Pour la seconde année consécutive, je suis allé à Marseille à l’occasion du Printemps de l’Art Contemporain, cette année le 10e du nom (9 au 26 mai). Le Printemps de l’Art Contemporain ou PAC, organisé par Marseille Expos, fédère et rassemble, autour d’un thème central, une cinquantaine de lieux de recherche, de production et de diffusion. Cette année encore, j’ai (re)découvert la vivacité d’un écosystème artistique très vivace. Il faut dire que Marseille et sa région entretiennent une relation passionnée avec l’art. Des mouvements artistiques avant-gardistes sont nés dans la région (Nouveaux Réalistes, Supports/Surfaces, l’Ecole de Nice, etc.), des écoles d’art reconnues (Villa Arson, ENSP Arles, ESADMM) y sont implantées, et des fondations y sont influentes (Fondation Maeght, Collection Lambert, etc.).

Si les acteurs publics marseillais se mobilisent pour faire de la cité phocéenne une capitale culturelle, c’est qu’ils ont bien compris l’intérêt de faire de la culture un levier pour promouvoir l’image de la ville par-delà ses frontières régionales. Et ils auraient tort de s’en priver ! Ainsi, à l’occasion de l’édition 2017 du Printemps de l’Art Contemporain, deux artistes fraîchement diplômés me confiaient que leur premier réflexe, bien que n’étant pas de la région, avait été de s’installer à Marseille, à cause du climat, mais surtout de la luminosité bien particulière qui éblouit la ville et ses visiteurs. Bien entendu, en devenant capitale européenne de la culture en 2013, Marseille a initié et boosté de nombreux projets artistiques, qu’ils proviennent du secteur public ou privé.

Il y en a un qui a retenu mon attention. Que des chefs d’entreprise, engagés dans un collectif, décident de promouvoir et d’aider les artistes de leur territoire sans attendre de retour sur investissement en termes d’image ou d’argent, si ce n’est celui de se familiariser avec l’art contemporain et de le partager avec leurs salariés, est chose peu commune. L’année dernière, je rencontrais Bénédicte Chevallier, Directrice de cette belle mécanique qu’est Mécènes du sud. Cette année, je l’interviewe pour mon plus grand plaisir.

Logo de l'Association Mécènes du Sud

Art Design Tendance : Bonjour Bénédicte, je suis ravi de vous rencontrer une nouvelle fois à Marseille et d’autant plus pour évoquer Mécènes du sud. 

À quand remonte la création de ce club de mécènes, et dans quel contexte ?

Bénédicte Chevallier : Le projet est né d’une initiative lancée en 2003 par des chefs d’entreprises passionnés d’art. Le contexte est important puisque ce ne sont pas des chefs d’entreprises qui deviennent mécènes d’un projet ou d’un lieu artistique comme c’est souvent le cas, mais ce sont des entrepreneurs qui décident,  par principe, d’avoir une action en direction de leur territoire à travers un engagement pour les artistes qui y sont présents. Il s’agit donc d’une conviction portée sur le long terme, et d’une autodétermination.

Autre particularité importante du collectif : les chefs d’entreprises ne s’inscrivent pas dans une démarche opportuniste ; toutes les entreprises se retranchent derrière une bannière collective, celle de Mécènes du sud.

A.D.T. : Combien étaient-elles au départ ?

B.C. :  Au départ, huit, avec des profils différents, diversement impliqués dans l’art. On peut citer par exemple l’Olympique de Marseille comme membre fondateur, c’est surprenant. Les membres ne sont pas des collectionneurs. Autre originalité du collectif qui constitue une clé de voûte de son fonctionnement : la création d’un Comité Artistique. Ces entrepreneurs déclarent d’emblée ne pas avoir la légitimité suffisante pour juger des projets artistiques proposés et décident de s’en remettre, via ce comité, à des professionnels du monde de l’art. De là naît la légitimité.

C’est une orientation forte, puisque l’Association Mécènes du sud, en tant que telle, est dépossédée de ses choix financiers. Ce qui induit une grande confiance entre le collectif et ces professionnels. Tous les lauréats désignés par le Comité Artistique seront soutenus financièrement. Leur nombre varie de cinq à une dizaine chaque année (en moyenne six par an), en dehors des soutiens à des opérateurs comme les salons ou les écoles d’art.

Chaque année, depuis 2012, j’organise une soirée appelée Coup de Cœur qui se déroule dans une entreprise membre. Nous investissons avec les artistes le lieu de façon forcément décalée. Le principe de cet événement, c’est de réunir tous les lauréats et tous les mécènes ainsi que des invités. Chaque artiste est amené à présenter oralement son projet. C’est un moment éphémère et magique qui transforme le lieu de travail qu’est l’entreprise !

Chaque mécène est ensuite invité à voter pour son coup de cœur (1). L’artiste qui obtient le plus de votes remporte une dotation supplémentaire. Vous comprenez que l’association Aix-Marseille n’a pas de lieu, et n’acquiert pas d’œuvres d’art.

Pierre Malphettes, Les forêts optiques ≠1, 2014.

Pierre Malphettes, Les forêts optiques ≠1, 2014. Pierre Malphettes est lauréat du prix Coup de Cœur 2014 de Mécènes du Sud.

A.D.T. : De quelle façon se déroule le processus de sélection mené par le Comité Artistique ?

B.C. : Nous lançons un appel à projets annuel. Dans un premier temps, je présélectionne les artistes avec le moins d’apriori possible. Nous avons cependant des critères d’éligibilité. Les projets doivent venir de Marseille ou impliquer un développement sur le territoire Aix-Marseille élargi, ou y justifier de liens. Il doit y avoir aussi une rencontre physique entre l’artiste et le collectif. Comme nous désirons les projets les meilleurs, nous incitons les artistes à venir y développer des projets…

A.D.T. : L’appel à projets est-il organisé autour d’un thème ?

B.C. : Non pas du tout. Chaque artiste est libre de ses sujets et ses recherches.

A.D.T. : Comment a évolué au fil des ans l’association Mécènes du sud ?

B.C. : Dans notre histoire, il y a deux époques. En 2003 naît l’idée, puis nous nous engouffrons dans le sillage de la candidature de Marseille Capitale européenne de la Culture. Nos mécènes ont pendant cette période beaucoup voyagé, dans des villes par exemple ayant obtenu le label, pour échanger et comprendre ce qui dessine l’attractivité du territoire. Dans le même temps, nous soumettons l’idée des Ateliers de l’Euroméditerranée, c’est-à-dire des résidences d’artistes en entreprises, chose que j’avais déjà lancée dans le cadre de Mécènes du sud. Au final, l’accomplissement de Marseille Capitale Européenne de la Culture en 2013, nous a confrontés à un questionnement fort. Nous avions travaillé ardemment pour contribuer, avec d’autres, à la réussite de cet événement; mais ensuite, après une telle énergie ? Comment retrouver une dynamique et un projet moteur, et nous projeter sur l’après 2013 ?

A.D.T. : Une question avant de poursuivre, quand avez-vous démarré les résidences d’artistes en entreprises ? L’idée paraissait-elle au départ naturelle pour les mécènes ?

B.C. : En 2007. Pour moi, l’art dans l’entreprise fait toujours figure d’anomalie même s’il s’agit d’une bizarrerie féconde et bienvenue. Lorsque j’ai soumis l’idée aux mécènes, j’ai obtenu carte blanche. C’est une grande chance de pouvoir compter sur des gens ouverts à l’expérience. En 2013, pour Marseille Capitale Européenne de la Culture, nous avons pu mener plusieurs résidences en entreprises. Du coup, en 2014, nous avons voulu nous poser et prendre le temps d’analyser ce que nous avions réussi jusque-là, et au contraire comprendre ce qui avait moins bien marché.

Nous avons ainsi mis sur pied des ateliers de réflexion qui ont débouché sur l’édition d’un guide intitulé : Comment aborder une résidence d’artiste en entreprise ? Ce qui nous a permis d’être reconnu comme expert par le Ministère de la Culture. Nous collaborons depuis avec les autorités ministérielles qui nous ont notamment permis d’être visibles depuis le site du Ministère. Nous sommes régulièrement invités pour témoigner et transmettre notre expérience, en particulier pour évoquer notre méthodologie de travail et notre vision.

(1) Prix Coup de Cœur depuis 2012 :

2017 : Gilles Pourtier La Grande surface de réparation

2016 : Pauline Bastard Timeshare.

2015 : Nicolas GiraudL’exposition comme entreprise, comme scénario, comme exposition.

2014 : Pierre Malphettes – Silca (projet Les forêts optiques).

2013 : Marius GrygielewiczLes Perchés.

2012 : Moussa Sarr Corps d’esclave.

 Fin de la 1ère partie de l’interview – À suivre…