Alors que bat son plein la onzième Biennale du design de Saint Étienne, le musée d’art moderne et contemporain de la ville abrite une exposition qui interroge la frontière entre design et histoire naturelle. C’est par le prisme de l’ornement que l’on découvre une centaine d’objets de design ; spécimens relevant de la science ou encore artefacts composant un véritable cabinet de curiosité imprimé. L’exposition présente notamment le travail de designers  qui ont marqué le XX ème siècle par leurs recherches et leurs productions.

L’héritage des Arts & Crafts

Andrea Branzi (1938-), designer et théoricien italien prend part à une réflexion autour de l’ornement et de la structure même de l’objet. Il utilise alors des éléments naturels qui contribuent à nouer une relation entre les deux. Le banc Animali domestici (1985) se fait le prolongement d’une nature qui libère l’objet de sa seule fonction utilitaire. ↓

Andrea Branzi, Banc Animali domestici, 1985.

Andrea Branzi, Banc Animali domestici, 1985. Bois laqué gris, branches de bouleau. 224 x 140 x 72 cm. Achat, 1988. Dépôt du Centre national des arts plastiques au MAMC – Ministère de la Culture et de la Communication, 2007. © Adagp, Paris

Cela rejoint la démarche du groupe Memphis, fondé par l’architecte et designer italien Ettore Sottsass (1917-2007) dans les années 1980. Cette nouvelle voie du design italien bouleverse les codes du Bauhaus qui perdurent jusqu’alors et introduit l’usage plus systématique du motif.

Des designers comme Benjamin Graindorge (1980-) proposent une transformation de la matière qui prend en compte tout le système de production. Ici le bois brut révèle le geste industriel. Fallen tree (2011) magnifie une nature vivante et poétique. Cette collaboration avec l’éditeur YMER&MALTA est un terrain propice à faire émerger une pièce de design entre art et artisanat. Le studio parisien poursuit en effet l’ambition d’un design d’exception alimenté par la maîtrise de savoir-faire unique.↓

 

Benjamin Graindorge, Fallen tree, 2011.

Benjamin Graindorge, Fallen tree, 2011. Editeur : Ymer&Malta

L’histoire naturelle comme répertoire de formes

À la croisée de la biologie et des nouvelles technologies, certains créateurs réinventent l’objet par des structures fractales. Il s’agit de la répétition d’un motif à une échelle de plus en plus réduite. Cela donne lieu à des objets au caractère cellulaire, dont le principe de croissance naturelle tient lieu d’ornement.

Ainsi se positionne la cloison modulable de Ronan et Erwan Bouroullec (1971 et 1976 -). Le panneau décoratif algues (2004) évolue en semi transparence pour former un mur organique. Le travail des deux frères bretons se veut assurément scénographique. La galerie Kreo à Paris expose actuellement des dessins des designers, permettant d’en apprécier les lignes à la fois traditionnelles et numériques. ↓

Erwan & Ronan Bouroullec, Panneau décoratif algues, 2004.

Erwan & Ronan Bouroullec, Panneau décoratif algues, 2004. Polypropylène. Fabricant : Vitra, Paris.

Le cabinet de curiosité, directement issu de la tradition du XVII ème siècle, se fait l’écrin d’objets du merveilleux, entre nature et science. Le numérique vient directement puiser dans ces formes de l’histoire naturelle. Les Arts & Crafts se voient alors investis par les objets de design.

Vue l’exposition Design et merveilleux. Minéraux. Photo : B. Adilon

Vue de l’exposition Design et merveilleux. Minéraux. Photo : © B. Adilon

Frank Gehry (1929-), dans un motif de courbes et de contre-courbes développe le fauteuil Cross check (1992) qui prend forme dans un mouvement infini. Fonction et ornement se répondent alors, intrinsèquement liés. ↓

Frank Gehry, Fauteuil cross check. 1992. Fauteuil avec accoudoirs lamellés d’érable blanc cintré vernis naturel, colle extra-forte, piétement équipé de patins translucides.

Frank Gehry, Fauteuil Cross check. 1992. Fauteuil avec accoudoirs lamellés d’érable blanc cintré vernis naturel, colle extra-forte, piétement équipé de patins translucides.

Merveilles de technologies

Là où l’Art Nouveau de la fin du XIX ème siècle puise déjà dans la nature et l’industrie, les années 2000 ouvrent une ère technologique nouvellePatrick Jouin (1967-) s’en fait le pionnier, avec Chaise Solid C2 (2004) réalisée en impression 3D. Cette chaise est inspirée du mouvement de feuillage dans l’espace, dans un  élan vitaliste. Elle est créée à l’aide d’un logiciel de conception assisté par ordinateur, grâce au concours de l’entreprise belge Materialise. ↓

Patrick Jouin, Chaise Solid C2 (2004)

Patrick Jouin, Chaise Solid C2 (2004). Résine époxy polymérisée par stéréolithographie. 77 x 40 x 54 cm MGX by Materialise.

Le designer britannique Ross Lovegrove (1958-) utilise aussi les outils numériques pour concevoir des pièces aux inspirations végétales. La Gingko Table (2007) reprend les codes de la création technologique dans un processus naturel de croissance : trois pétales se plissent au centre de la table, dans un seul mouvement. ↓

Ross Lovegrove, The Gingko Carbon Table, 2007

Ross Lovegrove, The Gingko Carbon Table, 2007. © Ross Lovegrove. Photo : Centre Pompidou.

Un design plus conceptuel ouvre l’objet au merveilleux, avec le travail de Marcel Wanders (1963-) notamment. Bon Bon chair (2010) renoue avec une dimension décorative, là où l’ornement capture visuellement un morceau de nature : éponge, dentelle végétale ou entrelacs de plantes sauvages, le procédé industriel initie un voyage aux formes oniriques.↓

Marcel Wanders, Bon Bon Chair, 2010.

Marcel Wanders, Bon Bon Chair, 2010. Corde polypropylène, résine époxy, enduit métal précieux. © Marcel Wanders. Photo : Marcel Wanders studio.

Sibylle de Chantérac.