Last Updated on 4 septembre 2023 by Chloé RIBOT
La suite de l’interview avec Cornélia KOMILI, artiste peintre. Nous continuons d’aborder le parcours personnel de Cornélia, un chemin pertinent pour comprendre la mécanique de la création et lui demander ce qu’elle pense de la place de l’artiste dans la société au XXIième siècle. En somme, des questions que je trouve trop souvent absentes des blogs traitant de l’art contemporain, l’envers du décor en quelque sorte…
Cornélia, comment vois-tu la place de l’artiste dans la société, aujourd’hui ? L’artiste a-t-il un rôle à jouer dans la société ou se contente-t-il de faire ses «trucs» dans son coin, avec la fierté narcissique de se poser comme un rebelle au fonctionnement traditionnel du «système» ? Cornélia Komili : On retrouve les deux profils d’artistes. Certains sont très impliqués dans la société. D’autres, au contraire, sont très introvertis et restent dans leur univers. Mais je remarque que des artistes sont exclus de fait de la société. Ainsi, aujourd’hui, c’est dur d’être valorisé quand on est artiste peintre ! C’est mon sentiment. Je pense en tout cas que quelque soit le degré d’implication de l’artiste, il apporte quelque chose par le simple fait de créer. Personnellement, je me sens une artiste plutôt introvertie, par volonté et par choix. Je pense que nous, artistes, sommes insignifiants dans la société. Cette situation n’est pas due aux artistes mais au manque de valorisation des métiers d’art et, également, au manque d’éducation. Je pense que dans l’esprit des gens qui méconnaissent l’art, l’artiste conserve l’image d’une personne fainéante, qui ne travaille pas vraiment alors que, précisément, nous travaillons dur pour la plupart d’entre nous. Je connais d’ailleurs des artistes qui vivent mal cette situation et qui travaillent encore plus pour s’intégrer et faire partie de la norme. Ils veulent se sentir « normaux ». Je prendrai l’image d’un homme qui se travestit et qui exagère son rôle de femme. C’est pareil pour l’artiste qui se sent frustré de ne pas appartenir au monde du travail et qui va justement travailler plus qu’un travailleur classique. Le temps de réflexion dans la préparation d’une œuvre qui n’est pas mesurable par des critères objectifs est aussi peu pris en compte. Pour autant, celà fait partie de notre quotidien.
Cornélia, une question me hante souvent. L’art a des siècles de créations et de réalisations derrière lui. Est-ce que tu te poses la question de savoir si ce que tu peins apporte quelque chose de nouveau ? Ressens-tu cette peur de réaliser quelque chose qui a déjà été fait avant ? C.K. : Non, je ne vis pas ce sentiment. Les artistes à 100% dans leur travail ne se posent pas cette question, il me semble. Quand on crée, on ne peut pas être dans le pastiche. Nous appartenons à une époque précise, avec ses repères esthétiques, qui sont de toute façon très différents de ceux d’il y a 10 ans, 50 ans ou 2000 ans. Nous sommes uniques dans notre temps. Je t’en donne une preuve. Donne le même sujet à deux artistes, ils le traiteront chacun différement. La création artistique vient, arrive à un moment pour s’exprimer. Elle n’est pas forcément instantanée, celà peut prendre des années mais un artiste qui n’est pas moyen – c’est prétentieux ce que je dis – finit par créer quelque chose d’unique. Notre imaginaire mental est forcément unique. Si ce que l’on produit n’est pas unique, c’est qu’on n’est pas honnête ou qu’on n’a pas assez osé. Pour autant, je suis sure que dans 10 ans, en regardant certaines de mes œuvres, je me dirai : «mais qu’est-ce que j’ai fait comme connerie !».
J’ai récemment écrit un billet sur l’art brut, notamment ces artistes qui ont créé sans aucun bagage culturel, crois-tu celà possible de créer sans aucunes références ? C.K. : J’ai n’ai pas vraiment d’avis pratique sur cette question précise. Mais ce type d’art m’amène à une question : peut-on évoluer dans sa pratique sans se confronter à d’autres productions ? Personnellement, j’en doute.
Comment évoule ta peinture Cornélia ? C.K. : Elle évolue car je n’ai jamais réussi à figer complètement sur une toile les ambiances que j’avais dans la tête ! Je ne pense pas avoir dépassé ne serait-ce que 30% de ce que j’ai en tête – une pensée à moi-même : un ami peintre m’a dit qu’il lui faudrait toute une vie pour réaliser ce qu’il avait en tête ! -. C’est ça qui rend le jeu intéressant. Je suis obligée d’utiliser des sujets qui m’aident à représenter à minimum ce que j’ai imaginé. il sont des outils pour rentrer en contact avec les ambiances que j’ai imaginées. C’est une quête éternelle dont il faut se rapprocher, je crois que celà concerne beaucoup d’artistes !
Par conséquent, le peintre se doit d’avoir un imaginaire très développé ? C.K. : Dans mon cas, car je m’intéresse aux ambiances, oui, c’est souhaitable (rire) mais ce n’est pas le cas de tous. Il y a des peintres plus « programmatiques » ou « systématiques ». Les individus comme moi qui travaillent sur des ambiances ont souvent cette capacité à passer beaucoup de temps seuls.
Je te propose maintenant de t’entendre à propos de ta peinture, des idées et inspirations qui t’y amènent.
J’ai tout de suite accroché à ce que tu faisais puisque les sujets que tu traites dans ta peinture concerne souvent des lieux abandonnés, au milieu de nulle part. Or, le sujet m’intéresse. Tu peins des vues de chantiers ou de parkings par exemple. Dans une interview à la MAPRA – Maison des Arts Plastiques Rhône -, tu nommes joliment ces lieux comme lieux «intersticiels». D’où t’es venue cette volonté de représenter ces lieux ? C.K. : Celà remonte à des années où, entre 18 et 20 ans, j’ai beaucoup vécu dans la rue. Dans ma ville, Thessalonique, j’allais souvent passer du temps seule, dans les chantiers pour regarder autrement la cité. Je prenais facilement possession de ces lieux que j’aimais. J’éprouvais un grand sentiment de liberté, circulant dans la ville en skateboard avec mon appareil photo. J’étais une sorte de guerrière urbaine ! Le temps passé dans ces lieux m’a fait remarquer certaines choses. Par exemple, les changements de luminosité sur les murs, la chaleur ambiante, les objets abandonnés ou encore le paysage du chantier qui évolue. Ce sont des endroits qui me sont chers.
Ton travail m’évoque, dans une autre discipline, la photographie, l’Ecole de Düsseldorf, ainsi que le travail de Jean-Marc Bustamante qui, comme toi, s’intéresse à photographier des endroits abandonnés.Tes derniers tableaux, paysage 1 et paysage 2 ont beaucoup de similitudes avec les photographies de cet artiste – je montre les photos -. La photographie est-elle un média sur lequel tu t’appuies pour faire ta peinture ? C.K. : Oui. D’ailleurs depuis les Beaux Arts j’admire Bustamante. Ce n’est pas tant la photographie elle-même qui va m’intéresser que le cadrage utilisé pour la scène. On retrouve cette recherche de cadrage photographique au cinéma. Je me suis familiarisée avec la manière de cadrer qui m’intéressait. Par exemple, j’ai beaucoup regardé le cinéma italien d’une certaine époque – Fellini, Rossellini – ou encore les films de Tarkovski. J’ai pris conscience que les réalisateurs ont une manière de cadrer qui peut être différente et par conséquent intéressante à appliquer dans mon travail. Tu parle de l’Ecole de Düsseldorf, Andreas Gursky est intéressant car il arrive à rendre une photograhie abstraite avec une pluralité d’éléments dans l’image. Je me pose la question du remplissage de l’image par les éléments, c’est important. Ce rapport au cadrage me permet de mettre en scène les paysages de mes tableaux. Mes tableaux ne montrent pas l’immeuble, le ciel, la ville, mais l’immeuble entremêlé avec le ciel et la ville. Pour moi le cadrage c’est la moitié du travail. S’il n’y a pas une bonne photo avec un bon cadrage, ça ne marche pas.
A suivre
F.B.