Quelques jours avant sa première exposition parisienne, j’ai eu le plaisir de rencontrer Stéphane Barret dans son atelier parisien. Sculpteur hyperréaliste, cet autodidacte aime parler de son parcours, de son travail et de son approche. Après avoir exercé comme technicien, il choisit il y a vingt ans de se consacrer à sa passion, la sculpture, pour en faire son métier. Avant de se tourner vers la création personnelle, il y a trois ans, il travaille pendant de nombreuses années comme sculpteur pour le Musée Grévin notamment. Mu par sa passion pour la sculpture, fasciné par le corps humain, il n’a cessé de se perfectionner, jouant aujourd’hui avec les codes de l’hyperréalisme pour surprendre et créer le choc de la rencontre entre deux corps. Longtemps dans l’ombre des statues de cire du Musée Grévin, Stéphane Barret s’expose pour la première fois au grand public du 27 avril au 5 mai 2019 avec des œuvres complètement novatrices, dont il parle avec enthousiasme. 

Art Design Tendance : Votre formation ne vous destinait pas du tout à cette profession de sculpteur. Quel a été votre premier contact avec l’art ? Quelles sont les étapes qui vous ont conduit de l’industrie à l’art contemporain en passant par le Musée Grévin ?

Stéphane Barret : Je viens d’un petit village de la région Centre où j’ai effectivement suivi une formation très technique en fabrication mécanique avant de devenir chef d’équipe dans deux sociétés. Peu de place pour l’art dans ce milieu donc. Mais j’ai quand même grandi dans une famille intéressée par l’art. J’ai perdu très jeune mon papa, professeur de modelage sur bois, et n’ai malheureusement pas pu bénéficier de ses connaissances. Quant à ma maman, elle était très intéressée par l’art, a fait beaucoup de peinture, de sculpture. Pendant très longtemps, je n’ai pas pratiqué l’art mais à partir de 15-16 ans, j’ai commencé à faire un peu de sculpture. Et, plus tard, j’ai fait des œuvres en parallèle de mon travail. Je faisais des moulages sur corps tirés en plâtre, puis posés sur des contreplaqués peints en noir et blanc. C’était un concept un peu expérimental qui  interpellait les gens et en 1989, grâce à un ami, j’ai pu exposer au Grand Palais au Salon des Artistes Français.

Stéphane Barret, Phalaborwa, résine polyuréthane, matériaux mixtes, peinture à l’huile et acrylique, Hauteur 1,40 m.

Stéphane Barret, Phalaborwa, résine polyuréthane, matériaux mixtes, peinture à l’huile et acrylique, Hauteur : 1,40 m. . « Cette femme porte une coiffe de 1,20 m de diamètre évidée en son centre qui évoque une surface planétaire de type lunaire. Le positionnement de cette coiffe géante décentrée semble vouloir défier les lois naturelles de l’équilibre, et ce, au point de générer l’illusion du mouvement. Habillant ce corps, les tatouages teintés constituent des figures symétriques déployées » ©Stéphane Barret.

Pour moi, cela a été un peu le déclic. S’est alors posée la question d’en faire mon métier, mais se lancer était compliqué. J’ai repris des études de design sur Paris, ce qui me semblait le plus judicieux par rapport à ma formation technique, et j’ai obtenu mon diplôme en tant que designer produit en 1995. J’ai fait beaucoup de prototypage pour les designers pour mettre en volume leurs créations, j’ai travaillé pour la publicité et me suis spécialisé dans le faux : faux gâteau, faux chocolat, etc. Je n’étais pas un très bon designer, mais cela a confirmé mon intérêt pour le volume et le travail de mes mains. Je pense que ce fut un bon tremplin pour moi pour rentrer dans le milieu artistique.

En 2000, sans en avoir jamais fait, j’ai eu la chance de pouvoir faire deux personnages pour le musée Grévin, Bruce Willis et Rodin. Le musée cherchait des sculpteurs pour compléter le travail des trois sculpteurs en interne après la restructuration du musée. Après le départ d’un des sculpteurs, le musée m’a rappelé, et depuis 2000, tout en restant indépendant, c’est mon principal client. Pendant 20 ans j’ai réalisé énormément de commandes pour de grosses sociétés : Muséum d’Histoire Naturelle, Musée de l’Homme, Cité des Sciences,… Laissant donc de côté ma création personnelle. Ce fut longtemps une frustration. En m’installant sur Paris, je souhaitais me consacrer à ma sculpture. Mais j’avais du travail, et je gagnais bien ma vie en tant que sculpteur contrairement à tant d’autres.

La situation a un peu changé, il y a trois ans, suite à mon divorce. J’ai eu besoin de me remettre à créer. Pendant des années j’avais rempli des carnets d’idées et de dessins en me disant « peut-être un jour » ! Cela fait désormais un peu plus de deux ans que je me suis lancé dans mes créations personnelles.

A.D.T. : Pourquoi ce choix de la sculpture hyperréaliste ? Quelles sont vos inspirations ?

S.B. : L’hyperréalisme est quelque chose que j’adore, qu’il soit humain ou animalier. La réplique du corps est fascinante, c’est un vrai challenge pour moi.

De nombreux artistes font de l’hyperréalisme humain. J’ai notamment été fasciné par le travail de Ron Mueck (exposé à la Fondation Cartier en 2013) et son jeu sur les échelles, mais je voulais proposer quelque chose de nouveau. J’ai alors eu cette idée de coiffure, après avoir été interpellé par des images. Pourquoi ne pas associer l’hyperréalisme du corps humain à la réalisation de coiffures surprenantes ? Je suis très intéressé par la matière, et la façon de la copier, ces coiffes me permettent de travailler sur la reproduction de diverses textures.

Stéphane Barret, Whyalla, résine polyuréthane, matériaux mixtes, peinture à l’huile et acrylique, Hauteur 90 cm.

Stéphane Barret, Whyalla, résine polyuréthane, matériaux mixtes, peinture à l’huile et acrylique, Hauteur : 90 cm. . « Coiffe d’aspect métallique rouillé. L’interpénétration partielle des sphères qui la composent évoque un conglomérat moléculaire. Sur son corps, des cercles, tels des bulles de savon qui seraient venus impacter délicatement ce buste, laissant un peu partout, sur le visage et sur le corps, leurs empreintes suivant des courbes harmonieuses. » ©Stéphane Barret

A.D.T. : Comment vous êtes-vous formé à la sculpture hyperréaliste ?

S.B. : La formation que j’ai suivie en tant que designer m’a appris un certain nombre de choses, notamment sur l’utilisation de la couleur. Maîtrisant mal les couleurs, mes premiers tableaux étaient ainsi en noir et blanc. Je ne percevais pas l’intérêt d’utiliser un bleu plutôt qu’un rouge. Les expositions que j’ai vues m’ont également beaucoup appris.

Par contre, je n’ai jamais eu de formation en sculpture. J’ai donc appris par moi-même. J’ai profité de tous les petits boulots et commandes qui pouvaient m’intéresser. J’ai la chance d’avoir une très bonne vision en 3D, et sans doute un don dans les mains ! Mais, étrangement, je suis incapable de dessiner un corps humain que je monte en volume sans aucune peine.

A.D.T. :  Dans le cadre de votre travail au musée Grévin, vous considérez-vous davantage comme un artisan ou un artiste ? A quel moment s’opère selon vous le passage de l’un à l’autre ?

S.B. : Je me présente aujourd’hui comme sculpteur (comme plasticien également). Je me considère davantage comme un artiste, même dans la réalisation de mes commandes professionnelles. Malgré les techniques numériques actuelles qui facilitent notre travail, le dessin du grain de peau, des yeux, des rides, des expressions relèvent pour moi de l’artistique.  J’essaye d’être le plus juste possible par rapport à la réalité. C’est un renouveau permanent, chaque visage est différent, et cela est propre à l’artiste.

A.D.T. : Y a-t-il une volonté de faire passer un message derrière vos créations personnelles ? Est-ce là la différence avec la commande professionnelle ?

S.B. : Le musée Grévin, c’est la copie à l’identique de la réalité, d’une célébrité. Dans mes créations personnelles, je suis entièrement libre face à la réalité que je copie. C‘est un véritable processus artistique. Je compose, je fais des croquis, etc. Souvent avant même de commencer, j’ai des idées de coiffures et j’élabore des poses et des attitudes selon ce que je veux montrer. J’utilise les techniques de scans à partir d’un vrai modèle pour avoir une pose naturelle et choisie, beaucoup plus longue à obtenir en modelage.

Je m’interroge longuement sur la réalisation, les matériaux et les techniques à employer. Je m’inspire beaucoup de la nature, d’internet,… J’ai des envies de coiffures gigantesques ! J’ai une imagination assez florissante ! Je m’interroge sur le lien entre l’humain et cette coiffe en équilibre précaire. Comment cela tient-il ? J’ai besoin de justifier mon travail. J’ai envie d’interpeller les gens, qu’ils puissent dire qu’ils ont aimé ou non « parce que… ».

Stéphane Barret, Epumalanga, résine polyuréthane, matériaux mixtes, peinture à l’huile et acrylique, Hauteur 2,30 m

Stéphane Barret, Epumalanga, résine polyuréthane, matériaux mixtes, peinture à l’huile et acrylique, Hauteur : 2,30 m. « Elle se tient debout sur le rebord de sa boîte qui fait office de piédestal. Son attitude suggère la prudence : celle de ne pas aller plus loin en arrière de peur de tomber. Ses mains sont plaquées sur son ventre en protection de l’enfant à naître. Elle supporte d’énormes galets empilés, suivant un équilibre miraculeux tant il paraît précaire et prêt à rompre. » ©Stéphane Barret

A.D.T. : Pourquoi avoir choisi le nu ?

S.B. : Je souhaitais vraiment travailler sur le nu, qui à mon sens dit quelque chose de différent, et qui fascine toujours. En raison de l’échelle réduite, la nudité surprend mais choque moins. La coiffe fait oublier le côté dérangeant du nu.

A.D.T. : Le fait de travailler à échelle réduite change-t-il quelque chose dans votre travail ? Est-ce plus dur de réaliser les détails ?

S.B. : Non, pas spécialement. Je ne voulais pas passer à échelle réelle, plus réaliste, mais aussi plus dérangeante dans l’exposition du nu. Le rapport d’échelle, comme le fait Ron Mueck, interpelle à mon sens davantage. Les petites mains, les petits pieds induisent une certaine fascination et je voulais jouer sur la disproportion entre de petits personnages et de grosses coiffes.

A.D.T. : Quelles techniques employez-vous pour réaliser vos sculptures ?

S.B. : A partir du scan de mon modèle, j’obtiens un fichier 3D. J’imprime en plastique mon volume, sur lequel je viens refaire un moule silicone. Je tire alors une plastiline, une pâte à modeler particulière qui me permet de faire tous les détails, le grain de peau, etc. C’est un matériau qui ne sèche jamais, ce qui me permet d’y revenir. Je peux alors faire un dernier moule en silicone, avant de tirer en résine ma sculpture. Je passe ensuite à la peinture. Je fais la totalité des choses. Je fabrique les yeux, je mets les cils, etc…

Stéphane Barret, Caloundra, résine polyuréthane, matériaux mixtes, peinture à l’huile et acrylique, Hauteur 80 cm.

Stéphane Barret, Caloundra, résine polyuréthane, matériaux mixtes, peinture à l’huile et acrylique, Hauteur : 80 cm.

À suivre…

Propos recueillis par Coline Jacquet