Au moment où l’on célèbre en grande pompe au Grand Palais la carrière outrageuse et radicale de la plasticienne Niki de Saint Phalle – qui aurait eu 84 ans aujourd’hui -, l’idée de ce billet est de sortir des clichés classiques attribués à l’artiste : les Nanas. ↓

Niki de Saint Phalle, Les trois Grâces, 1994

Niki de Saint Phalle, Les trois Grâces, 1994

Outre un certain esthétisme, ces poupées féminines peintes avec de la résine de polyester ne m’ont jamais véritablement attiré… Et puis, surtout, je trouve que l’on résume souvent la carrière de Niki de Saint Phalle à ces figures, emblématiques car reconnaissables, mais au détriment des expériences artistiques multiples auxquelles s’est livrée Catherine-Marie-Agnès Fal de Saint Phalle durant toute sa vie. Et ceci est profondément injuste quand on songe à la position de l’artiste, féministe qui plus est, dans la France de l’après-guerre. Niki de Saint Phalle a osé ce que la plupart de ses contemporaines n’auraient jamais imaginé réaliser. Ainsi, peut-on la voir dans ce bijou d’archive de l’INA d’époque, en avril 1961, pratiquait ses fameux tirs : ↓

La face sombre  de Niki – engagement et rédicalité

Surtout, l’expression artistique de Saint Phalle est intimement reliée à sa vie privée. Loin des Nanas distillant l’image d’un bonheur arc-en-ciel, si l’artiste est socialement engagée pour la cause féministe, s’empare des attributs traditionellement masculins avec ses séances de tirs, réduit à l’état d’objet sexuel la figure du père, ce n’est évidemment pas un hasard. Voici ce qu’elle écrit dans une de ses lettres autobiographiques qui prennent la forme d’une correspondance imaginaire :

Cher Pontus,

New York, octobre 1991

Quand devient-on rebelle? Dans le ventre de sa mère? A cinq ans, à dix ans?

Je suis née en 1930. ENFANT de la DÉPRESSlON. Pendant que ma mère m’attendait, mon père perdit tout leur argent. En même temps elle découvrit l’INFIDELITÉ de mon père. Elle pleura tout au long de sa grossesse. J’ai ressenti ces LARMES.

Plus tard elle me dirait que TOUT ÉTAIT DE MA FAUTE. Les ennuis étaient venus avec moi. Je la crus.

[…]

Je prouverais que ma mère avait TORT! Je passerais ma vie à prouver que j’avais le DROIT D’EXISTER. Un jour ma mère serait fière de moi devenue riche et célèbre. Le plus important pour moi était de prouver que j’étais capable d’aller au bout de mes projets. Un jour j’accomplirais le plus grand jardin de sculptures jamais fait depuis le Parc de Gaudi à Barcelone.

[…]

Enfant je ne pouvais pas m’identifier à ma mère, à ma grand-mère, à mes tantes ou aux amies de ma mère. Un petit groupe plutôt malheureux. Notre maison était étouffante. Un espace renfermé avec peu de liberté, peu d’intimité. Je ne voulais pas devenir comme elles, les gardiennes du foyer, je voulais le monde et le monde alors appartenait aux HOMMES. Une femme pouvait être reine mais dans sa ruche et c’était tout. Les rôles attribués aux hommes et aux femmes étaient soumis à des règles très strictes de part et d’autre.

Quand mon père quittait tous les matins la maison à 8 h 30 après le petit déjeuner, il était libre (c’est ce que je pensais). Il avait droit à deux vies, une à l’extérieur et l’autre à la maison.

Je voulais que le monde extérieur aussi devienne mien. Je compris très tôt que les HOMMES AVAIENT LE POUVOIR ET CE POUVOIR JE LE VOULAIS.

OUI, JE LEUR VOLERAIS LE FEU. Je n’accepterais pas les limites que ma mère tentait d’imposer à ma vie parce que j’étais une femme.

NON. Je franchirais ces limites pour atteindre le monde des hommes qui me semblait aventureux, mystérieux, excitant. […]

Eloquent non ? Avec ses tirs, Niki de Saint Phalle tue la peinture, mais qui est la peinture ? Papa, Maman ? Il faut aussi lire entre les lignes que l’artiste a été abusée sexuellement par son père, d’où une revanche profonde à prendre avec la figure paternelle :↓

la mort de papa, fin du film “Daddy” par Nikki de Saint Phalle

Des oeuvres annonciatrices

Autre point d’ancrage pour s’extraire de l’imagerie populaire des Nanas, son travail autour de la figure de KING KONG. En 1963, Niki de Saint Phalle s’inspire du personnage et revendique un avenir sombre aux dirigeants de la planète et à New York. Dans le tableau-tir  King Kong réalisé en 1962, Niki de Saint Phalle tire sur les têtes – des masques -, des dirigeants les plus influents de l’époque comme Nikita Khrouchtchev, Fidel Castro, le Général de Gaulle et John Kennedy. Ironie du sort, dans la pièce préparatoire au grand tableau – Heads of State -, le masque de John Kennedy n’a pas résisté au tir, la balle a traversé le masque… quelques mois avant l’assassinat de Dallas… Et que dire des avions qui fondent sur des gratte-ciels dans la version finale du tableau, sinistre présage au 11 septembre 2001 ?↓

Niki de Saint Phalle, Heads of State (Etude pour King Kong)

Niki de Saint Phalle, Heads of State (Etude pour King Kong)

Niki de Saint Phalle, étude pour King Kong, Heads of State, 1962

Niki de Saint Phalle, King Kong, 1962

A vous maintenant de vous faire votre propre idée de qui était Niki de Saint Phalle, en allant voir l’exposition par exemple. Ses oeuvres sont tellement engagées qu’elles nous ramènent à cette question, éternellement…

F.B.