Ce fut grâce à la disponibilité et la réactivité de Becky, de la Galerie Sarah Myerscough Fine Art, que mon chemin croisa le projet Taking The Chair de l’artiste Maisie Broadhead, lors de la récente Foire Art Paris Art Fair.
Pourtant, mon regard s’était de facto arrêté sur le travail esthétiquement très réussi du peintre anglais Paul Riley, également représenté par Sarah Myerscough Fine Art.

Paul Riley, Green Column, 2012
Paul Riley, Green Column, 2012
Paul Riley, Light Bowl, 2012

Paul Riley, Light Bowl, 2012

La luminosité de Light Bowl m’a de suite attiré, de même que le concept de mettre en scène  un objet en lui associant un fond monochrome. C’est que Paul Riley ne choisit pas ces objets au hasard… Au contraire, sa peinture sur huile est une façon de sublimer le sujet, de le mettre à nu pour qu’il nous raconte une histoire. Celle, pourquoi pas, de la solitude journalière terriblement habituelle d’un bol… D’autres compositions avec une plus grande prise de risque sont tout aussi réussies : ↓

Paul Riley, Reflected Yellow, Dark, 2011

Paul Riley, Reflected Yellow, Dark, 2011

Voici ce que dit la Galerie à propos de la recherche picturale de Paul Riley : […] Paul Riley, artiste anglais établi, choisit des objets traditionnellement associés aux natures mortes – bols et récipients divers – afin d’exprimer une intensité émotionnelle propre à l’abstraction, évoquant le travail de Giorgio Morandi, peintre italien du XXème siècle. […] un objet, habituellement unique, présenté sur une étagère, occupe une vaste surface de couleur. Cette composition ainsi centrée permet au spectateur de méditer sur l’objet dépeint et ainsi, par cet exercice du regard, le poids psychologique de l’objet est transféré de l’artiste au spectateur. L’artiste compare lui-même ses peintures aux silences fugitifs chargés d’attentes qui précédent un morceau de musique particulièrement agressif – un moment grisant laissant transparaître une anticipation et une énergie à peine réprimée. Quelque soit l’analogie, les œuvres de Paul Riley transcendent la fugacité et la passivité de leur sujets, devenant des méditations soutenues et étincelantes sous forme de peinture. Il y aurait beaucoup à dire sur l’artiste italien Giorgio Morandi – 1890-1964, dont on disait qu’il était un peintre référent pour ses pairs, plus que pour le grand public. La filiation entre Riley et Morandi est évidente, le britannique revisitant et modernisant les tons délicieusement pastels du maître italien : ↓

Giorgio Morandi, Still Life, 1955

Giorgio Morandi, Still Life, 1955

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur ce blog, on aime aussi établir des liens entre l’art et le design. Nul doute que les natures mortes de Morandi ne pouvaient pas ne pas avoir inspiré, au pays du design, un créateur contemporain. Ironie de l’histoire, c’est Sir David Chipperfield, architecte anglais qui, inspiré par Morandi, dessine et conçoit des couverts pour une grande maison d’édition italienne. L’affaire reste donc anglo-italienne ! ↓

Sir David Chipperfield, Tonale Tableware pour Alessi, 2007-2009

Sir David Chipperfield, Tonale Tableware pour Alessi, 2007-2009

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alors que j’allais tourner la page de cette complicité anglo-italienne, Becky m’envoyait un dossier de presse sur l’artiste Maisie Broadhead, également représentée sur le stand de la galerie, mais avec une oeuvre qui ne m’avait pas alors convaincu. Curieux malgré tout, je découvrais un projet photographique et non pictural – là je m’étais trompé -, qui revisite avec ironie de grands tableaux de la peinture classique européenne des XVII et XVIII ièmes siècles. ↓

Maisie Broadhead, Standing at a Machine, 2011

Maisie Broadhead, Standing at a Machine, 2011

Jan Vermeer, Lady Standing at a Virginal

Jan Vermeer, Lady Standing at a Virginal

Maisie Broadhead, Prince Caspar, 2011

Maisie Broadhead, Prince Caspar, 2011

Diego Rodriguez de Silva y Velazquez, Infante Philip Prosper, 1659

Diego Rodríguez de SilvaVelázquez, Infante Philip Prosper 1659

Maisie Broadhead* est une illusionniste à nul autre comparable, ses photographies pastichent des œuvres célèbres de Vermeer ou Velázquez – série Taking The Chair. Néanmoins, son sens de la mise en scène est radicalement précis, à tel point qu’on oublie qu’il s’agit de photographies ! Observez le cliché ci-dessus et imaginez le travail nécessaire à la scénographie. Le résultat est bluffant : esthétiquement très réussi et provocateur dans sa réinterprétation contemporaine.
Côté esthétique, l’artiste anglaise a de qui tenir : sa mère, Caroline Broadhead, est elle-même une artiste confirmée, dessinatrice textile et de bijoux réputée. Dans ces parodies de tableaux classiques, une chaise occupe une place proéminente dans la mise en scène. Caroline Broadhead a spécialement dessiné ces chaises pour le projet et a participé, comme une partie de sa famille, aux séances photographiques ! En creusant l’oeuvre de Broadhead mère, j’ai trouvé une magnifique photographie d’une installation réalisée par ses soins.  On ne sera donc pas surpris du savoir-faire de la famille Broadhead sur les jeux de luminosité ! ↓

Caroline Broadhead, Still light, 1999 - Photo by Gary Kirkham

Caroline Broadhead, Still light, 1999 – Photo by Gary Kirkham

Dans la série Taking The Chair, Maisie Broadhead s’attaque avec humour à l’oeuvre sociale du peintre anglais du XVIII ième siècle William Hogarth. Loin d’être un inconnu, Wiliam Hogarth a dépeint avec méchanceté et humour les mœurs hypocrites de la société bourgeoise de son temps, un terrain fertile exploitoire pour notre artiste !
Dans une série de six tableaux intitulée Mariage à la Mode, aventure raffinée comptant la satire d’un mariage arrangé entre un homme dont le père, aristocrate ruiné, pourra, grâce à la dote de la mariée finir de construire un ensemble immobilier. Le père de la mariée est quant à lui un bourgeois misérable et avare, sa progéniture pourra devenir comtesse. ↓

Maisie Broadhead, Head to Head, 2011

Maisie Broadhead, Head to Head, 2011

 

William Hogarth, Mariage à la Mode - The Tête à Tête - tableau n°2 de la série

William Hogarth, Mariage à la Mode – The Tête à Tête – tableau n°2 de la série

 

 

Maisie Broadhead, Death of a Project, 2011

Maisie Broadhead, Death of a Project, 2011

William Hogarth, Mariage à la Mode - Death of a Woman - tableau final de la série

William Hogarth, Mariage à la Mode – Death of a Woman – tableau final de la série

Bien évidemment, ce mariage arrangé tourne à la plaisanterie aigre. Le marié privilégie des aventures extra-conjugales auxquelles son épouse semble bien indifférente pendant que les affaires du ménage sont en désordre. Dans la scène finale, la comtesse, désormais veuve, s’empoisonne, tandis que son père lui retire l’alliance et que son fils apparaît avec une marque sur la joue et un étrier au pied, signe de malformation. Outre la référence appuyée de Maisie Broadhead à l’humour satirique de Hogarth, on ne s’étonnera pas que la photographe anglaise ait décidé de plagier un homme qui laissa son nom à la « Loi Hogarth », qui interdit de tirer des estampes d’une œuvre d’art sans le consentement de l’auteur ! C’est ainsi que j’aime l’art contemporain : connaisseur des classiques et du sens de l’histoire, irrévérencieux et moderne à la fois, sans jamais verser dans la facilité !
God Save the artists !

* Maisie Broadhead est titulaire d’un Master en Joaillerie du Royal College of Art de Londres. Elle participa à la première exposition majeure de photographie organisée par la National Gallery de Londres intitulée : Seduced by Art : Photography Past and Present.
Elle vient de remporter le prestigieux prix Jerwood Makers Open 2013.

 F.B.