Last Updated on 3 mai 2023 by Chloé RIBOT
Chambord accueille la collection Pompidou
Le majestueux Château de Chambord, situé dans ma Sologne natale, accueille actuellement une exposition sensationnelle, n’ayons pas peur des mots. Georges Pompidou et l’art : une aventure du regard, expose la collection de l’Ancien président de la République, féru avec son épouse Claude, d’art moderne et contemporain. Parallèlement à la collection, est exposé le fameux salon réalisé par le designer Pierre Paulin pour l’Elysée, à la demande du couple présidentiel : pour l’époque, une réussite avant-gardiste exceptionnelle dans le lieu par excellence qui symbolise le pouvoir républicain français et ses traditions. ↓
Une véritable passion
On connaît souvent le président qui décida de la création d’un centre culturel d’un nouveau type, dédié à l’art moderne et contemporain, ainsi qu’au design, à la musique, aux livres et au cinéma. Le Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou (CNAC), communément appelé « Centre Georges-Pompidou » ou « Beaubourg » souffle cette année ses 40 bougies. C’est, sans conteste, un des tous premiers musée au Monde par la richesse et la variété de ses collections. En revanche, on connaît moins les rapports privilégiés qu’entretenait le Président avec les artistes, et par là-même la collection qu’il débuta très jeune avec l’achat du roman-collage La Femme 100 têtes de Max Ernst, alors qu’il n’avait que 18 ans.
À sa passion pour la politique, Georges Pompidou possédait un véritable enthousiasme pour l’art moderne et l’art contemporain, en train d’éclore à la suite de la Révolution Pop-Art aux Etats-Unis. Lui et sa femme aimaient rencontrer et fréquenter les artistes de leur temps. Ainsi, dès la fin des années 50, le couple devient très lié avec Annabel et Bernard Buffet, Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely, soit des personnalités assez fortes. Ils fréquentent aussi Vasarely et Hans Hartung. Le président entretiendra notamment une correspondance nourrie avec l’artiste abstrait Georges Mathieu (dès 1963). Georges Pompidou lui commanda d’ailleurs une large peinture pour le Fort de Brégançon, lieu officiel de villégiature du Président de la République. ↓
Lorsqu’il devient premier ministre en 1962, il n’hésite pas à mettre, dans son bureau, un tableau de Pierre Soulages, c’est épatant non ? Interrogé à ce sujet, le peintre confie qu’à l’époque, il n’avait pas rencontré et ne connaissait pas personnellement Pompidou. Si bien que l’homme politique avait choisi personnellement une de ses toiles alors exposée au musée d’art moderne pour son bureau. Une preuve de la connaissance de Georges Pompidou du marché de l’art et des artistes importants de l’époque. Evidemment, ce dernier s’amusait du regard de ses hôtes pour l’oeuvre, étonnement distinctes au milieu des tapisseries murales anciennes !
Amateur d’art et collecteur averti, proche de certains artistes, Georges Pompidou se renseignait également sur l’évolution de l’ameublement et le style du mobilier de son époque. On lui doit bien sur l’audace d’avoir laissé carte blanche à Pierre Paulin pour imaginer et réaliser la décoration et le mobilier des appartements privés de l’Elysée – Fumoir, Salon des Tableaux et Salle à manger -. Dans le Salon des tableaux, trônent des oeuvres de Matisse, Kupka et Delaunay. Je ne présente pas le premier, le second est un peintre tchèque considéré comme un des pères de l’abstraction, enfin Robert Delaunay et sa femme Sonia, ont fondé le mouvement orphiste, une avant-garde du début du XXème siècle. ↓
Et que dire alors d’un Président de Droite, attaché à des valeurs conservatrices, mais qui n’hésite pas à commander à l’artiste israélien Yaacov Agam, une des figures de l’art cinétique – on est là encore dans une tendance avant-gardiste et réservée aux connaisseurs dans le contexte de l’époque – pour aménager l’antichambre des appartements privés du palais de l’Élysée ? Au final, une oeuvre d’art total : des panneaux translucides qui coulissent pour entrer dans la pièce, un mur présentant 900 nuances de couleurs, chaque couleur étant modulée pour se transformer progressivement, des motifs géométriques à profusion et la richesse visuelle pour le visiteur de voir les 3 murs de la pièce former et déformer une image… ↓
De Braque à Raysse
L’exposition fait découvrir la collection des Pompidou qui couvre en grande partie 3 décennies d’art nouveau et contemporain : de la fin des années 40 aux années 70. Le voyage est fascinant et confirme les goûts du couple présidentiel pour les artistes de leur temps. Ainsi, la collection balaie différentes époques, des tableaux des « Modernes » de l’avant-guerre et de l’entre-deux-Guerre : Georges Braque, André Beaudin, Jean Fautrier, Vassily Kandinsky, Jean Arp, Max Ernst, Bernard Buffet, Nicolas de Staël, Hans Hartung, Maurice Estève, en passant par le spatialisme de Lucio Fontana jusqu’aux « contemporains » Yves Klein, Niki de Saint Phalle, Raymond Hains, Victor Vasarely, Yaacov Agam, Carlos Cruz-Diem, Gérard Deschamps, Jean-Pierre Raynaud, Martial Raysse… ↓
À bien y regarder, les Pompidou ont collectionné des œuvres qui donnent à voir un panorama complet des différentes avant-gardes du siècle précédent, et la transition entre art nouveau et l’art dit contemporain – bien que ce point prête souvent à discussion :-))) -. Pour anecdote, leur fils, Alain Pompidou, qui a hérité de ses parents leur collection, raconte comme ces derniers le soir à l’Elysée inter-changeaient les tableaux, les repositionner pour créer des associations heureuses entres des œuvres très diverses…
Un goût prononcé pour l’abstraction
Parmi toutes les œuvres des Pompidou, beaucoup peuvent être rattachées au courant de l’art abstrait. Ainsi, dans un entretien accordé en 1966 au Figaro littéraire, le journaliste insiste sur la passion de Georges Pompidou pour l’art abstrait et lui demande : « Vous avez été un des premiers à remarquer et à aimer la peinture abstraite ». Pompidou : « J’aime la peinture abstraite parce qu’elle est celle de ma génération (…). Aujourd’hui encore les grands peintres abstraits ont pour moi une puissance de rêverie, de poésie incomparable ».
Parmi ces artistes appréciés des Pompidou, citons Soulages, Georges Mathieu et Fontana – très belle rétrospective au Musée d’Art Moderne en 2014 pour ce dernier– bien sûr, mais aussi Chapoval puis Alechinsky, Hartung et Zao Wou-Ki grâce à l’entremise de la Galerie de France. Ainsi, les Pompidou deviennent des collectionneurs avertis grâce à la fréquentation de galeries et surtout de galeristes passionnés. Ainsi, dans les années 50, ils se rendent souvent chez la galerie Denise René qui leur fait notamment connaître le peintre abstrait Auguste Herbin, puis les mène vers l’art cinétique avec Vasarely, Agam, Sotó puis Cruz-Diez ou Tomasello. ↓
Aurons-nous à nouveau un président aussi fin connaisseur de l’art de son époque ? J’en doute fortement… Georges Pompidou est une exception, avec pour passion la politique et l’art, sujets parfois peu compatibles et même douloureux si on entremêle leurs significations -Georges Pompidou en a d’ailleurs souffert à certains moments de sa vie politique -. Reste qu’il nous a légué une formidable institution, enviée dans le monde entier, et qui fête cette année son 40ème anniversaire !
F.B.