C‘est en revenant d’un court séjour de la perfide Albion que je me suis demandé, si, avec le recul, je n’avais pas plus apprécié le travail énigmatique du sculpteur contemporain John Davies à celui de la rock-star de l’art contemporain, Damien Hirst. Commençons par évoquer ce dernier : si vous vous intéressez de près ou de loin à l’art contemporain vous avez dû entendre parler des installations spectaculaires de ce dernier : vaches et moutons coupés en 2 et installés dans des aquariums remplis de formol, armoires à pharmacie géantes remplies méthodiquement de boites de médicaments, parterre de mouches électrisées, etc…

Né en 1965 à Bristol, Hirst est l’artiste le plus connu de sa génération mais aussi le plus controversé. Pour la première fois une rétrospective de son travail est organisé à la Tate Modern Gallery de Londres jusqu’au 9 Septembre. Un aperçu version « frenchie » de l’exposition : ↓

Interview anglaise sur Channel 4 News : ↓

A vous de vous faire votre propre idée, le travail de Hirst tourne assez largement autour du passage de la vie à la mort. Ses installations font « mouche » – c’est le cas puisque plusieurs installations mettent en scène l’insecte volant !- car elles consacrent le spectaculaire avec un élan assumé pour la morbidité. Ainsi, l’artiste dans une interview récente au Monde : « journaliste : Vous dites qu’un artiste doit changer pour continuer à intéresser. Mais vous restez très fidèle à votre obsession de la mort. Hirst : De la mort ou de la vie…On pourrait bien dire les choses aussi bien, non ? Aujourd’hui, en tous cas dans ce pays, les gens ne veulent pas en entendre parler. Pourtant, ils savent qu’ils ne lui échapperont pas. Il me semble qu’il vaut mieux affronter ce qui est inévitable. Nous ne sommes pas éternels. » Les détracteurs de l’artiste lui reprochent de répéter ses œuvres dans des dimensions de plus en plus grandes et de produire en quantité des copies de ses installations originales. Hirst emploie ainsi une ribambelle d’assistants et de spécialistes : « Deux, mon atelier est une usine (il emploie le mot « factory », allusion à Warhol (cf billet 1 « C’est quoi l’art contemporain – la factory »). J’ai des assistants, des spécialistes qui travaillent pour moi. On peut appeler cela une usine. Mais il y a l’usine où on fabrique de la pâtée pour chien et celle où on monte des Ferrari. Moi, je suis du côté des Ferrari . » Modeste non ?

Aux antipodes du serial money-maker exposé à la Tate, grand bien m’a pris d’aller visiter le Sainsbury Centre for Visual Arts à Norwich, sur le campus de l’université d’East Anglia. Le magnat anglais de la grande distribution Robert Sainsbury et sa femme, Lisa Sainsbury, ont constitué au siècle précédent une collection unique et protéiforme, abritée, excusez du peu, dans un écrin architectural réalisé par Lord Norman Foster. La collection permanente comprend entre autres les œuvres d’artistes dont ils furent proches : Henry Moore, Alberto Giacometti et surtout Francis Bacon. La scénographie du musée est très agréable : sorte de grand hangar avec un sous-sol aménagé très original d’où partent 2 bras de galerie exposés à la lumière du jour. Point fort du musée : l’espace permet de circuler très librement autour des œuvres ↓

Sainsbury Centre, vue de l'extérieur

Sainsbury Centre, vue de l’extérieur

Un peu déprimé dans un premier temps par les tableaux plein d’entrain de Francis Bacon je découvris avec interrogation et intérêt les sculptures de John Davies qui questionnent l’humanité. Davies, un artiste contemporain anglais né en 1946 a d’abord étudié la peinture au Manchester College of Art de la ville d’Hull puis a passé 2 ans à la Slade School of Fine Art de Londres, il a notamment remporté le prix Sainsbury en 1990 et a exposé dans le monde entier. J’ai voulu vous parler de cet artiste car à la tête humaine de blanc-bec servie sur un plat de Hirst, spectaculaire certes ; Davies propose une sculpture énigmatique qui laisse le spectateur libre de toute interprétation et c’est ce qui fait aussi l’intérêt d’une œuvre (cf. billet 1 – « C’est quoi l’art contemporain? »)

John Davies, The Bucket Man, 1974

John Davies, The Bucket Man, 1974

Nous ne sommes plus dans le registre du spectaculaire, facile d’accès, mais dans la redécouverte permanente d’une interprétation possible. Libre à chacun d’imaginer ce que peut-être ce personnage, sa vie, sa fonction dans la société, la signification de son étrange coiffure, pourquoi ce regard résigné ? On peut être aussi touché par l’intensité dramatique qui se dégage des ces sculptures énigmatiques, figées pour certaines, en mouvement pour d’autres. Ci-dessous une vidéo d’une des installations de John Davies installée au sous-sol du Sainsbury Centre ↓

Quelques points clés du travail de John Davies :

Expression de son travail au travers de la sculpture et du dessin

Travail en partie centré sur l’expression du visage et de la tête, ce qui confère un silence dramatique à ses œuvres

Importance de la gestuelle des mains des personnages sculptées

Habileté à sculpter des têtes humaines de tailles très différentes avec harmonie Concentration sur la représentation des personnes comme miroir du monde, John Davies : « People are our whole world, sun, moon and stars.»

Pour conclure, laissons la parole au sculpteur de l’humain : « My work has carried me closer to people – in a kind of circle. My sculpture seems to have that function for me. If it does the same for other people that would mean a great deal to me.»                           L’art devient alors un moyen d’entrer en raisonance avec l’humanité, cela semble en tout cas animer l’œuvre de John Davies.»

F.B.