Parti découvrir ce que pouvait donner l’exposition d’une partie de la collection PINAULT dans un lieu comme la Conciergerie, je me suis lâchement assoupi dans les sièges de la salle consacrée au visionnage d’une oeuvre de Javier Tellez : Praise of Folly.↓

Javier Téllez, installation vidéo Praise of Folly.

Javier Téllez, vue de l’installation vidéo Praise of Folly.

Inclinant entre, d’un côté le jugement d’une Jeanne d’Arc par des inquisiteurs tout droit sortis du Nom de la Rose, et de l’autre une sorte de documentaire réalisé sous la forme de confessions intimes, il me fallut choisir. Va pour en savoir un peu plus sur ces inconnus, inscrivant avant chaque début d’entretien leur prénom sur un tableau. Les témoignages poignants de ces malades victimes de pathologies psychiatriques graves (schizophrénie, dépression, bipolarité, etc.) eut l’effet de me sortir de ma torpeur. Javier Téllez, en fin observateur et non voyeur, donne la parole à ces laissés-pour-compte qui pour certains ont pleinement conscience de leur handicap. D’autres non, le masque de la folie apparaît alors, celui qui met mal à l’aise. Au final, ces témoignages posent la question de la normalité de notre propre regard à l’égard de ces populations généralement stigmatisées.

Il existe justement, dans l’histoire de l’art, des exemples d’artistes atteints de graves pathologies et qui ont eut recours à l’art pour sortir de leur prison mentale. ↓

Aloïse Corbaz, Napoléon, 1943, Collection de l’Art Brut, Lausanne

Aloïse Corbaz, Napoléon, 1943, Collection de l’Art Brut, Lausanne

Jean Dubuffet, grand peintre français moderne fit beaucoup pour la reconnaissance d’un art pratiqué par les fous et les malades mentaux. Sous le terme d’Art Brut, il inventa une conception de l’art comme :

« Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écriture, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe. »

— Jean Dubuffet, L’art brut préféré aux arts culturels, 1949 (Manifeste accompagnant la première exposition collective de l’Art brut à la Galerie Drouin, reproduit dans Prospectus et tous écrits suivants, Gallimard, 1967)

Dubuffet rassembla une collection d’œuvres emblématiques de l’art brut qui sont accueillies à la Collection de l’art brut à Lausanne.  L’endroit se visite.↓

Musée Collection de l'art brut, Lausanne.

Musée Collection de l’art brut, Lausanne.

 

Vue de l'intérieur, Collection de l'art brut, Lausanne

Vue de l’intérieur, Collection de l’art brut, Lausanne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre lieu où il est possible de se familiariser avec cet art : le musée d’art moderne de Lille – LAM – consacre un espace de collection de 900 m2 dédié à l’art brut. ↓

Et, une fois n’est pas coutume, un lien depuis un site médical. Il engage un point de vue plus large sur les rapports entre le monde de la folie et celui de l’art, on y retrouve une nouvelle fois  Savine Faupin, conservatrice en chef en charge de l’art brut au LAM.

→ http://www.allodocteurs.fr/actualite-sante-psychiatrie-l-art-a-la-folie-

Ce que j’aime dans la définition de Dubuffet, c’est de penser que des personnes ont créée un univers artistique dénué de toutes références intellectuelles, une sorte de création «pure» en quelque sorte. Si les artistes de la mouvance initiée par Jean Dubuffet sont longtemps restés à l’écart de la reconnaissance du public et du marché de l’art, la situation a depuis évolué. Un exemple assez incroyable, est la découverte faite au grand public, de plusieurs milliers de dessins techniques accumulés par un certain Karl Hans Janke. Ce n’est pas un hasard si c’est un médecin, Jan Hoet, qui les sortit de l’anonymat… ↓

Karl Hans Janke, dessin.

Karl Hans Janke, dessin.

Janke passa trente-huit années de sa vie en hôpital psychiatrique. Il produisit à un rythme effréné des dessins représentant des maquettes de vaisseaux spatiaux, fusées, réacteurs atomiques avec des annotations scientifiques très précises…                                                                                 Javier Téllez amène le débat sur ce que notre société considère comme normal et, à l’inverse, pathologique. C’est déjà beaucoup !

F.B.