Cela fait une dizaine d’années maintenant que je suis amoureux de la peinture de Cornélia KOMILI. Ce qui m’y fait replonger ? Sans doute l’incroyable luminosité picturale qui émane de paysages à la frontière du minéral et du végétal, ceux que j’aime nommer “non-lieux” ; un terme introduit par l’anthropologue Marc Augé pour décrire ces zones périurbaines, entre ville et campagne, qui alternent zones pavillonnaires et grands magasins spécialisés. Dans la peinture de Cornélia, ces endroits désignent le plus souvent des chantiers abandonnés, des maisons individuelles ou des lotissements en cours de construction. C’est un incroyable travail sur la couleur qui transforme ces paysages en fenêtres ouvertes sur l’imaginaire… ↓

Chantier près de Veroia, Cornélia KOMILI, 2022

Chantier près de Veroia, Cornélia KOMILI, 2022. Source courtoisie de l’artiste.

Heureux de ressentir une peinture de plus en plus vibrante, j’ai posé quelques questions à  Valérie Eyemeric – Galerie Valérie Eymeric – , la galeriste lyonnaise qui représente l’artiste. Une interview qui prolonge ces quelques lignes consacrées au travail de l’artiste.

Cornélia KOMILI : La poésie des lieux abandonnés

Les tableaux de Cornélia sont des instantanés de lieux abandonnés, à la frontière du minéral et du végétal. L’artiste repère ces endroits et les photographie, avant de les figer sur sa toile. Souvent au 1er plan se dresse une construction délaissée ouverte aux caprices de la nature, puis le regard se déplace sur un paysage lointain. Est-ce la végétation qui envahit le lieu, ou à l’inverse l’habitat qui se fond dans la nature ? J’aime cette dualité entre l’élément physique et l’élément naturel, entre le béton et les fougères, entre les lignes géométriques et les collines vallonées du lointain. Mon fil rouge, c’est la couleur, celle qu’imprime l’artiste à ces lieux inoccupés : des tons jaunes et orangés, le rouge brique, l’ocre et le blanc. Par contraste, la végétation s’habille dans des dégradés bleu et vert, une invitation à la contemplation. Je crois, car c’est mon cas, qu’on peut aimer se perdre dans les non-lieux de Cornélia, même si on aime l’abstraction. Pourquoi ? Je ressens une peinture “graphique”, très construite, sublimée par les couleurs de l’artiste, alors que dans le même temps, le regard et l’esprit sont libres de se perdre dans le paysage : alchimie du tangible et de l’imaginaire… ↓

Chantier près de Nikiti, Cornélia KOMILI, 2022

Chantier près de Nikiti, Cornélia KOMILI, 2022. Source courtoisie de l’artiste.

La galeriste : Valérie Eymeric

Bonjour Valérie Eymeric, pouvez-vous nous présenter votre galerie ?

Valérie Eymeric : La galerie vient de fêter ses 9 années d’existence. Anciennement juriste, j’ai toujours peint en amateur et commencé à collectionner l’art contemporain dans les années 1990. À 50 ans, j’ai voulu changer de vie professionnelle, la création d’une galerie était une évidence.

Je représente de jeunes artistes, la spéculation ne m’intéresse pas et je n’ai pas envie de représenter des artistes décédés. J’expose les travaux des artistes que je collectionne ainsi que d’autres rencontrés au fil des rencontres, à la galerie et en dehors. 

Y-a-t-il une ligne directrice dans le choix des artistes que vous exposez ?

V.E. : Au niveau des styles représentés, non. C’est avant tout la qualité du travail et l’intérêt pour l’artiste qui me guident. Au-delà de la forme artistique, je recherche l’originalité dans un travail abouti. Et puis il y a aussi une question de feeling avec la personne que je décide de représenter : je suis quelqu’un d’humble, j’ai donc besoin de me sentir à l’aise avec des personnalités franches. L’artiste à l’égo surdimensionné, ce n’est pas pour moi !

Trouver l’originalité, c’est difficile ?

V.E. : Oui, mais des artistes arrivent encore à inventer avec un style très personnel, c’est ce qui anime mes recherches. Bien évidemment, je me déplace dans beaucoup de musées et chez mes confrères, en plus de m’informer et lire énormément. J’échange aussi beaucoup avec les autres galeristes lyonnais. J’ai l’œil pour repérer ce qui sort de l’ordinaire. Mais, vous savez, à un  moment donné, il ne faut pas trop chercher, on parle et défend toujours mieux une œuvre qu’on aime ! 

Vous consacrez une exposition à Cornélia Komili, intitulée ” Terrains Libres”. Comment avez-vous rencontré l’artiste ?

V.E. : C’était il y a environ 8 ans. Elle m’avait envoyé un email pour me faire connaître son travail. Je l’ai tout de suite trouvé intéressant. Une anecdote amusante : au lieu de transférer l’email à mon mari pour lui demander son avis et l’intérêt qu’il suscitait, j’ai répondu directement à Cornélia qui s’est ensuite présentée à la galerie en me disant :  “Je crois que l’email ne m’était pas adressé”  😀  C’est la 4ème fois que j’expose son travail (Solo Show – Komili « Terrains libres » – Du 6 Avril au 13 Mai 2023 -).

Qu’est-ce qui vous plaît dans sa peinture ?

V.E. : les couleurs, le soleil, le côté architectural des bâtiments ; les jeux d’ombres et de lumières qui créent des contrastes très tranchés, puissants.

Lotissement inachevé, Cornélia Komili, 2021

Lotissement inachevé, Cornélia Komili, 2021. Source courtoisie de l’artiste.

On parle d’une artiste jeune, encore en devenir ?

V.E. : Oui, elle a 40 ans cette année. Sa peinture évolue avec un côté plus graphique et moins d’aplats de couleurs. La végétation est aussi plus présente. Je ressens aussi une expression plus positive et sereine dans sa peinture.

Y-a-t-il à Lyon le potentiel pour faire émerger de jeunes artistes ?

V.E. : Je regrette le peu d’intérêt manifesté par les institutions culturelles à l’endroit des galeries, il y a peut-être un devoir de réserve, je ne sais pas… En revanche, il y a beaucoup de soutien apporté à la jeune génération dans les centres d’arts. L’exposition actuelle du MAC Lyon montre de jeunes artistes, c’est positif. Je fais partie du réseau d’art contemporain “ADELE” qui accompagne les visiteurs pour des parcours artistiques à travers des lieux d’art contemporain. À bien y regarder, il y a beaucoup de lieux beaucoup de lieux consacrés à l’art contemporain dans la région lyonnaise et sur l’ensemble de la région Auvergne-Rhône Alpes. 

Quels sont vos projets pour la galerie ?

V.E. : Le 1er défi, c’est de faire perdurer l’activité de la galerie. Je suis très contente d’avoir embauché un alternant qui m’a sorti de ma zone de confort. On a modifié l’aménagement de la galerie en supprimant des meubles pour laisser plus de place à la monstration des œuvres. Il y aussi dorénavant une autre exposition montrée à l’étage, qui est un cabinet de curiosités, imaginé et conçu en association avec des curateurs. Là encore, il s’agit de jeunes artistes avec des prix à moins de 1.000 euros pour toucher un autre public. Il y a par exemple des élèves des Beaux-Arts qui viennent régulièrement le visiter, c’est aussi un lieu d’inspiration. Donc, je veux continuer à exposer l’excellence d’un travail artistique et dynamiser le cabinet de curiosités.

Merci Valérie Eymeric pour cet entretien.

F.B.