Rencontre avec un couple galeriste passionné d’art contemporain. Chrystel et Bruno Lajoinie nous font vivre leur passion. Rafraîchissant, communicatif et professionnel ! On y apprend plein de choses ! Si vous avez raté l’épisode précédent, c’est ici.

Art Design Tendance : Vous intégrez également un travail d’éditeur à votre métier de galeriste, comment cela se passe-t-il ?                                                                                   Bruno Lajoinie : Nous avons mis en place très rapidement cette activité. A l’origine, nous éditions uniquement à compte d’auteur. Aujourd’hui, ce serait présomptueux de parler de maison d’édition mais tous nos livres sont en dépôt à la Bibliothèque Nationale et possèdent un numéro ISBN. Nous avons fait ce choix d’éditeur car avec Chrystel, nous nous sommes aperçus que les galeries qui nous intéressaient le plus et qui nous semblaient les plus sérieuses faisaient de l’édition. Très vite, cette activité nous a paru faire sens car elle accompagne le travail des artistes et est complémentaire à la monstration en galerie. Malheureusement, c’est une activité coûteuse. Nous faisons de l’édition classique, avec des imprimeurs traditionnels. Nous avons lancé une collection d’entretiens, qui s’appelle En aparté et dont nous avons sorti deux numéros à ce jour. C’est un dialogue avec nos artistes – Olivier Marty et Fabrice Thomasseau. De tout ce que nous avons fait ces dernières années, c’est peut-être ce qui me passionne le plus ! Nous interrogeons l’artiste sur son parcours, sa démarche créative, la manière dont il occupe son temps de travail.

A.D.T. : Quels sont les musées ou les confrères galeristes que vous conseilleriez dans votre région – Aquitaine et Midi-Pyrénées ?                                                                           B.L. : Concernant les lieux institutionnels, je dirais Les Abattoirs à Toulouse – lieu du FRAC Midi-Pyrénées -, je trouve qu’il y a un renouvellement intéressant des expositions proposées. Il y a quinze ans, je vous aurais dit indiscutablement le CAPC de Bordeaux, mais je trouve la programmation un peu ensommeillée depuis. Je le redis cependant, c’est vraiment là que nous avons tout appris !   Pour les galeries, en premier lieu, je citerais Cortex Athletico, une galerie d’art contemporain avant-gardiste installée à Bordeaux en face du CAPC. A Bordeaux également, une galerie historique qui s’est spécialisée dans le design : Arrêt sur l’Image. La galerie le Troisième Oeil mérite aussi le détour. A Toulouse, bizarrement les galeries de qualité n’ont pas profité de la locomotive que sont les Abattoirs, certaines ont fermé. Je n’en vois pas qui me viennent spontanément à l’esprit…

A.D.T : Pour les lecteurs d’Art Design Tendance qui découvrent le métier de galeriste, en plus des expositions et des moyens mis à disposition des artistes pour défendre leur travail, quels autres aspects comportent votre métier ?                                                                                                                                                                B.L. : Nous avons une relation suivie avec nos artistes, notamment les plus jeunes. Patrick Lainville –sculpteur et graveur – nous demande régulièrement notre avis sur l’avancée d’un nouveau travail, en cela je dirais que nous sommes « aux premières loges ». Nous l’aidons dans le travail de production de ses œuvres. Par exemple : Patrick travaille habituellement le fer et souhaiterait désormais montrer des œuvres en bronze. La galerie l’assistera financièrement pour réussir cette mutation. Nous préparons chaque exposition longtemps en amont. L’exposition de Michèle Destarac par exemple – présentée jusqu’au 30 septembre – a été préparée pendant une année. Nous avons fait des allers-retours réguliers à son atelier parisien pour sélectionner les œuvres. Il peut aussi arriver que les artistes nous demandent de valider des pistes de travail. Parfois, nous n’hésitons pas à leur suggérer d’intégrer des travaux à une exposition ultérieure, parce que nous sentons qu’il est encore trop tôt pour les montrer.

A.D.T : Outre le retour à la peinture dont nous avons parlé, voyez-vous d’autres évolutions actuelles dans l’art contemporain ?                                                                   B.L. : J’observe beaucoup de jeunes artistes laisser une place prépondérante au dessin, ce que je voyais moins il y a dix ou quinze ans. Beaucoup de galeries parisiennes remettent à l’honneur le dessin et la magie du papier. J’ai aussi l’impression d’un vrai retour de la figuration, y compris d’une figuration très poussée. Pendant un temps, la photographie lui avait coupé les ailes. En Allemagne, il y a l’Ecole de Leipzig. Ce courant est aussi fortement représenté en Angleterre. Plus proche géographiquement de nous, je peux citer Yvan Salomone ou encore Jérémy Liron, tous deux attachés aux éléments architecturaux.

A.D.T : Souhaitez-vous revenir sur certains points développés ?                                          B.L. : Oui, en particulier il me semble que pour faire ce métier, il faut avoir une bonne connaissance de l’Histoire de l’Art. Aujourd’hui, tout le monde peut ouvrir une galerie d’art, encore faut-il savoir de quoi on parle. Nous n’avons pas la prétention de tout connaître mais nous passons beaucoup de temps à nous informer, lire, découvrir sans cesse de nouveaux artistes. J’ai aussi la sensation que l’argent guide trop facilement la démarche de certains, au détriment de la connaissance. Je peux vous parler de mes deux mentors, galeristes parisiens qui m’ont donné le goût du métier. Le premier, Jean Fournier (1), décédé il y a quelques années et Michel Durand Dessert (2). Des gens passionnants, capables de vous parler des heures durant des artistes et de l’art, avec qui vous pouviez discuter librement même si vous n’étiez pas acheteur. Cette vision du métier est en train de se perdre. Je me rappelle une phrase de Michel Durant Dessert qui m’avait dit de travailler avec des artistes plus âgés que moi, confirmés, mais de ne jamais me déconnecter des artistes de ma génération et de celles qui suivent…C’est l’idée qui guide l’évolution du Domaine Perdu, à savoir trouver de nouveaux talents et surtout conserver une jeunesse d’esprit ! L’art est un reflet de la vie et ce serait une erreur de ne pas observer les générations actuelles qui travaillent avec des outils de leur époque : le matériel numérique, les outils mobiles ou encore la vidéo.

Bruno et Chrystel, je vous remercie pour cet entretien pertinent qui je l’espère ouvrira la porte de l’art contemporain aux lecteurs d’Art Design Tendance. Me concernant, j’y ai découvert beaucoup de choses, un grand merci !

(1)   Jean Fournier fut le galeriste parisien de Simon Hantaï, Joan Mitchell, Claude Viallat…

(2) Michel Durand-Dessert a découvert Gérard Garouste, lancé l’Arte Povera à Paris, a exposé le sculpteur Barry Flanagan ou encore Panamarenko

Prochaines expositions au Domaine Perdu : Dans la galerie du Domaine Perdu, Un voyage d’hiver met à l’honneur le travail de deux artistes  allemands : Heinz Jahn, avec lequel les Lajoinie travaillent depuis plusieurs années, et Stefan Pietryga. Ou quand la couleur dialogue avec le geste minimal.

Dans la galerie Chrystel Anthéo, honneur à la photographie et, une fois n’est pas coutume, à l’illustration. Sous le ciel de Paris montre la ville lumière à travers le regard tendre des photographes Robert Doisneau, Willy Ronis, Michel Sfez et des illustrateurs Dominique Corbasson et Patrick Vallot.
Ces deux expositions seront visibles du 6 décembre au 15 janvier du jeudi au dimanche.

Le Vertige des Profondeurs, Entretien avec Fabrice Thomasseau, éditions Le Domaine Perdu

Le Vertige des Profondeurs, Entretien avec Fabrice Thomasseau, éditions Le Domaine Perdu

Double page extraite du Vertige des Profondeurs, Entretien avec Fabrice Thomasseau, éditions Le Domaine Perdu

Double page extraite du Vertige des Profondeurs, Entretien avec Fabrice Thomasseau, éditions Le Domaine Perdu

Vue de l'exposition Zone amère de Fabrice Thomasseau, 2008. Photo : Bernard Dupuy

Vue de l’exposition Zone amère de Fabrice Thomasseau, 2008. Photo : Bernard Dupuy

Vue de l'exposition Impressions napolitaines d'Arno Boueilh, Petite galerie du Domaine Perdu, 2008. Photo : Théo Lajoinie

Vue de l’exposition Impressions napolitaines d’Arno Boueilh, Petite galerie du Domaine Perdu, 2008. Photo : Théo Lajoinie

Fabrice Thomasseau, Les grandes manœuvres, 2007, 130 x 110 cm. Photo Bernard Dupuy

Fabrice Thomasseau, Les grandes manœuvres, 2007, 130 x 110 cm. Photo Bernard Dupuy

Vue extérieure du Domaine Perdu, 2012 (Photo : Bernard Dupuy)

Vue extérieure du Domaine Perdu, Grande galerie, 2012. Photo : Bernard Dupuy.

F.B.