Last Updated on 14 novembre 2021 by François BOUTARD
J’ai adoré l’intelligence, l’esthétique et la scénographie des œuvres réalisés par 3 artistes féminines actuellement exposés au MAC LYON : Jasmina Cibic, Delphine Balley et Christine Rebey. J’ai accroché avec l’univers « lynchéen » de Delphine Balley, en particulier pour sa justesse et son sens de l’épure. Ce qui me fait remarquer, une nouvelle fois, que l’artiste contemporain travaille très rigoureusement à la réussite de son entreprise – Attention, les accidents heureux existent, certains l’ont même érigé en règle 🙂 – et que c’est aussi l’affaire du Musée que de réussir la mise en scène d’une entreprise de longue haleine. Ici, le pari est très largement réussi ! Mais c’est le travail de Jasmina Cibic autour de la notion de Soft Power qui m’a le plus fasciné – Stagecraft – une mise en scène du pouvoir -.
Bruxelles 1958, les instruments du Soft Power
Jasmina Cibic présente une tout d’abord une installation qui recrée la mise en scène du Mandarin merveilleux, un ballet composé par le compositeur et pianiste hongrois Béla Bartók, censuré, car jugé immoral et décadent, après sa 1ère représentation à Cologne en 1926. Or, il se trouve que le ballet est choisi par la Yougoslavie pour être joué à l’occasion de l’exposition universelle de Bruxelles en 1958. Vous savez, l’exposition aux célèbres atomes bruxellois :-)) ↓
Le contexte historique de l’époque est palpitant : l’exposition fera date, car des pays opposés dans le contexte de la Guerre Froide s’affrontent à fleurets mouchetés : États-Unis, URSS en tête. Chacun montre donc ce qu’il considère comme l’aboutissement représentatif de sa culture et de ses visées. Jasmina Cibic revient sur cet évènement, démontrant l’utilisation des arts et de l’architecture (des pavillons pour chaque pays) par les pouvoirs en place pour représenter et servir une idéologie nationale. Si ce n’est pas du Soft Power, je m’étrangle !
Le cas Yougoslave est intéressant : le décor du ballet s’articule autour de choix architecturaux modernistes, esthétiquement très proches des idées révolutionnaires développées par la célèbre École du Bauhaus dans les années 1920. Pour la Yougoslavie et son guide, le Maréchal Tito, il s’agit alors d’affirmer sa place dans le concert des nations internationales, en dehors du joug soviétique et des démocraties de l’ouest. Or, le Bauhaus développe un projet universaliste « d’œuvre d’art total sous l’égide de l’architecture » où il n’existe plus d’art mineur ou majeur. L’art est au service de la construction d’une nouvelle société progressiste au lendemain de la guerre. On peut donc voir la scénographie du ballet comme l’allégorie d’un nouveau modèle sociétal…
En creusant le sujet, on apprend que l’architecte du pavillon yougoslave, Vjenceslas Richter, était un artiste engagé dans les milieux de gauche, influencé par le Bauhaus notamment, convaincu que l’art et l’architecture étaient des instruments de changement social et politique. ↓
L’architecture et la danse au cœur du Soft Power
Jasmina Cibic nous invite donc à réfléchir sur les représentations du Soft Power, une démarche qu’elle étudie et scrute dans des archives diverses depuis de nombreuses années. Elle s’est notamment attachée au rôle particulier joué par les expositions universelles. Et c’est que j’aime dans l’art contemporain et défend sur ce blog : l’ouverture au monde et ses idées, la redécouverte de notre histoire à travers des débats toujours d’actualité.
Jamais la danse n’aura joué un rôle si important dans une exposition universelle. La Russie bien entendu, qui au jeu du Soft Power n’est pas la plus malhabile, avec le savoir-faire exceptionnel du Ballet du Bolchoï. Les États-Unis avec le chorégraphe Jerome Robbins et sa compagnie – les Ballets USA – qui invente une nouvelle modernité autour du jazz, ou encore Merce Cunningham et Maurice Béjart… Pour la petite histoire, sachez par exemple que Le Vatican avait un pavillon dans lequel une salle était consacrée au Bien, avec des effigies de Saints, et une autre au Mal, incarnée par une photo de Brigitte Bardot dansant le mambo dans le film Et Dieu créa la femme ! L’affaire fit un tel scandale que l’affiche fut retirée au bout de 8 jours.
Dans une seconde installation impressionnante – Installation vidéo 4K couleur sur 3 écrans, son stéréo -, l’artiste-chercheuse slovène met en scène 3 personnages : un Ingénieur, un Diplomate et un Artiste, dont le défi est d’offrir une œuvre d’art capable de réconcilier une nation divisée. Subtilement, on touche aux questions de la représentation de l’unité nationale, à un moment où la plupart des pays occidentaux vivent une crise « existentielle ». Pour complexifier à dessin le jeu, les 3 candidats sont soumis à la question devant un jury réuni dans l’antre impressionnante du siège du Parti Communiste Français à Paris, conçu par Oscar Niemeyer, dont on peut dire que la réalisation architecturale tint plus, à l’époque, d’un geste politique, que d’un acte purement esthétique… L’architecture, une nouvelle fois au cœur du Soft Power ! ↓
D’autres scènes du film sont tournées dans des endroits à l’architecture grandiloquente, parfois des dons… de « faux-amis » qui servent de prétexte à l’affichage d’une idéologie et d’un pouvoir politique. Mais chut, je nous en dis pas plus, allez découvrir cette très belle exposition ! ↓
F.B.