Suite et fin de mon interview avec Stéphane Degroisse, chargé du site Internet et des nouveaux médias du Musée des Beaux-Arts de Lyon. Dans ce volet, Stéphane Degroisse revient sur l’expérience du financement participatif pour acquérir des œuvres, évoque l’importance de l’encyclopédie en ligne Wikpédia, et esquisse les projets d’avenir de son institution et ses souhaits dévolution. Pour retrouver les 4 premiers épisodes :  : 1- Le Musée des Beaux -Arts de Lyon sera présent sur le Google Art Project – La stratégie numérique du MBA Lyon #4 -2-Applications numériques au musée, quels enjeux ? La stratégie numérique du Musée des Beaux-Arts de Lyon #3   3-Comment le Musée des Beaux-Arts de Lyon écoute les nouveaux usages culturels des internautes ? (#2)  4- La stratégie numérique du Musée des Beaux-Arts de Lyon #1 

Art Design Tendance : Pourquoi avez-vous fait le choix de mettre en ligne un site web dédié dans le cadre de la souscription publique pour acquérir un portrait inédit réalisée par Corneille de Lyon, un peintre du XVIe siècle ? Vous auriez pu utiliser une plateforme de financement participatif comme Ulule ou Kisskissbankbank par exemple ?

Stéphane Degroisse : Il y a 3 ans, lorsque nous cherchions 80.000 € pour acquérir un chef-d’œuvre d’Ingres, nous avions été approchés par MyMajorCompany. Or, nous n’avions pas les moyens de financer la rétribution demandée (20%). Pour autant, nous ne sommes pas fermés à ce type de financement. Un site web dédié peut revenir cher à la création, à son actualisation, sa maintenance etc. Nous avons ainsi accueilli la société Ulule qui était venue présenter son fonctionnement à différentes institutions culturelles lyonnaises. Nous avons finalement fait le fait le choix du mécénat de compétences avec la société Altran car l’opportunité s’est présentée à ce moment-là. L’entreprise a réalisé le site web qui a porté la souscription en échange de quoi nous avons mis à disposition d’Altran les espaces du musée pour l’organisation de soirées privatives.

Musée des Beaux-Arts de Lyon, audioguide en ligne devant un tableau de Miró, exposition Jacqueline Delubac.

Musée des Beaux-Arts de Lyon, audioguide en ligne devant un tableau de Miró, exposition Jacqueline Delubac.

A.D.T. : Où en est le projet NFC (1) ?

S.D. : L’application mobile « Parcours thématiques » prévoit à l’origine de fonctionner grâce à la technologie sans contact NFC (Near Field Communication) ; Ce projet prévoit l’installation de puces rfid (puces permettant d’envoyer un signal aux smartphones et d’ouvrir un contenu multimédia par internet). Ces puces NFC renvoient sur les parcours thématiques du musée. Ils devaient être installés en bas de chaque cartel d’œuvre, le scan automatique de la puce NFC entraînant automatiquement un commentaire d’œuvre. Le système n’est toujours pas installé, il est en discussion avec les conservateurs du musée. Ce point soulève la présence des outils numériques au sein du musée, de quelle façon les intégrer « convenablement » et en cohérence les uns avec les autres.

A.D.T. : Y a-t-il, selon vous, de grandes différences d’approche pour faire entrer les outils numériques au musée ?

S.D. : Oui, évidemment. Cela dépend tout d’abord de la nature du musée. Un musée des sciences et techniques par exemple pourra varier ses propositions, davantage qu’un musée de Beaux-Arts. Les pays anglo-saxons et québécois ont une avance certaine par rapport à nous, la culture y est différemment abordée. Néanmoins, je pense que sur cette question tout dépend aussi de la direction de l’établissement. En France, les directeurs d’institutions culturelles proviennent de grands corps de métiers de conservateurs qui préparent à ces fonctions. Si la formation académique et artistique est de haut niveau, peut-être serait-il intéressant de former les futurs dirigeants aux enjeux de la communication numérique. Tout comme la question du financement des dispositifs numériques par le mécénat est une véritable question, elle requiert des compétences spécifiques.

Le numérique ne figure plus en queue de budget pour un établissement culturel d’importance. Cependant, en préparant 1 ou 2 ans à l’avance une grande exposition, ce n’est pas le premier poste auquel on pense. Pour l’exposition Autoportraits, de Rembrandt au Selfie, le projet intègre justement une partie numérique pensée de manière collaborative. Une installation est présente en conclusion du parcours pour inviter les visiteurs à réaliser leur propre autoportrait, tandis qu’une composition créera un gigantesque portrait aléatoire formé par la combinaison de toutes ces images.                                                                                                                                                   Le musée des Beaux-Arts de Karlsruhe a mis en ligne un site web dédié à l’exposition et je pourrai à mon tour exploiter le CMS du site traduit en français. J’alimente le site propre du Musée des Beaux-Arts de Lyon avec ce CMS, le temps de l’exposition lyonnaise.

A.D.T. : Quels sont les projets numériques du musée ?

S.D. : Le Google Art Project bien évidemment. Nous avons aussi envie de refondre notre site internet qui date de 2007. Il est inadapté à l’interactivité qu’on peut en attendre, en 2016. Il faut bien voir qu’à l’époque, la largeur des images d’œuvre mises en ligne n’excédaient pas 500 pixels pour éviter au maximum les copies d’images ! Aujourd’hui, tant mieux si ces images circulent sur des blogs, sur des sites, dans des travaux d’étudiants : ce sont des moyens de s’approprier la culture, de partager les collections de l’institution, collections qui sont un patrimoine commun ! D’ailleurs, dans les projets wikipédia que nous accueillons, il y a des photographes.

A.D.T. : Pouvez-vous nous expliquer ce partenariat avec Wikipédia ?

S.D. : Nous mettons en place des éditathons, journées de travail avec des amateurs passionnés d’histoire, d’histoire de l’art, étudiants, doctorants et photographes. Nous leur ouvrons l’exposition, avec visite du commissaire, et mettons à leur disposition tous les ouvrages scientifiques ayant permis de monter l’exposition. Nous les accueillons à la bibliothèque du musée pour une à deux journées de travail, avec ordinateurs et connexion wifi. Le résultat est une amélioration des fiches d’œuvres d’artistes sur l’encyclopédie libre, en lien avec les expositions du musée.

Vous allez me demander pourquoi travailler avec Wikipédia ? D’abord parce que cela permet d’avoir une visibilité non négligeable sur ce 5e ou 6e site consulté au monde. On a tendance à l’oublier, mais les musées se doivent d’être présents sur cette encyclopédie libre qui est extrêmement consultée par les internautes. Nous avons déjà accueilli 10 wikipédiens dans le cadre de l’exposition Renaissance en novembre 2015. Ce que nous avions déjà fait à l’occasion de l’exposition L’invention du Passé. Histoires de cœur et d’épée 1802-1855  en juin 2014.

Nous pourrons également intégrer notre base de données pour l’ensemble de la collection (70.000 œuvres). Nous la complétons patiemment au fil de l’eau avec les moyens humains et matériels que nous avons puisque nous y sommes obligés. Tous les 10 ans, un musée a en effet l’obligation de procéder au récolement de ses collections, c’est-à-dire une forme d’inventaire.

A.D.T. : Quel serait votre musée du futur ?

S.D. : D’un point de vue programmation culturelle, les partenariats que le musée a initié avec la Maison de la Danse (un bal populaire début janvier), la Bibliothèque, l’ONL (Orchestre National de Lyon, visite art et musique), le TNP (nocturnes avec participation des comédiens du TNP) permet véritablement d’élargir les publics. Le travail du service culturel est formidable dans l’accueil des publics éloignés.

D’un point de vue numérique, j’aimerais un endroit plus ouvert, et surtout plus collaboratif. Mais c’est compliqué dans le monde des Beaux-Arts. Certains musées arrivent à initier des contributions citoyennes. Le Museum de Toulouse, par exemple, fait souvent appel à ses visiteurs passionnés de photo qui alimentent leur base de données avec des photographies de faune ou de flore extraordinaires !

Pour terminer, je dirais que les salles de notre musée restent avant tout faites pour se délecter des œuvres d’art. Or, aimer une œuvre c’est la comprendre, c’est pourquoi je suis persuadé que la mission d’un musée, c’est aussi de former au regard. Ce que permettent précisément les outils numériques (comme les outils papier distribués sur place au musée). Je rêve de plus d’outils numériques dans les salles pour aider à la compréhension des œuvres comme cela existe dans de nombreux musées dans le monde (au Louvre, magnifique expérience sensorielle dans la galerie d’art islamique par exemple, nouveaux outils au Louvre-Lens). Il s’agit donc d’un équilibre à trouver entre un amateur éclairé qui apprécie l’œuvre sans besoin d’un dispositif particulier, et celui qui a besoin d’informations et pour lequel le numérique est une des réponses possibles.

Stéphane Degroisse, merci beaucoup pour le temps consacré à cette interview et le contenu très riche de cet entretien qui pose clairement les enjeux du numérique au musée.

(1) NFC pour (Near Field Communication). Projet  piloté par le Grand Lyon, en partenariat avec la Ville de Lyon et le musée des Beaux-Arts. Il s’agit d’une nouvelle offre de services mobiles sans contact permettant une expérience culturelle et touristique depuis téléphones mobiles et tablettes.

L'opération de mécénat participatif Corneille de Lyon a rencontré un franc succès.

L’opération de mécénat participatif “Corneille de Lyon” a rencontré un franc succès.

Le Musée des Beaux-Arts de Lyon propose à ses visiteurs des focus sur certaines œuvres. À ce titre, n’hésitez pas à aller regarder les vidéos du musée mises en ligne sur YouTube.

Propos recueillis par François Boutard, réalisé avec l’aide d’Antoine Brisson.