Last Updated on 18 avril 2021 by François BOUTARD
Troisième partie de mon entretien avec Cornélia Komili, artiste peintre. Je continue d’évoquer avec elle sa peinture, et, plus précisément, son process de création.
Tu te sers donc d’une photo avec le cadrage adéquat pour peindre ensuite ? Cornélia Komili : Oui absolument. Et la couleur de la photographie est aussi importante. Cependant, il faut faire attention à ne pas trop reproduire la photo. Il arrive que chez certains artistes, on imagine aisément la photographie qui se cache derrière, c’est le risque ! De plus, une photo a tendance à aplatir ce que l’on voit. Quand on peint d’après photo, ce qui est mon cas, il faut donc être vigilant à ne pas reproduire la photographie !
Ta peinture évite cet écueil car elle laisse libre cours à l’imagination, non ?
C.K. : Oui, la photographie reste un outil au final. Ma peinture est plus colorée et floue que la photographie que j’utilise.
As-tu toujours peint d’après photographie ?
C.K. : Oui. J’ai besoin d’un support. Je me pose d’ailleurs des questions : «est-ce que je manque d’imagination ?». Mais c’est un système qui me convient.
Prendre une photo c’est aussi un acte créatif. Tu te promènes dans un lieu, tu baignes dans l’ambiance de l’endroit. Tu «vis» le lieu. Photographier c’est aussi prendre parti !
Certains peintres déconsidèrent la photographie. La peinture restant l’art «premier», qu’en penses-tu ?
C.K. : Pour moi, c’est improductif de raisonner ainsi. Ca ne sert à rien d’opposer les médiums, chaucun a ses propres spécificités. D’ailleurs, sans la photo, on ne peindrait pas comme on arrive à peindre aujourd’hui. Je pense que la photographie a ouvert la voie à d’autres manières de peindre. Les impressionnistes par exemple, ont utilisé la photo. Or, au moment où un nouveau médium apparaissait – la photographie – un mouvement artistique explosait. C’est donc la preuve qu’il est ridicule d’opposer l’un à l’autre… Je crois plutôt dans la complémentarité des discipines artistiques.
Quelle est l’importance de la couleur dans ta peinture ?
C.K. : C’est pour moi en fait le plus dur des défis. Soit ça marche, soit ça ne marche pas ! Avec le temps, j’ai compris que soit j’arrivais à faire ce que je voulais du premier jet, soit je n’y arrivais pas et alors ce n’était pas la peine de revenir sur la toile.
J’essaie d’obtenir une ambiance de couleur calme avec de la force. Je n’utilise pas de couleurs trop douces ou trop violentes. C’est la toile qui va porter l’ambiance des couleurs et non moi qui vais tenter de recréer l’ambiance mentale que je m’imagine avec les couleurs. Ainsi, quand je peins, je n’essaie pas de fixer une ambiance spécifique, comme je te l’ai déjà dit, c’est très compliqué.
Autrement dit, ce n’est plus toi qui peint réellement ?
C.K. : Je me laisse guider par la toile. Je n’arrive à projeter que 30% sur le tableau de l’image mentale que je me fais de la toile. J’espère, progressivement, faire mieux, donc à concrétiser plus mon imaginaire.
Pour les lecteurs du blog comme moi qui n’ont jamais peint, comment prépares-tu tes couleurs ?
C.K. : J’attaque directement ma peinture car je sais où je vais. Il y a des jours où je suis plus inspirée et où je sens que je vais réussir ma toile. Et des jours où je sais que ça va être l’inverse et que ce n’est pas la peine que je vienne peindre. Toutes mes couleurs sont déposées sur ma palette, ce sont mes couleurs fétiches.
Et-ce difficile d’innover par rapport aux couleurs qu’on a l’habitude d’utiliser ?
C.K. : Oui. J’ai un collègue maniaque des couleurs. Il achète toutes les couleurs qui existent sur le marché pour tout essayer. J’ai essayé de l’imiter, mais ce n’est pas vraiment ma façon de faire. je peins en général assez vite car je sais à l’avance ce que je vais faire, donc je n’ai pas besoin de chercher d’autres couleurs.
Depuis l’été dernier, j’ai changé ma façon de peindre, avec succès. Je travaille désormais à partir d’un fond coloré alors qu’auparavant ma toile était blanche. Celà me permet d’éviter un travail de précision supplémentaire pénible pour remplir les interstices blancs de la toile. Surtout, celà rend ma peinture plus libre et intuitive tout en créant une plus grande unité pour la toile ! Ce fut un grand changement positif dans ma façon de faire.
Que disent ces lieux abandonnés que tu peins ?
C.K. : Ces lieux font partie de notre quotidien. Quelqu’un qui va travailler le matin et qui sort 5 minutes dehors pour s’asseoir par exemple. Pendant ces minutes, il observe un buisson, ou un mur. Ce n’est peut-être que 5 minutes d’observation mais ce sont 5 minutes importantes de sa vie même s’il ne s’en rend pas compte. Tu peux aussi prendre l’exemple de gens qui vivent dans un lieu peu accueillant. Pour autant, s’ils quittent cet endroit, certaines choses vont leur manquer… Je pense qu’il y a beaucoup de poésie dans le quotidien. L’être humain est ainsi fait qu’il s’attache à son environnement quotidien, même s’il n’est pas très agréable. Evidemment, le chantier n’est pas un lieu de vie commun. il se trouve que c’est dans ce type d’endroit que je me sentais bien.
Où sont réalisées les photos de lieux abandonnés que tu utilises ?
C.K. : A lyon, j’ai beaucoup de mal à trouver de tels endroits car j’ai une volonté « esthétisante ». Plus qu’un lieu, il s’agit d’un endroit idéalisé que je mets en scène. Les chantiers ne correspondent pas à ce que je recherche. Souvent, il s’agit de chantiers fermés, pour construire des immeubles résidentiels, auxquels je n’ai pas d’accès direct.
Ce sont véritablement les chantiers en construction qui m’intéressent parce qu’ils sont en « devenir ». Ou encore des chantiers en attente, c’est à dire qui n’ont pas bougé depuis des décennies. C’est par exemple le cas en Grèce. Le chantier doit être «ouvert», il doit se mêler à son environnement, à la nature.
Quand je vais en Grèce, je photographie beaucoup. A Thessalonique, ma ville d’origine, je connais tous les chantiers et je commence à avoir du mal à en trouver de nouveaux !
A suivre…
F.B.