Last Updated on 6 juin 2023 by Chloé RIBOT
Rencontre avec un couple galeriste passionnés d’art contemporain. Chrystel et Bruno Lajoinie nous font vivre leur passion. Rafraîchissant, communicatif et professionnel ! On y apprend plein de choses ! Si vous avez raté le début de l’interview c’est ici.
Art Design Tendance : En 1995, vous avez ouvert le Domaine Perdu, qu’avez-vous commencé à montrer ? Bruno Lajoinie : Nous avons montré de l’art moderne dans le cadre d’une exposition intitulée « Le paysage de 1930 à 1980 ». Le cœur de l’exposition était constitué d’œuvres appartenant à la peinture des années 50 qu’on appelle de manière un peu fourre-tout « 2ième école de Paris » ou « jeune école de Paris » en référence à la première constituée par les artistes étrangers venus exercer à Paris au début du siècle précédent : Picasso, Modigliani ou Soutine dont j’ai déjà cité le nom plus haut. A titre indicatif, les artistes référents des années 50 sont Paul Rebeyrolle et Bernard Buffet pour la figuration, Pierre Soulages, Zao Wou-Ki ou encore Georges Mathieu pour l’abstraction. A l’époque, nous pouvions difficilement montrer de l’art contemporain : nous ne possédions alors que « la petite galerie ». C’est pourquoi nous avons démarré par de l’art plus classique avant de faire construire un autre espace, beaucoup plus grand et plus haut de plafond. Par la suite, nous avons favorisé une ligne artistique plutôt tournée vers l’abstraction, avec une prédilection marquée pour les œuvres de grand format…
A.D.T. : Comment ont évolué vos choix artistiques à la galerie ? B.L. : L’évolution de notre lieu a évidemment beaucoup joué sur l’évolution de nos choix. Nos propres goûts aussi. Il faut dire qu’avant d’être des galeristes, nous sommes des amateurs dont les goûts n’ont cessé de s’affiner. Nous aimons aujourd’hui des choses qui n’attiraient même pas notre attention il y a encore 10 ans. Ce qui est certain, c’est que nous serions incapables de montrer des œuvres que nous n’aimerions pas profondément. La plupart du temps, nous n’exposons nos artistes qu’après avoir durablement vécu en compagnie de leurs travaux. Par exemple, quand nous avons exposé pour la première fois Jean-Charles Blais ou Gérard Garouste, nous possédions déjà des toiles de ces deux artistes chez nous. Même chose avec Didier Mencobini ou Cédric Teisseire, que nous avons montrés cet été. Nous vivons au quotidien avec leur travail depuis longtemps déjà.
A.D.T. : Qu’est-ce qui vous anime dans l’art contemporain ? B.L. : C’est principalement l’idée d’être confronté à quelque chose qui m’échappe et qui nous nourrit. Chrystel Lajoinie : La découverte de nouvelles formes de création et la perspective de faire des rencontres humaines fortes, avec les artistes comme avec les amateurs.B.L. : J’emploierais une image à propos de l’art contemporain : c’est un gros dictionnaire aux pages infinies dans lequel il y a toujours à découvrir. Pour moi, l’art contemporain est une terre génératrice de mystères et de miracles. J’ai toujours autant de difficultés à comprendre comment Didier Mencoboni, par exemple, parvient à partir d’une forme aussi simple qu’un point ou qu’un disque à construire une œuvre aussi puissamment poétique que la sienne. Sur un autre plan, comme vient de le faire remarquer Chrystel, le métier de « passeurs » que nous exerçons nous offre l’opportunité de faire des rencontres artistiques et humaines riches – avec des musiciens, des acteurs, des chercheurs – autant de personnalités étonnantes que nous ne rencontrerions pas autrement. Nous avons parmi les amis que nous avons connus grâce à la galerie un astronome et un comédien. Quel autre métier nous aurait permis de faire de telles rencontres au fin fond du Périgord ? Aucun !
A.D.T. : Vous reconnaissez-vous dans l’affirmation de Catherine de Zegher – Directrice du Musées des Beaux-Arts de Gand et ancienne Directrice artistique de la Biennale de Sydney– qui explique que 98% du marché de l’art contemporain est réalisé par 2% des artistes et que son travail consiste à dénicher les artistes talentueux dans les 98% restant ? B.L. : Sur les proportions, je ne sais pas. Mais la communication massive qui est faite autour de certains artistes contemporains viendrait plutôt conforter cette affirmation. On peut d’ailleurs faire le même reproche à la scène française, à savoir de toujours mettre en avant la même minorité d’artistes. Il y a beaucoup de talents cachés, à nous d’aller les chercher ! Pour autant, je ne suis pas pour taper systématiquement sur les grands noms. Qui dit grand nom n’implique pas systématiquement production surfaite. Prenons l’exemple de Pierre Soulages. Je ne suis pas un fan inconditionnel, pour autant c’est une personnalité qui a apporté un regard nouveau et son apport à l’art international est indéniable. Dans l’absolu, le galeriste a pour vocation première de donner leur chance à des artistes jeunes et pas ou peu médiatisés. Malheureusement, dans les faits, on s’aperçoit qu’il s’avère difficile de mettre en lumière des artistes inconnus si vous n’avez pas à dans vos valises des artistes « locomotives ». C’est pour cette raison que nous nous sommes toujours attachés à trouver le bon dosage entre jeunes plasticiens et artistes à la renommée établie.
A.D.T : Comment concrètement cette vision se matérialise-t-elle ? B.L. : Parallèlement aux expositions monographiques, nous montons des expositions de groupe autour d’un thème donné. Autour de ce sujet-fil rouge, nous associons des artistes bénéficiant d’une notoriété importante et de jeunes talents. Les seconds bénéficient de la reconnaissance des premiers pour rencontrer un public plus conséquent. Aujourd’hui, nous avons le souhait de montrer des jeunes qui sortent à peine des Beaux-Arts, ce que nous n’avons jamais fait jusqu’ici. Parmi les artistes avec lesquels nous avons travaillé à ce jour, les plus jeunes avaient déjà un petit parcours derrière eux.
A suivre… F.B.