Jean-Luc Mylayne, n°89, Février 1987 - Février 2008 - tryptique. L'artiste donne l'oeuvre au musée en 2001, après l'exposition Jean-Luc Mylayne, Tête d'Or, 2009.

Jean-Luc Mylayne, n°89, Février 1987 – Février 2008 – tryptique. L’artiste donne l’oeuvre au musée en 2001, après l’exposition Jean-Luc Mylayne, Tête d’Or, 2009.

Alors évidemment on imagine la difficulté de collectionner le bon artiste dans une histoire de l’art encore récente s’agissant de l’art contemporain… On pense aussi aux cotes faramineuses qu’atteignent aujourd’hui certains artistes et de l’impossibilité pour un musée fonctionnant avec des fonds publics de les acquérir… C’est pourquoi Thierry Raspail et le Mac Lyon ont fait le choix de travailler la proximité avec les artistes contemporains. Thierry Raspail visite les expositions auxquelles les artistes participent, il les rencontre, se rend dans leurs ateliers ou visite les galeristes qui les soutiennent. Et par bonheur ce « dialogue ouvert » avec l’artiste débouche parfois sur l’organisation d’une exposition au MAC Lyon qui offre à l’artiste les conditions nécessaires et suffisantes pour y développer son propos. De grandes rétrospectives comme celle d’Erró ou plus récemment Yoko Ono (la première d’un musée français), ont pu se construire grâce à ce rapport de confiance qui existe entre l’institution et l’artiste. Dans ce cas, il n’est pas rare que l’artiste fasse don au musée d’une ou plusieurs oeuvres de l’exposition. J’ai ainsi en mémoire la conférence de presse organisée avec Erró pour la présentation de sa rétrospective au MAC Lyon (3 octobre 2015 – 22 février 2015) durant laquelle l’artiste annonce – à la surprise générale – qu’en plus du don de 130 oeuvres fait à la ville de Lyon, l’artiste léguera une de ses oeuvres préférées : le Silver Surfer Saga, une toile de 3 mètres par 5 mètres ! ↓

Vue de la Rétrospective Errró au MAC Lyon (3 octobre 2014 – 22 février 2015). A gauche le Silver Surfer Saga, une des  oeuvres préférées de l'artiste léguée à la ville de Lyon

Vue de la Rétrospective Errró au MAC Lyon (3 octobre 2014 – 22 février 2015).  À gauche, le Silver Surfer Saga, une des oeuvres préférées de l’artiste léguée à la ville de Lyon

Pour précisément donner à l’artiste le meilleur des « environnement » possible pour installer une exposition, rappelons aussi que le musée est une grande coquille vide ; les murs sont déplaçables pour organiser l’espace et servir au mieux le propos de l’artiste. De notre déambulation avec Thierry Raspail au sein de l’exposition Le Bonheur de Deviner Peu à Peu, ce dernier nous confie quelques anecdotes croustillantes comme celle de l’oeuvre de l’artiste russe Ilya Kabakov (1933- ) exposée et officiellement acquise par le MAC Lyon en 1989, Le Navire (1986). En 1987, Thierry Raspail se rend en Russie, qui est encore l’URSS, et visite l’atelier de travail d’Ilya Kabakov. Ce dernier travaille dans la clandestinité puisque l’activité de l’artiste n’existe pas sur les registres officiels, il a le statut d’illustrateur… Kabakov entrepose notamment des montagnes de documents officiels : il s’agit de plaintes et doléances de citoyens russes relatives aux cuisines communautaires de l’époque, qu’un ami lui a laissé. Un matériau témoin d’une richesse historique incroyable. À partir de ces documents, Kabakov a l’idée de construire un navire témoin de l’époque soviétique, alors en train de couler… (c’est mon interprétation, ironique !). Toujours est-il que Thierry Raspail, convaincu du sens historique et existentiel profond de l’oeuvre fait acheminer tous les documents en France grâce à la valise diplomatique suisse ! Après un détour par la Suisse, l’oeuvre est donc acquise définitivement en 1989, les structures en bois qui portent les documents sont construites, selon les volontés de l’artiste en Suisse, avant que l’oeuvre ne soit exposée pour la 1ère fois à Lyon lors de l’exposition Histoire de sculptures (12 octobre au 19 novembre 1989). ↓

Ilya Kabakov, Le Navire, 1986. Vue de l'exposition Le Bonheur de Deviner Peu à Peu au MAC Lyon. Détail d'un document de propagande du régime soviétique

Ilya Kabakov, Le Navire, 1986. Vue de l’exposition Le Bonheur de Deviner Peu à Peu au MAC Lyon.

Ilya Kabakov, Le Navire,1986. Vue de l'exposition Le Bonheur De Deviner Peu à  Peu au Mac Lyon. Détail d'un document d'epoque

Ilya Kabakov, Le Navire, 1986. Vue de l’exposition Le Bonheur de Deviner Peu à Peu au Mac Lyon. Détail d’un document d’époque

Ilya Kabakov, Le Navire, 1986. Vue de l'exposition Le Bonheur de Deviner Peu à Peu au MAC Lyon. Document de l'époque soviétique

Ilya Kabakov, Le Navire, 1986. Vue de l’exposition Le Bonheur de Deviner Peu à Peu au MAC Lyon. Document de l’époque soviétique

Preuve de la proximité qu’entretient le musée lyonnais avec les artistes contemporains, l’oeuvre Éboulement de l’artiste français Jean-Luc Parant. Depuis 1991, date d’entrée de cette installation monumentale dans la collection du musée, Jean-Luc Parant ne cesse d’augmenter son œuvre. L’artiste poursuit ainsi un dialogue permanent avec le musée… Éboulement est crée en 1991 et est voué à se développer dans l’espace. L’ensemble initial est constitué de 358 boules et leur portraits (180) est augmenté en 1995 des ombres, puis en 2004 des empreintes des boules. L’artiste poursuit son investigation par augmentation successive,  avec par exemple l’ajout de 182 empreintes de 360 boules vues de loin… ↓

Jean-Luc Parant, cartel de l'oeuvre 360 boules vues de loin, 360 boules vues d'un peu plus loin, 360 boules d'encore plus loin, 2004. Exposition Le Bonheur de Deviner Peu à Peu au MAC Lyon

Jean-Luc Parant, cartel de l’oeuvre 360 boules vues de loin, 360 boules vues d’un peu plus loin, 360 boules d’encore plus loin, 2004. Exposition Le Bonheur de Deviner Peu à Peu au MAC Lyon

Jean-Luc Parant, Eboulement, oeuvre en progression. Vue de l'installation au MAC Lyon, exposition Le Bonheur de Deviner Peu à Peu

Jean-Luc Parant, Eboulement, oeuvre en progression. Vue de l’installation au MAC Lyon, exposition Le Bonheur de Deviner Peu à Peu. Crédit photo : http://www.peintures-descours.fr/

F.B.