Il est connu que le « pays du soleil levant » est fréquemment touché par les catastrophes naturelles. On se rappellera par exemple de l’accident nucléaire de Fukushima en 2011, consécutif à un tsunami et qui continue d’empoisonner l’écosystème maritime et terrestre japonais, et bien au-delà. Voir à ce titre la très belle enquête photographique du vénézuélien Carlos Ayesta et du Français Guillaume Bression, qui ont remporté le Prix Découverte à l’occasion de l’édition 2017 des Rencontres d’Arles. En habituée des caprices de la nature, l’artiste japonaise Yuko Mohri, née à Kanagawa et vivant aujourd’hui à Tokyo, a décidé de s’intéresser aux situations d’urgence durant lesquelles la créativité humaine peut s’avérer être surprenante, notamment lors de l’élaboration de systèmes de survie.

Bricolages aquatiques

À l’occasion de la dernière Biennale d’art contemporain de Lyon, Yuko Mohri a présenté plusieurs œuvres dont une qui se compose de trois grands cadres de bois dans lesquels sont suspendus des objets de récupération que l’on pourrait aussi associer à des objets de vie quotidienne. Chaque cadre fonctionne comme un circuit fermé : l’eau circule au sein du cadre entre les objets verseurs et récupérateurs d’eau. ↓

Yuko Mohri, « Moré Moré [Leaky] The Falling Water Given #4-6 »

Yuko Mohri, Moré Moré [Leaky] The Falling Water Given #4-6 , 2017 – Courtesy de l’artiste, de la Biennale de Lyon 2017 et White Rainbow, ©Blaise Adilon

À côté de l’œuvre, on remarque une série de photographies prises à Tokyo illustrant des fuites d’eau qui ont eu lieu après un séisme. L’œuvre est inspirée de faits réels ce qui la rend à la fois marquante et surprenante. On ne peut s’empêcher d’y voir un regard critique sur le rapport de l’homme à la nature et au temps. L’œuvre incite à la contemplation de chaque lieu ou cadre naturel, et au respect de l’instant qui nous est donné. Yuko Mohri reprend également des éléments de l’univers de Marcel Duchamp. On retrouve le concept du ”ready made” pour lequel ce dernier est resté célèbre. L’oeuvre : Moré Moré [Leaky]: The Falling Water Given #4-6,  fait directement référence à l’oeuvre Le Grand Verre (The Large Glass) de Duchamp que l’on peut admirer dans la collection du Philadelphia Museum of Art.

Forêt de sons

L’œuvre de Yuko Mohri est intrinsèquement liée à celle de David Tudor : Rainforest V (Variation 2), qui était exposée concomitamment au MAC Lyon durant la Dernière Biennale d’Art Contemporain. Il s’agit également d’un écosystème d’objets qui plonge immédiatement le visiteur dans un univers coloré et sonore. Le son est donc un élément essentiel de l’œuvre ; il donne une âme aux objets supposés obsolètes et inertes. Il s’agit de sculptures chantantes à l’image des sons et des bruits que l’on entend au sein des forêts tropicales : certaines sculptures imitent des chants d’oiseaux, d’autres des bruits d’insectes, ou bien tout simplement le son du vent qui frôle les feuilles des arbres. ↓

Vue de l'installation Rainforest V (Variation 2), 1973 – 2015, au Mac Lyon

Vue de l’installation Rainforest V (Variation 2), 1973 – 2015, au Mac Lyon – Biennale d’art contemporain 2017. Conception : David Tudor. Réalisation : Composers Inside Electronics – John Driscoll, Phil Edelstein. Photo ©Mac Lyon

David Tudor a commencé sa carrière en tant que compositeur américain. Cette première étape lui a permis de découvrir un grand intérêt pour les innovations technologiques et la spatialisation sonore. Il a d’ailleurs créé un groupe de musique électronique improvisée nommé Project of Music for Magnetic Tape. Cette vocation musicale se reflète amplement dans la réalisation de ses œuvres : Rainforest V est un concert interactif entre spectateurs et objets du quotidien. Il s’agit d’une expérience sonore surprenante et joyeuse qui a fait le bonheur des visiteurs de l’exposition.

→ À noter : L’oeuvre Rainforest V (Variation 2) a été réalisée par les artistes John Driscoll & Phil Edelstein du collectif Composers Inside Electronics qui ont travaillé avec David Tudor de son vivant. Le Musée d’art contemporain de Lyon a souhaité acquérir l’oeuvre en raison de sa valeur historique (David Tudor a collaboré à de nombreuses reprises avec John Cage) et sa portée dans l’histoire de l’art contemporain. Il s’agit en effet du 1er environnement sonore abouti  dans l’histoire de l’art contemporain. De plus, comme l’a expliqué Hervé Percebois, le directeur des collections du MAC Lyon, le musée possède déjà des installations conçues en tant qu’environnements sonores, tel que la Dream House de La Monte Young (1990). Pour toutes ces raisons, il était logique que l’oeuvre, présentée à l’occasion de la dernière Biennale d’art contemporain, prenne place dans la collection du MAC Lyon. ↓

La Monte Young & Marian Zazeele, Dream House

La Monte Young & Marian Zazeele, Dream House

Écrit par Kristina Azaryan