Last Updated on 18 avril 2021 by François BOUTARD
Le Domaine Perdu porte bien son nom. D’un point de vue géographique uniquement ! Situé à 20 minutes de Sarlat en plein Périgord noir, Chrystel et Bruno Lajoinie ont fait de cet endroit un lieu de programmation inspiré et exigeant. S’il faut se munir d’un GPS pour y aller, le couple, lui, n’a pas besoin de boussole et sait très bien ce qu’il veut montrer et défendre. Depuis 20 ans, les Lajoinie exposent les artistes qu’ils soutiennent et font de ce lieu un espace ouvert au dialogue entre artistes contemporains et amateurs d’art éclairés. Il n’en fallait pas plus pour attiser ma curiosité….Direction Meyrals, coordonnées : 44°53′59″ Nord et 1°03′53″ Est.
Art Design Tendance : Chrystel et Bruno Lajoinie, merci d’accueillir Art Design Tendance dans votre galerie, située en plein Périgord noir. Première question : pourquoi vous êtes-vous installés ici ? Bruno Lajoinie : Je suis né et j’ai grandi ici. Quant à mon épouse, la branche maternelle de sa famille est originaire de Meyrals. Après avoir fini nos études et entamé notre vie professionnelle du côté de Bordeaux (elle dans le domaine bancaire, moi dans la Communication), nous avons fait le choix de venir vivre ici et de faire vivre sur le lieu de mon enfance notre passion pour l’art contemporain. Au départ pourtant, rien ne nous prédestinait à ouvrir une galerie d’art contemporain. Issu d’une famille d’agriculteurs, je n’ai longtemps eu aucune connaissance en la matière ; avant 25 ans, Chrystel était dans le même état d’inculture…
A.D.T. : C’est intéressant ! Comment rentre-t-on en «religion» précisément ? B.L. : Je dis souvent que nous n’avons pas eu la chance de posséder cette culture plus tôt mais, avec le recul, je trouve que c’est justement un point fort. Faire des découvertes à l’âge adulte, c’est intéressant, exaltant même. Nous avons découvert l’art contemporain à la fin des années 80. Le CAPC de Bordeaux nous a permis, à l’époque, de découvrir énormément de choses. J’ai personnellement très vite senti que cette rencontre avec l’art contemporain allait changer ma vie !
A.D.T. : Y a-t-il eu un événement, une exposition, qui vous a donné le déclic ? B.L. : En 1987, l’exposition rétrospective de Gérard Garouste au CAPC m’a profondément marqué. Je découvris à cette occasion que l’art pouvait être en même temps extrêmement novateur et respectueux du passé. S’il y a un peintre contemporain en France qui revendique sa dette envers les maîtres anciens, c’est bien Gérard Garouste ! L’exposition en question faisait la part belle aux « Indiennes », des toiles libres en résonnance avec l’art médiéval. Beaucoup d’expositions au CAPC nous ont touchés, jusqu’à la dernière, importante à nos yeux, consacrée à l’artiste Louise Bourgeois au début des années 2000.
A.D.T. : Comment peut-on qualifier le Domaine Perdu ? B.L. : C’est avant tout une galerie d’art, mais j’aime bien définir aussi l’endroit comme un lieu de rencontres entre artistes et public, un lieu d’échanges. Il nous est arrivé de montrer des expositions où il n’y avait rien à vendre, ce qui est suffisamment rare pour une galerie privée pour être mentionné. En 2004, nous avons organisé une exposition sur le thème de la Ruche, la plus ancienne cité d’artistes de Paris qui abrita notamment Chagall, Soutine et Zadkine au début du 20ème siècle. En partenariat avec ses forces vives, nous avions décidé de retracer l’histoire de ce phalanstère mythique. Dans notre galerie principale, des œuvres d’Ernest Pignon Ernest voisinaient avec celles de cinq autres résidents actuels ; dans l’autre espace (dit « petite galerie »), nous proposions aux visiteurs un musée vivant de la Ruche avec des pièces historiques prêtées par des collectionneurs ou d’autres galeries. Dans cette deuxième salle, rien ou presque n’était à vendre. Je peux aussi citer une autre exposition que nous avons organisée en 2000 autour de l’œuvre de Robert Doisneau. C’était une exposition montée avec l’aide de la fille du photographe et en partenariat avec l’agence Rapho pour laquelle il a longtemps travaillé. Là encore, il n’y avait aucune pièce à vendre.
A.D.T. : Comment cela se passe quand on ne vient pas soi-même d’un milieu artistique pour représenter et vendre le travail d’artistes ? B.L. : Avant de nous lancer dans cette activité, il nous a fallu un temps de maturation important. Nous avons visité beaucoup d’expositions, tant institutionnelles que privées. Nous avons très vite pris l’habitude de nous rendre chez nos confrères galeristes. Dans notre apprentissage de l’art contemporain, nous avons également beaucoup lu. Sans prétention aucune, je crois pouvoir dire que nous possédons aujourd’hui une bibliothèque artistique d’une rare richesse ! Dans un article de presse qui nous a récemment été consacré, le journaliste explique que nous avons découvert les impressionnistes et Daniel Buren en même temps. C’est tout à fait ça ! N’ayant pas été confrontés à l’art dans notre jeunesse, on s’est retrouvés à tout digérer d’un coup à l’âge adulte. Et comme nous n’avions pas d’œillères, nous fréquentions aussi bien le CAPC que le Musée d’Orsay.
A.D.T. : Justement, quand vous parlez de livres, vous entendez par là des livres de spécialistes consacrés à des mouvements artistiques, des livres d’artistes ? B.L. : Vraiment de tout. Nous avons commencé par des monographies sur les impressionnistes notamment. Puis, mes goûts personnels m’ont plutôt amené vers l’art contemporain. Deux grands vecteurs nous ont donc permis de connaître l’art : son contact direct, dans les musées ou les galeries, et justement les livres. Les livres sur les ateliers d’artistes par exemple représentent une mine d’informations sans pareille : pour décrire l’ambiance qui règne dans l’antre d’un créateur, les images en disent souvent plus long que les textes !
A suivre…
F.B.