Last Updated on 17 avril 2021 by François BOUTARD
Au fur et à mesure de mes découvertes sur l’histoire de l’art verrier en France, dont le berceau historique est la Lorraine, j’étais loin de me douter de la beauté moderne des pièces produites par les plus grandes verreries françaises. Je m’explique : j’avais en tête le développement artistique des grandes maisons verrières à travers les périodes successives de l’Art nouveau puis l’Art déco, soit la fin du XIXe siècle et le premier tiers du XXe siècle. Or, une maison comme DAUM a décidé, à partir des années 60 d’orienter ses créations autour de l’art et du design en collaborant avec des artistes de renom. Parmi ceux-ci : Salvador Dalí, César, Arman, et plus récemment au tournant des années 2000 avec les designers Jean-Marie Massaud, Christian Ghion, et même l’artiste Jacques Villeglé en 2011… ↓
Or, si Salvador Dalí et d’autres créateurs brillants ont choisi DAUM, ce n’est par hasard ! DAUM est en effet le seul cristallier dans le monde à maîtriser à la perfection la technique de la pâte de verre (avant de mettre au point en 1968 celle de la pâte de cristal), qui permet de réaliser de véritables sculptures conçues sur la base d’un modèle original créé par l’artiste. Ce qui fit d’ailleurs dire au maître espagnol : « La pâte de verre est un matériau dalinien. Je l’ai donc utilisée pour réaliser ces chefs-d’œuvre ; je suis enchanté de cette nouvelle matière, qui comporte l’élasticité moléculaire d’un escargot et, tout à la fois, la consistance de la gare de Perpignan. »
Un savoir-faire unique : la technique de la pâte de verre
Pour retrouver trace de cette technique, il faut remonter à 5.000 avant J.C. ; les Phéniciens et les Egyptiens l’ont notamment utilisé pour créer des bijoux. Tombée dans l’oubli durant des siècles, cette technique, découverte avant le verre soufflé, est remise au goût du jour, d’abord par le sculpteur Henry Cros (1840-1907), puis par les maîtres-verriers François Décorchemont (1880-1971), Gabriel Argy-Rousseau (1885-1953), et surtout Almaric Walter (1870-1959) qui introduit et perfectionne en 1904 la technique chez DAUM pour fabriquer petits objets et panneaux décoratifs. ↓
La pâte de verre possède un grain inimitable, une texture unique, qui confère à l’objet un aspect plus ou moins céramique. Les sculpteurs contemporains adorent la technique de la pâte de verre (et celle du cristal), car non seulement elle reproduit fidèlement le modèle de base, mais elle magnifie les couleurs et la translucidité de la pièce obtenue… La technique est très différente de celle du verre. Un moule de la pièce à réaliser est d’abord fabriqué en utilisant diverses techniques dont celui de la cire perdue, un procédé de moulage de précision qui permet d’obtenir une sculpture en métal à partir d’un modèle en cire. Après cuisson, le moule est refroidi et laisse apparaître des poudres ou des granules de verres, ce qu’on appelle le Groisil, avant qu’une nouvelle cuisson et un refroidissement ne révèlent une pièce aux formes intactes et colorées. ↓
À l’origine, la saga des Frères DAUM
C’est donc au début du XXe siècle que Daum a commencé ses essais avec la pâte de verre pour progressivement la perfectionner, avant de revisiter la technique pour la pâte de cristal à la fin des années 60. Mais avant d’en arriver là, retour aux origines de « la verrerie du Pont Cassé » qui, de 1900 à 1914, au fait de sa puissance industrielle, comptait jusqu’à 300 ouvriers !
Une histoire peu banale qui démarre à Bitche en Moselle où Jean DAUM (1825-1885), notaire de la ville, a dans sa clientèle des maîtres-verriers. En 1870-1871, durant le siège de la ville par les forces prussiennes, la famille DAUM se réfugie dans les caves. À la suite de la défaite française, les 3/4 de l’ancien département de la Moselle notamment, dont Bitche, sont annexés par l’occupant. Parce qu’il voulait rester « français », Jean Daum est expulsé à Nancy/54. Revenu seul à Bitche, il signe sa déclaration d’option pour la nationalité française et vend son étude. Avec ces capitaux, il revient à Nancy où certains verriers alsaciens-lorrains expatriés tentent de lancer une verrerie, la place est à prendre, il n’y en a pas encore dans la capitale des Ducs de Lorraine ! Jean Daum se porte alors acquéreur pour reprendre une affaire mal en point, on est en 1878, le début d’une saga familiale. ↓
Avec l’aide d’Alexandre Marquot (ancien directeur de SARS Poterie), Jean Daum sauve l’entreprise et commence à la développer avec le soutien moral de son fils aîné, Auguste DAUM (1853-1909). Ce dernier fait fabriquer des verres de bistrot, des carafes et des verres de montres, jusqu’à des lampes et vases à décor. 1891 marque un grand virage dans l’histoire de DAUM : Auguste invite son frère, Antonin DAUM (1864-1930), à venir le seconder. Il lui confie la direction d’un département artistique dans la verrerie. C’est un coup de maître, Antonin oriente alors la verrerie vers l’artisanat d’art. Les frères DAUM construisent alors leur légende : ils conçoivent les projets artistiques – Antonin est l’inspirateur et le concepteur des pièces – et s’entourent des meilleurs verriers : Jacques Grüber (1870-1936), Henri Bergé (décorateur, illustrateur, 1870-1937), auxquels viennent se rajouter des talents extérieurs, comme les frères Schneider (Ernest : 1877-1937, Charles : 1881-1953) qui lanceront par la suite leur propre verrerie. En 1900, c’est la consécration pour DAUM : la fragile verrerie familiale des débuts se voit décerner, à l’Exposition Universelle de Paris, le Grand Prix, à l’égal d’Emile Gallé, et devient une grande marque. ↓
Découvrir aujourd’hui le patrimoine DAUM
Pour contempler avec bonheur le patrimoine DAUM, c’est au musée des beaux-arts de Nancy qu’il faut se rendre. Un fonds DAUM y a été constitué qui ne comprend aujourd’hui pas moins de 900 pièces de verre, dont environ 300 sont exposées dans les vestiges prestigieux du bastion d’Haussonville. ↓
La collection DAUM est présentée dans les 600 m2 du sous-sol du musée, autour des vestiges des fortifications de l’imposant bastion d’Haussonville. Une confrontation entre le verre et la pierre qui produit un effet magique, à faire si vous vous arrêtez à Nancy !
La sélection des pièces exposées déroule un panorama complet de l’évolution de la cristallerie, des débuts en 1878, jusqu’aux plus récentes créations. Un bonheur pour les yeux ! ↓
F.B.