Last Updated on 18 avril 2021 by François BOUTARD
Sur la liste des Fonds Régionaux d’Art Contemporain, le FRAC de la région Centre occupe une place à part. Parce que je suis natif de cette belle région au patrimoine historique si imposant, je porte un regard chargé d’un certain affect. Mais, plus important que cela, c’est le positionnement du fonds sur les questions architecturales qui pose question. D’où vient cette ligne « éditoriale » particulière, quels axes de réflexion donne-t-elle à voir ?
On a déjà un élément de réponse avec le bâtiment très moderne qui abrite le fonds et qui a été inauguré l’année dernière.
Pour en savoir plus, j’ai questionné Marie-Ange Brayer, Directrice du FRAC « Les Turbulences » de la région Centre depuis 1996 et cofondatrice en 1999 des Rencontres internationales d’Architecture d’Orléans, plus communément appelées ArchiLab.
Bonjour Marie-Ange Brayer et merci d’accorder à Artdesigntendance cet entretien.
Pouvez-vous commencer par définir les missions du Frac Centre ?
Marie-Ange Brayer : Nous nous inscrivons dans les missions communes dévouées aux FRAC, à savoir la constitution d’une collection d’art contemporain et sa diffusion sur le territoire régional. Nous veillons à ce qu’il y ait une cohérence autour de la thématique de la collection. (Justement nous allons y venir…). J’ajoute également que les FRAC sont des relais pour tous les acteurs de la région, nous intervenons par exemple dans des établissements scolaires, nous montrons la collection lors d’expositions organisées hors les murs et bien sûr nous effectuons un travail constant de médiation autour des œuvres montrées.
Alors, justement, d’où vient cet ancrage architectural affirmé de la collection ? Et pourquoi à Orléans ?
MAB : Au début des années 90, le Frac Centre fait le choix de constituer une collection atypique, basée sur les rapports entre l’art et l’architecture. L’ADN du fonds est ainsi bâti sur des pièces radicales, en lien avec l’architecture expérimentale des années 60 à nos jours.
Historiquement, il y eut une période durant laquelle il manquait une dynamique locale autour du Frac dont l’identité manquait de visibilité, il fallait donner une impulsion nouvelle à l’institution. Frédéric Migayrou, actuel directeur-adjoint et conservateur en chef des collections d’architecture et design du Musée National d’Art Moderne au Centre Pompidou, eut alors l’idée de développer une collection autour de l’architecture du futur. Ensuite, en 1997, la Ville d’Orléans avec J-P. Sueur, alors maire de la ville, nous sollicite pour la mise en place d’un festival d’architecture qui deviendra ArchiLab en 1999.
Précisons ce qu’est ArchiLab : Une manifestation de référence qui présente à chaque édition des projets d’architectes tournés vers l’architecture du futur. C’est aussi un lieu de rencontres et de bouillonnement intellectuel autour des idées nouvelles de l’architecture. Dès sa première édition en 1999, l’exposition a eu lieu sur le site des Subsistances militaires à Orléans dans lequel s’est installé aujourd’hui le nouveau Frac.
Proposer une collection sur le rapport entre art et architecture, ça ne paraît pas forcément évident pour un néophyte. Comment mettez-vous en relation ces deux univers ?
MAB : Il faut savoir que dans les années 60 et 70, des collectifs d’architectes réalisaient aussi des performances artistiques. De même, les artistes collaboraient à des projets architecturaux. Les pratiques étaient alors hybridées. Par exemple, Claude Parent a collaboré avec le peintre Yves Klein ou encore l’artiste Jean Tinguely. Aujourd’hui, un artiste par exemple comme Olafur Eliasson n’hésite pas à collaborer sur des projets d’architecture d’envergure et réalise de nombreuses maquettes d’architecture comme outils de recherche ! Beaucoup d’artistes développent leur pratique autour des questions d’aménagement urbain, la ville est un territoire d’expérimentation.
Pour autant, il faut reconnaître que les deux disciplines se croisent moins aujourd’hui, peut-être par le fait qu’avec la révolution du numérique dans le champ de l’architecture, celle-ci s’est plus rapprochée des sciences et explore des pistes autour de notions programmatiques étrangères à la pratique artistique, comme la recherche d’une architecture adaptative aux conditions physiques de son environnement.
Que propose exactement la collection du Fonds Régional d’Art Contemporain ?
MAB : Cette collection se distingue par sa spécificité autour de l’art et de l’architecture expérimentale. L’ADN de ce fonds, c’est résolument l’architecture expérimentale à différentes époques, des années 60 à nos jours.
Cette orientation unique requiert par conséquent un long travail de prospection pour rechercher des pièces que nous souhaitons intégrer à la collection. Il convient de mener un véritable travail d’enquête, à la Sherlock Holmes ! Je suis amenée à rencontrer les architectes directement puis à négocier avec eux l’acquisition des dessins ou des maquettes. C’est un travail de fourmi…
Et comme pour tous les autres FRAC, il y a un comité scientifique d’acquisition qui valide ou non les choix.
Hormis la collection permanente et la tenue d’ArchiLab, pouvez-vous nous en dire plus sur les actions « hors les murs » du Frac ?
MAB : Nous sommes en effet très actifs quant à la médiation hors les murs du Frac. Par exemple, nous présentons en ce moment jusqu’au 21 septembre l’exposition : « Intérieur / Extérieur » à la Maison Saint-Loup, à Amilly (Loiret). Cette exposition comprend des œuvres de la collection du Frac Centre, au croisement entre l’architecture et l’art contemporain. Cela fait de nombreuses années que nous collaborons avec la ville d’Amilly pour montrer la collection dans des endroits publics tels que des lycées, des associations culturelles ou des collectivités. Une action pédagogique est aussi engagée avec des enseignants de la ville d’Amilly.
Nous organisons aussi des résidences d’artistes dans des lieux parfois inattendus mais qui témoignent de l’ancrage du Frac sur le territoire. Ainsi l’hôpital psychiatrique de Fleury-les-Aubrais (Loiret) avec qui nous avons déjà organisé plusieurs résidences. Les artistes sont en immersion totale dans le milieu hospitalier. Les artistes Sarah Fauget et David Cousinard sont en ce moment en résidence au CHD GEORGES DAUMEZON de Fleury-les-Aubrais jusqu’en juin. A l’issue de cette période, ils exposeront conjointement leur travail à l’hôpital et au FRAC. Ajoutons à cela que nous répondons à une demande internationale permanente pour le prêt de nos œuvres, des Etats-Unis à l’Italie, de la Pologne à la Chine.
Le Frac Centre appartient à la nouvelle génération de bâtiments qui abritent les collections. Le vôtre possède une architecture hors du commun, comment cela s’est-il passé ?
MAB : Tout d’abord, le choix du Frac d’une collection autour de l’architecture expérimentale et ainsi d’un certain radicalisme «architectural» nécessitait de choisir un projet avant-gardiste pour abriter la collection. Le choix du site – Les Subsistances militaires, ancien entrepôt de l’armée – s’est imposé de lui-même puisque nous y organisions Archilab depuis sa création et qu’il possède l’avantage d’être en plein centre-ville. Nous avons ensuite lancé un concours international et c’est le projet des « Turbulences » de l’agence Jakob + MacFarlane qui a convaincu le jury.
Nous avons trouvé le projet très pointu, donnant une identité forte au bâtiment. L’ossature tubulaire qui déforme et prolonge le bâtiment de départ est le fruit d’une architecture modélisée à partir d’une matrice numérique. Soit un parti-pris technologique audacieux qui a séduit la maîtrise d’ouvrage, la Région Centre avec ses partenaires, Etat, Ville et Europe ! Les panneaux de bois à l’intérieur de la structure ont été découpés à l’aide de machines à commandes numériques. C’est l’architecture de demain ! Les architectes avaient intégré à leur proposition les artistes Electronic Shadow (Naziha Mestaoui et Yacine Aït Kaci), co-lauréats du concours pour « animer » la façade du bâtiment avec un système de diodes interactives.
Si vous regardez dans le rétroviseur les précédentes éditions d’ArchiLab, qu’est-ce que ces neuf éditions montrent de l’architecture contemporaine ?
MAB : En 1999, pour la première édition d’ArchiLab, nous avons essuyé beaucoup de critiques. Les architectes nous reprochaient une démarche trop formaliste alors que nous montrions en quoi l’émergence des nouvelles technologies numériques allait bouleverser et redéfinir la pratique architecturale. Aujourd’hui, avec le recul, cette critique n’a plus lieu d’être. L’avancée des technologies numériques a engendré une véritable révolution dans la conception-réalisation des bâtiments. Un nouveau champ des possibles s’est ouvert : des machines à commandes numériques ont fait leur apparition. La production architecturale deviendra numérique. En quinze années, nous avons assisté à cette révolution technique. Des architectes que nous présentions en 1999 sont aujourd’hui internationalement reconnus…
ArchiLab 9ième édition s’est terminée le 30 mars, quelles sont les actualités du FRAC ?
MAB : Depuis le 30 avril se tient au FRAC l’exposition « Chronomanifestes », une proposition de l’architecte franco-suisse Bernard Tschumi. En effet, pour fêter leur trente ans – 1983/2013 -, chacun des FRAC a donné carte blanche à un ou plusieurs créateurs pour imaginer, à partir de sa collection, des expositions pour la présenter. Nous avons demandé à Bernard Tschumi, figure éminente de notre collection, de faire une proposition. Il a retenu pour chaque année, un ou plusieurs projets d’architectes qui proclamèrent, à un moment donné, une idée-manifeste, une vision de la ville et de l’architecture. Les œuvres sélectionnées qui ont marqué leur époque sont souvent transdisciplinaires : la vision de l’architecte embrasse aussi une dimension artistique, voire poétique ? Souvent, l’architecture se nourrit d’autres disciplines. Nous exposons seulement maintenant la proposition de Bernard Tschumi puisqu’elle a été montrée l’année dernière aux Abattoirs de Toulouse – « exposition Les Pléiades » – parmi l’ensemble des autres cartes blanches des Frac retenues pour ce trentième anniversaire.
Puis, à partir du 17 mai, nous présenterons l’exposition « Double Jeu ». Là encore, nous avons trouvé l’exercice intéressant de demander à douze jeunes artistes de notre collection de présenter un architecte aux côtés de leur œuvre. Ce travail en résonance est à découvrir à partir du 17 mai, de la Nuit des Musées.
Le Frac est ouvert à tous les publics : des ateliers parents / enfants sont organisés, ainsi que des workshops avec des étudiants en architecture. Enfin, nous avons démarré un cycle de conférences sur l’architecture dans le cadre de notre Université Populaire, en partenariat avec la Maison de l’Architecture du Centre.
Une autre question, plus en rapport avec les nouveaux moyens numériques de médiation. Certains musées n’hésitent plus à proposer des visites virtuelles de leurs expositions ou de leurs collections permanentes, de sorte que l’acte de visite physique devienne moins « nécessaire ». Que pensez-vous de ces évolutions ?
MAB : Je crois en l’intelligence du public qui ressent la nécessité de se déplacer à la rencontre des œuvres. La notion de plaisir reste importante. On se déplace pour éprouver ce plaisir dans une découverte active et non passive des œuvres. L’activation physique de la pensée reste primordiale !
Avant de terminer cet entretien, puis-je vous demander une faveur ?
MAB : Dites-moi toujours !
Pouvez-vous m’envoyer une photo, de nuit, de l’extérieur du Frac avec le dispositif d’éclairage par LED spécialement conçu pour le Frac ?
MAB : Bien sûr ! Il est vrai que si vous n’avez pas eu l’occasion de voir ce dispositif à l’œuvre de nuit, cela vaut le coup de vous l’envoyer. Nous en sommes très fiers.
Marie-Ange Brayer, je vous remercie pour notre échange. Je suis persuadé que les lecteurs d’Artdesigntendance connaissent désormais l’originalité du positionnement et la qualité du Fonds Régional d’Art Contemporain de la région Centre. Il ne reste plus qu’à venir le découvrir, les événements n’y manquent pas !
Je tiens personnellement à remercier Marie-Ange Brayer et Amélie Evrard du Frac Centre – Les Turbulences
F.B.