Le blog Art Design Tendance mène une série d’entretiens auprès des responsables communication des grandes institutions culturelles (Centre Pompidou, Mac Lyon, Musée des Arts Décoratifs de Paris, etc.) pour comprendre comment la révolution digitale que nous vivons depuis quelques années bouleverse les pratiques muséales. « L’expérience  culturelle »  se vit désormais autant dans les murs du musée qu’en dehors, via les écrans notamment. Ces mutations sont rendues possibles par la banalisation de l’emploi de nouveaux outils numériques. Puisque nous ne voyons et n’expérimentons plus l’art de la même façon dans un musée au XXIème siècle, il est aussi intéressant de se demander comment ces nouvelles pratiques impactent, en 2016, le marché de l’art et ses acteurs ? C’est pourquoi, lorsqu’on m’a proposé de rencontrer Antoine Van De Beuque, le fondateur et dirigeant de la 1ère plateforme internationale en ligne de vente et d’achat d’œuvres d’art haut de gamme de gré à gré, ARTVIATIC,  j’ai immédiatement sauté sur l’occasion pour poser quelques questions à son créateur. 

Antoine Van De Beuque, Président et Fondateur d'ARTVIATIC

Antoine Van De Beuque, Président et Fondateur d’ARTVIATIC

Art Design Tendance : Pourquoi, Antoine Van de Beuque, avez-vous eu l’idée de créer en 2012 une plateforme de vente en ligne pour l’art ?

Antoine Van de Beuque : À l’époque, je me suis demandé si le processus d’acquisition d’une œuvre sur le marché de l’art traditionnel était toujours pertinent. J’ai fait le constat des défauts des deux professions que j’avais auparavant exercées sur ce marché : le courtier en art et le métier de galeriste (Chez Wildenstein). J’ai alors observé qu’en tant que courtier, les commissions empêchaient souvent les œuvres de trouver preneur à un juste prix. Il peut ainsi arriver qu’un acheteur paye plusieurs commissions dues à l’intervention de différents intermédiaires. Le galeriste quant à lui propose souvent un choix limité à l’instant T et manque par conséquent d’œuvres à proposer à ses clients. Partant de ce double constat, j’ai souhaité inventer un autre modèle qui permette à l’acheteur de trouver, sur une place de marché, un grand choix d’œuvres d’art  tout en garantissant un prix d’achat raisonnable et transparent.

Je souhaite aussi dire qu’il existe un public acheteur qui ne pousse pas la porte d’une galerie, soit par timidité ou crainte. De plus, la plateforme ARTVIATIC a pour objet de faciliter la rencontre entre acheteur et vendeur, ce qui n’est pas le cas lorsqu’on fait appel à un courtier. Il y a sur le marché des œuvres qui ne trouvent pas d’acheteur, car le processus d’achat est rendu complexe. ARTVIATIC simplifie ce parcours.

En 2012, nous avons donc lancé la plateforme, pour des œuvres d’art dites « rares », accessibles à partir de 150.000 €, des peintures, sculptures ou d’œuvres sur papier impressionnistes, modernes et contemporaines.

A.D.T. : Comment les acteurs du marché ont-ils accueilli votre projet ?

A.V.D.B. : L’accueil n’était pas négatif, mais mes interlocuteurs n’avaient pas encore pris la mesure des changements sociétaux à l’œuvre, et notamment la banalisation de l’acte d’achat en ligne sur Internet. D’une certaine façon, mes interlocuteurs m’écoutaient d’une oreille distraite…

A.D.T: Cela-a-t-il changé aujourd’hui ?

A.V.D.B : Oui, les mentalités ont énormément changé ces dernières années. Auparavant, j’allais voir les galeries pour leur présenter l’intérêt de mettre en vente leurs œuvres sur la plateforme. Désormais, ce sont plutôt elles qui viennent vers moi, convaincues du potentiel d’exposition que propose ARTVIATIC et de sa simplicité d’utilisation.

Il y a, sur le marché, de nombreuses œuvres qui ne trouvent pas preneur, à cause des raisons que j’évoquais ci-dessus. ARTVIATIC « fluidifie » le marché. Pour autant, les galeries ont besoin d’être rassurées, à juste titre, pour comprendre comment fonctionne la plateforme.

A.D.T. : Quel est le positionnement d’ARTVIATIC par rapport à d’autres intermédiaires du marché en ligne comme Artprice ou Artsper par exemple ?

A.V.D.B.: Notre positionnement est singulier. Artprice s’est constitué autour d’une base de données mondiale et est devenue une place de marché sur le modèle d’une maison de vente en ligne. Chez ARTVIATIC, il n’y a pas d’enchères. Acheteur et vendeur communiquent et négocient un prix directement sur la plateforme. L’acheteur fait une offre et le vendeur est libre de la refuser ou d’accepter. Une fois que les 2 parties se sont mises d’accord sur un prix, le vendeur reçoit, toujours via la plateforme, les coordonnées téléphoniques et le courriel de l’acheteur. En général, acheteur et vendeur se rencontrent alors pour finaliser l’achat.

Sur Artsper, les prix sont fixes. Il n’y a pas de négociation possible contrairement à notre plateforme.

A.D.T. : Quel est le business model de la plateforme ?

A.V.D.B. : Il est très simple. Le vendeur verse 3% de commission sur l’achat de l’œuvre d’art,  l’acheteur paie le même pourcentage. Les commissions sont parmi les plus faibles du marché. Quand vous pensez qu’elles peuvent atteindre jusqu’à 30% du prix d’achat d’une œuvre dans certaines maisons de vente…

A.D.T. : Comment garantissez-vous la valeur des œuvres mises en vente sur ARTVIATIC ?

A.V.D.B. : Le vendeur doit remplir des champs très précis sur la plateforme concernant le tableau ou la sculpture qu’il met en vente. En particulier, nous lui demandons de justifier de l’inscription de son œuvre dans un catalogue raisonné (1)  de l’artiste ou à défaut, de fournir un certificat qui authentifie l’œuvre. Ce sont là des champs obligatoires.

Les informations données par le vendeur sur la plateforme sont ensuite analysées par Martine Heudron, historienne de l’art et documentaliste de renom qui vérifie scrupuleusement les informations. Martine Heudron a notamment collaboré au catalogue raisonné le plus récent concernant Gauguin.

S’il manque des informations ou si un doute subsiste, nous reprenons contact avec le vendeur.

A.D.T. : La vente en ligne participe-t-elle d’une démocratisation du marché ?

A.V.D.B. : Nous ne faisons que suivre l’évolution du marché. C’est la civilisation qui change et avec elle sa façon d’acheter. Les ventes d’art sur internet ont augmenté de 24 % en 2015. (2)

A.D.T. : Observez-vous de nouveaux profils d’acheteurs ?

A.V.D.B. : Pas nécessairement de nouveaux profils. En revanche, l’appréhension de l’achat en ligne pour une œuvre d’art est en train de disparaître. Nous sommes rentrés dans une époque de banalisation de la transaction en ligne, même pour ce type de bien.

Nous observons aussi que la jeune clientèle n’hésite pas à s’inscrire sur la plateforme. Elle est naturellement curieuse et communique peut-être plus facilement. Raison pour laquelle un de nos atouts est de proposer un éventail plus large de choix d’œuvres, ce qu’un galeriste pourrait difficilement faire. D’ailleurs pour cette clientèle, nous communiquons sur les réseaux sociaux et envoyons une newsletter. Cette population, qui a grandi avec l’internet, aime être au fait de l’actualité.

A.D.T. : À votre avis, pourquoi les acheteurs viennent-ils sur votre plateforme ?

A.V.D.B. : Les acheteurs se plaignent souvent des frais de commissionnement qu’ils supportent pour acheter une œuvre. C’est un argument qui revient souvent. Evidemment, s’agissant des ventes exceptionnelles concernant des œuvres d’exception, les acheteurs sont prêts à payer chèrement l’intermédiaire. Mais sur des œuvres plus modestes, la plateforme facilite la rencontre entre acheteur et vendeur, et permet à des œuvres d’être vendues au bon prix.

D’ailleurs, suite aux retours de certains vendeurs très satisfaits du service de la plateforme et qui souhaitaient proposer des œuvres à la vente à des prix inférieurs à 150.000 €, nous avons ouvert en septembre une 2ème place de marché pour des œuvres dont le prix oscille entre 20.000 € et 150.000 €. Les œuvres de cette catégorie de prix sont en libre accès sur la plateforme. Pour les prix supérieurs à 150.000 €, il faut souscrire un abonnement.

Enfin, je dirais qu’il existe un effet de curiosité. Les internautes ont envie de casser les codes traditionnels du marché et veulent accéder à une certaine « modernité ».

A.D.T. : N’y-at-il pas un risque de « tuer » le romantisme d’une vente en galerie ?

A.V.D.B. : Non, car la rencontre physique entre l’acheteur et le vendeur aura toujours lieu. Ce qui change, c’est la manière d’envisager la transaction. Un acheteur sera toujours plus à l’aise derrière son écran pour négocier, qui plus est avec des commissions transparentes et équitables entre les deux parties. Dans une galerie, il peut se sentir intimidé par le contexte.

ARTVIATIC permet une négociation plus « objective ». Lorsqu’acheteur et vendeur sont tombés d’accord sur un prix d’acquisition et qu’ils se rencontrent, rien ne les empêche de convenir d’un autre prix pour différentes raisons. Les frais de commissionnement s’appliquent alors au prix de l’œuvre  sur lequel acheteur et vendeur sont tombés en accord sur la plateforme. Et contrairement à d’autres sites internet, les prix d’acquisition restent secrets, ils regardent exclusivement acheteur et vendeur. Les galeries notamment apprécient cette discrétion.

Cette confidentialité est importante. Nous avons des acheteurs dans une tranche d’âge comprise entre 50 et 65 ans qui veulent diversifier leur patrimoine et qui aiment l’art. Les frais raisonnables de la plateforme ainsi que son pouvoir discrétionnaire leur conviennent pleinement !

F.B.

(1) catalogue raisonné : Le catalogue raisonné d’un artiste peintre, joaillier ou sculpteur est l’inventaire le plus complet possible de ses œuvres et de leur localisation et avec la mention de leurs propriétaires moyennant leur accord. Une présentation générale de l’artiste accompagne souvent ce travail, avec un travail documentaire incluant des documents d’archives (acte de baptême, mariage(s), naissance des éventuels enfants, acte de décès, inventaire après décès, vente après décès).

(2) selon une étude publiée en mai 2016 par l’assureur Hiscox, 92 % des personnes ayant acheté en ligne (parmi lesquelles 43 % de jeunes collectionneurs) se déclarent prêtes à réitérer l’expérience dans les douze prochains mois.