Je crois n’avoir encore jamais dédié un billet à la sculpture sur ce blog. Pourquoi ? J’avoue ne pas être particulièrement attiré par les sculpteurs qui ont, dans l’histoire de l’art, fait passer la sculpture à l’état de « sculpture moderne ». Auguste Rodin, les artistes cubistes (Pablo Picasso, Georges Braque, Joseph Csaky), puis Constantin Brancusi, Gaston Lachaise, Henry Moore, Alberto Giacometti, les « dadaïstes » et surréalistes (Marcel Duchamp, Jean Arp, Joseph Cornell), etc. J’avoue aussi que l’art contemporain éveille ma curiosité lorsqu’il mélange architecture, sculpture et peinture, des éléments que j’aime retrouver via des installation in-situ. À l’image de l’oeuvre d’Anselm Kieffer : Pour Madame de Staël : de l’Allemagne » (2015) présentée au Centre Pompidou à l’occasion d’une rétrospective consacrée à l’artiste que j’avais adorée. En somme, je reste encore relativement hermétique à toute forme de passion monomaniaque pour la sculpture.

 

« Pour Madame de Staël : de l’Allemagne », 2015, Installation in situ sous les tuyaux du Centre Pompidou-Paris.

« Pour Madame de Staël : de l’Allemagne », 2015, Installation in situ sous les tuyaux du Centre Pompidou-Paris. Vue de l’œuvre dans la rétrospective Anselm Kiefer au Centre Pompidou (16 décembre 2015 – 18 avril 2016).

Pourtant, cher lecteur, j’ai des efforts :-))… et des découvertes lorsque je pus contempler le 1er exemplaire de L’oiseau dans l’Espace de Constantin Brancusi à l’occasion de l’exposition Être moderne : Le MoMA à Paris à la Fondation Louis Vuitton. Ce jour-là, dans l’une des premières pièces de l’exposition, j’étais tombé en extase devant une oeuvre de Paul Signac (1863 – 1935) ô combien lumineuse : Opus 217. Sur l’émail d’un fond rythmique de mesures et d’angles, de tons et de teintes, portrait de M. Félix Fénéon en 1890. Passons, pour Brancusi c’était du coup raté ! Pas plus que ne me font vibrer les sculptures du mouvement de l’Expressionnisme abstrait (David Smith, Roberto Matta), alors que du côté pictural je savoure les peintures du Color Field painting movement (Jackson Pollock, Adolph Gottlieb, Hans Hofmann, Barnett Newman, Clyfford Still, Mark Rothko). 

Paul Signac, Portrait de Fénéon. Opus 217.

Paul Signac, Opus 217. Sur l’émail d’un fond rythmique de mesures et d’angles, de tons et de teintes, portrait de M. Félix Fénéon en 1890.

Alors rien à faire, point de salut pour moi sans ambition contemporaine dans la sculpture ! Mais quand parler de sculpture contemporaine me direz-vous ? Pour ne pas trancher le sujet :-)), disons que c’est le moment où l’art passe subtilement de moderne à contemporain, des années 60 à 70. C’est surtout le moment où l’artiste abolit les frontières entre différents médiums et où il considère que le chemin emprunté à la réalisation d’une oeuvre d’art est tout aussi intéressant, voir plus, que l’oeuvre produite en elle-même. Vous commencez à me trouver barbant non ? Moi aussi ;-)) Alors avançons ! J’ai décidé de partager avec vous 3 tendances, mouvements, de la sculpture contemporaine qui ravissent, enfin, mes yeux et mon esprit. Sachant qu’à bien y regarder, il n’y a pas LA SCULPTURE mais des sculptures.

Le Minimal Art

En réaction à l’explosion sur la scène américaine des artistes du Pop Art (Warhol, Roy Lichtenstein, Robert Rauschenberg, Jasper Johns, etc.) qui voient dans la société de consommation un terrain d’expression idéal pour insérer une culture populaire dans leurs œuvres, certains artistes (essentiellement américains) vont souhaiter revenir à une certaine sobriété dans la forme d’expression. Fatigués, saturés des sérigraphies à répétition de Warhol, de l’imagerie des comics abondamment utilisée par Lichtenstein, sans doute… Il faut revenir à l’essentiel, A MINIMA, et comme disait le célèbre architecte Mies van Der Rohe (1886-1969) : « Less is more ». Appliqué au domaine de la sculpture, cela donne une volonté de revenir à l’essence de l’objet et à sa matière. Moi je qualifierais volontiers ce courant artistique de « Retour à la matière ». Ce qui donne des œuvres de taille parfois démesurées et nous invite à reconsidérer notre perception de l’objet, de sa matière et de son rapport à l’environnement où il se trouve. Contrairement à un tableau, ce type de sculpture donne à voir un objet en 3 dimensions, représentation et objet se confondent. Parmi ces artistes, j’adore en particulier Richard Serra (1939) un artiste toujours en vie qui réalise des sculptures in-situ magnifiques. Bien sûr, les œuvres de Serra affolent les dimensions de l’espace, mais leurs courbes et la beauté des métaux en font des œuvres uniques. ↓

 

Vue de l’installation des sculptures de Richard Serra au Musée Guggenheim de Bilbao en 1999.

Vue de l’installation des sculptures de Richard Serra au Musée Guggenheim de Bilbao en 1999. Torsions elliptique I, II, IV, V, VI (Torqued Ellipses I, II, IV, V, VI,1996–99), Double torsion elliptique I, II, III (Double Torqued Ellipses I, II, III, 1997–99) et Serpent (Snake, 1996). Image issue du site : https://www.guggenheim-bilbao.eus/fr 

 

Installation de Richard Serra au Musée Guggenheim de Bilbao (1999). Les 8 sculptures forment ce que l'artiste a appelé "la Matière du Temps" (The Matiere of Time).

Installation de Richard Serra au Musée Guggenheim de Bilbao (1999). Les 8 sculptures forment ce que l’artiste a appelé “la Matière du Temps” (The Matiere of Time). Image issue du site : https://in-sonora.org/

 

Sculptures de Richard Serra

Sculptures de Richard Serra, esthète de la courbe. En faire le tour modifie notre perception de l’espace.

Outre l’aspect esthétique des sculptures de Serra, l’expérience de déambulation in-situ doit être extraordinaire. L’artiste, amoureux de la matière, de l’acier inoxydable en particulier, mettra au point différentes techniques qui lui permettront, notamment, de figer la tôle d’acier et de la laisser la plus brute possible. Seul la patine du temps et de l’usure fera effet dessus. 

Richard Serra, Casting, 1969. Oeuvre en plomb, installée au Whitney Museum of American Art (New-York) puis détruite

Richard Serra, Casting, 1969. Oeuvre en plomb, installée au Whitney Museum of American Art (New-York) puis détruite. J’adore cette sculpture éphémère, tout autant que la photo. On y voit une matière friable, prête à se dissolver, à fondre sur le sol…

Minimal Art & Neon

Ah le néon, j’adore ! Dan Flavin (1933-1996) est un peu le poète du Minimal Art. Ses créations, depuis la fin des années 60, s’expriment la plupart du temps dans de grands espaces, des corridors, des salles de musées, des bâtiments… Quand je regarde une installation de Dan Flavin, j’ai l’impression heureuse de contempler quelque chose de « fini », d’abouti, de pur et de délicieusement dépouillé. J’éprouve la même chose en contemplant un tableau de Roy Lichtenstein, pourtant dans un tout autre registre. L’art de Flavin touche à l’économie de moyens, à une simplicité essentielle. ↓

Dan Flavin, "monument" for V. Tatlin

Dan Flavin, “monument” for V. Tatlin. Un des 39 monuments créés par Flavin entre 1964 et 1990, évoquant un monument pensé par le sculpteur russe Vladimir Tatlin mais qui ne fut jamais construit. L’arrangement en escalier de tubes fluorescents blancs évoque ce monument colossal de la Troisième Internationale (1920). Vladimir Tatlin projetait de réaliser une construction de plus de 400 mètres de hauteur, constituée de 2 spirales métalliques s’enroulant l’une dans l’autre, dans un mouvement conduisant à l’infini.

 

Dan Flavin, Red and green alternatives (to Sonja),

Dan Flavin, Red and green alternatives (to Sonja), 1964. Credit photo Paula Cooper Gallery.

 

Dan Flavin, an artificial barrier of blue, red and blue fluorescent light (to Flavin Starbuck Judd), 1968.

Dan Flavin, an artificial barrier of blue, red and blue fluorescent light (to Flavin Starbuck Judd), 1968. © 2018 Stephen Flavin/Artists Rights Society (ARS).

En janvier 2017, j’étais allé voir l’exposition Archéologie du présent au Musée d’art Moderne de Saint-Etienne, qui, soit dit en passant, possède une très belle collection d’artistes américains des années 60. J’étais alors tombé sur l’oeuvre de Martial Raysse intitulée :  Proposition to escape : “Heart garden” (1966). Une installation au propos ironique utilisant le néon, mais aussi du plexiglass, du métal peint, ou encore du bois. On est alors loin du travail parcimonieux de Flavin, mais le tout m’avait fait sourire ;-)) ↓

Martial Raysse, Proposition to escape : "Heart garden", 1966

Martial Raysse, Proposition to escape : “Heart garden”, 1966. A l’occasion de l’exposition Archéologie du Présent au Musée d’art Moderne de Saint-Etienne (5 mars 2016 – 17 septembre 2017). Photographie © François Boutard.

Hyperréalisme dans la sculpture

Le sculpteur australien hyperréaliste Ron Mueck (1958) excelle dans la reproduction du corps humain, dans ses moindres replis… Ces personnages, réalisés à des échelles différentes paraissent tellement réels qu’ils en deviennent étranges, parfois étranges… J’avais pris une bonne claque en 2013, en allant voir une exposition que lui consacrait alors la Fondation Cartier. Une oeuvre intrigante que le non moins intrigant David Lynch avait commenté, sans fioritures, mais avec l’imaginaire qui lui sied si bien. ↓

À leur façon, Richard Serra, Dan Flavin & Ron Mueck incarnent des visages différents de la sculpture contemporaine. J’ai choisi ceux qui me tenaient le plus à cœur. Sachez pour autant que la sculpture contemporaine a pris aussi d’autres chemins de traverse, tout aussi excitants, lorsque des artistes nommés Michael Heizer, Robert Smithson, Christo et Jeanne-Claude, Richard Long, « délocalisent » la sculpture dans la nature, une toute autre histoire !

F.B.