Last Updated on 17 avril 2021 by François BOUTARD
L’investigation pour l’écriture de ce billet démarre sur la base d’un article de Richard Leydier, critique d’art et commissaire d’exposition, dans le n°307 de décembre 2004 de la revue Artpress. Dans un précédent billet, je vous avais parlé de mon intérêt pour ce magazine historique qui éveille mon esprit et mes envies d’art contemporain. Dans ledit papier, intitulé La nouvelle peinture et la France, Richard Leydier dresse un panorama de l’état de la peinture en France et critique un mainstream ambiant qui met en avant des peintres dont l’oeuvre ne trouve pas grâce à ses yeux. Dans ce texte très bien écrit et argumenté, Richard Leydier confronte plusieurs générations d’artistes. Bien utile pour un amateur éclairé comme moi, qui peut ainsi découvrir de nouveaux peintres, leurs œuvres, et déceler les préoccupations qui les animent pour créer. ↓
L’histoire dans la peinture contemporaine
Arrive le moment où Richard Leydier s’exprime sur la génération de peintres français ayant démarré leur carrière dans les années 90. Il évoque alors l’artiste Stéphane Pencréac’h. Tiens, un inconnu au bataillon pour moi, je vais donc chercher des informations sur l’artiste cité. Une bonne idée ! Dans sa peinture, Stéphane Pencréac’h (1970) convoque des événements récents de l’histoire contemporaine, et notamment les convulsions du Printemps Arabe, le conflit syrien, jusqu’aux journées tragiques qui ont touché Paris en janvier 2015 et qui donnèrent lieu à l’exposition Stéphane Pencréac’h – Œuvres Monumentales, organisée à l’Institut du Monde Arabe (IMA), du 12 mai au 12 juillet 2015.
J’aime l’histoire et j’aime à dire qu’un des intérêts de l’art contemporain réside précisément dans la manière dont les artistes mettent en perspective l’actualité, ou des événements passés. Je ne connaissais pas Stéphane Pencréac’h, mais j’avoue avoir pris une grosse claque dans sa lecture et représentation picturale des événements cités plus haut. Comme j’avais aussi été interpellé par la série 18 Octobre 1977, une série de peintures de Gerhard Richter sur les terroristes allemands de La Faction Armée Rouge (mieux connue sous le nom de Bande à Baader). Quand une peinture contemporaine s’empare de l’histoire contemporaine…
L’urgence de peindre les convulsions du monde moderne
Stéphane Pencréac’h a démarré la peinture de ces toiles consacrées aux révoltes de la rue arabe, avec comme épisode final la représentation du cortège parisien de personnalités politiques du 11 janvier 2015 en réaction aux attaques terroristes des 7, 8 et 9 janvier 2015, dès la fin de l’année 2012. On peut, dans un premier temps, être surpris par la démarche d’un peintre qui exécute ses toiles au moment même où l’histoire s’écrit. On s’attendrait plus à voir un artiste photographe ou un vidéaste s’attaquer au sujet, mais l’intensité bouleversante que j’ai ressenti à la vue de ces toiles me font penser qu’un artiste, engagé ou pas, doit ressentir une pulsion incontrôlable pour témoigner de l’innommable. C’est je pense ce qui a dû animer Stéphane Pencréac’h.
Ainsi, comment ne pas être marqué par la représentation du corps de Mohamed Bouazizi (1), en lévitation au centre de la toile (Tunis, 2013), et dont les chairs se consument ? Réalisée en grand format, la peinture de Stéphane Pencréac’h convoque le sang, la foule et le feu. Sa peinture est engagée et je me dis qu’il fallait être gonflé pour transcrire picturalement, et avec peu de recul temporel, ces événements.
Une installation magistrale
Stéphane Pencréac’h prend des risques, mais il ne le fait pas n’importe comment. Les scènes peintes légèrement floutées nous mettent, je trouve, à une distance suffisante pour « digérer » les événements en cours. Je crois que mon tableau préféré est Le Caire (2103), car l’effet de perspective accentue la « monumentalité » de l’événement en train de s’accomplir. Sur le panneau droit, la figure du président égyptien déchu, Hosni Moubarak, même derrière les barreaux, continue de «peser » sur le peuple, comme une menace permanente avec laquelle il sera dur de couper.
Comme l’explique Stéphane Pencréac’h dans une vidéo que j’ai incorporée à l’article ci-dessous, sa peinture laisse au spectateur la liberté de penser. Elle a une valeur contemplative au contraire de la photographie d’actualité. Dans ce document et dans 2 autres photos ci-dessous, vous découvrirez que le travail de Stéphane Pencréac’h n’est pas uniquement pictural. Dans l’exposition à l’IMA, il s’agit vraiment d’une installation, au demeurant intitulée Monument à Kobané, puisque le centre de la pièce est occupé par des sculptures en plâtre, les peintures monumentales de l’artiste se répartissant autour. Ces sculptures sont à la fois glaçantes et magnifiques et renouvellent la manière d’appréhender les fresques de Pencréac’h, suivant où l’on se situe dans la pièce. Magistral !!! ↓
(1) Mohamed Bouazizi est un vendeur ambulant tunisien dont le suicide par immolation par le feu le — il mourra 2 semaines plus tard — est à l’origine des émeutes qui déclenchèrent la révolution tunisienne, aboutissant à la fuite du président Ben Ali alors au pouvoir depuis 2 décennies.
L’exposition Stéphane Pencréac’h – Oeuvres monumentales s’est tenue à l’Institut du Monde Arabe du 12 mai au 12 juillet 2015, en partenariat avec la galerie Vallois, Paris.
Les photos sont extraites des sites : https://www.lemonde.fr/, article : A l’IMA, la « peinture d’Histoire » de Stéphane Pencréac’h & https://art.moderne.utl13.fr/, article : https://art.moderne.utl13.fr/2018/04/cours-du-9-avril-2018/2/
F.B.