Last Updated on 3 mai 2023 by Chloé RIBOT
Matt Lipps
Travaux issus de ses œuvres.
« Matt Lipps m’a récemment avoué que, pendant son adolescence, il possédait un découpage d’affiche grandeur nature de la sirène des années 1990, Alysssa Milano, une habituée de la série TV américaine Melrose Place, collé au-dessus du cadre de son lit. Il s’agit d’une idée précoce des thèmes qu’explore actuellement l’artiste Matt Lipps dans son travail : le transfert du désir sur des images de supports imprimés, et la nécessité de les localiser physiquement dans des espaces intimes. C’est un acte d’association totémique, la nécessité d’investir personnellement une image distribuée en masse. Le travail de l’artiste concerne aujourd’hui des images découpées – souvent issues de publications photographiques sans liens apparents – qui sont d’abord organisées sous forme de natures mortes soigneusement construites et éclairées, puis photographiées avec une caméra analogique de grande taille.
Au cours de travaux antérieurs – notamment à l’époque où il était étudiant travaillant sous la direction de Catherine Lord à l’Université de Californie, Irvine – Lipps s’est largement inspiré des thèmes de la sexualité, s’appropriant des images tirées de magazines gays. Au cours de cette période, durant laquelle l’artiste s’est confronté à son identité queer, son utilisation de matériel pornographique est allé de pair avec l’apprentissage de son orientation sexuelle – une éducation secrète tirée de pages de lectures anticonformistes -. Comme dans Untitled (blue) (2004) – une partie de sa série des années 70 – Lipps a construit des mises en scènes qui déplacent littéralement l’objet de la convoitise dans la sphère domestique. Soutenue par de petites chevilles et des bâtonnets de dentifrice, la silhouette érotisée découpée est placée au sommet de draps de lit soulevés, sur un fond bleu nocturne, brouillant ainsi les lignes entre ce qui relève du désirable et du désincarné.
Avec sa participation à l’exposition de groupe Living History II en 2009 à la galerie Marc Selwyn de Los Angeles, et son exposition personnelle intitulée HOME en 2010 à la galerie Jessica Silverman de San Francisco, Lipps a amené l’érotique dans l’univers domestique. Et ce jusqu’à sa série home, dans laquelle une grande photographie baptisée : Untitled (bar) (2008) est prise dans son salon familial. Divisée en carreaux colorés, l’univers domestique est mis en valeur par une forme noire et blanche déchiquetée et soutenue par un morceau de bois. Fidèle à ses racines photographiques, Lipps m’a dit plus tard que cette forme était extraite d’une monographie d’Ansel Adams. Dans toutes les images de la série, les plans disjoints de scènes de l’intérieur familial, juxtaposées à des formes naturelles déplacées, évoquent quelque chose qui rappelle le sens caché de l’ »unheimlich » défini par Freud, soit une « inquiétante étrangeté ». Pour Lipps, le grand inconnu semblerait commencer dans l’univers domestique. Et c’est peut-être un sentiment profond de dislocation/dispersion qui semble avoir influencé la fascination plus récente de l’artiste pour les méthodes de classification des objets et des formes vivantes (taxonomie). En 2010, l’exposition HORIZON / S a pris comme point de départ la publication bimensuelle Horizon disparue depuis (1959-1989). Parmi les photographies présentées dans la série Untitled, figure (Women’s Heads) (2010) ; Lipps organise des sujets féminins découpés, une sélection aléatoire de femmes photographiées sous des angles de pose différents. Dans la même série, figure un panneau de six photographies – Untitled (Archive) (2010). Il s’agit d’un assemblage de découpes utilisées dans la production de natures mortes, se situant à mi-chemin entre les sculptures spécifiques de l’artiste Geoffrey Farmer, et les recherches menées par l’historien de l’art Aby Warburg dans son Atlas Mnémosyne (1927-1929).
Le corpus actuel de Lipps, Library (2013-2014), poursuit son intérêt pour l’utilisation d’images d’archives. Comme pour horizon/s», les séries actuellement produites par Lipps ont débuté avec la découverte d’une publication imprimée, en l’occurrence une série de TimeLife en 17 volumes intitulée The Library of Photography (1970–85). Avec des numéros consacrés à des sujets tels que le photo-journalisme et les enfants, la série visait à présenter un aperçu historique et technique du média. L’intérêt de Lipps pour ces archives, comme il me l’a expliqué, réside dans la façon systématique qu’ont les séries de s’appliquer à l’acte de photographier, et par extension, à la photographie elle-même. Dans Nature (Library) (2013), des découpes noires et blanches de faune et de formations géologiques sont mélangées à des images de caméras analogiques, avec en fond des mains désincarnées. Debout sur des étagères de verre, les découpes sont placées, avec en arrière-plan une photo de cactus, aux couleurs saturées électriques allant du violet au cyan. À bien des égards, les photographies de la série Library rappellent les premiers musées nomades de la fin renaissance. Ces cabinets de curiosités – des pièces ou parfois des meubles dans lesquelles étaient entreposées et exposées des choses rares, nouvelles, singulières – étaient censés symboliser le contrôle de leurs propriétaires sur le monde naturel, annonçant un engouement naissant pour la classification des objets et des choses. Cependant, alors que pour le collectionneur de la Renaissance, les armoires symbolisaient la prédominance d’une règle empirique de l’humanité sur la nature, la série Library de Matt Lipps souligne au contraire la subjectivité qui sous-tend ces revendications d’association universelle. À l’ère du hashtag collectif, dans lequel des images disparates sont regroupées dans un esprit du temps qui leur est commun, Lipps s’appuie sur des récits qui sont sans aucun doute les siens. »- Frieze
Traduction de l’anglais depuis le site www.frieze.com.
→ Pour retrouver le billet original du 9 Juin 2014, cliquez sur le lien ilikethisart.
Si vous êtes surpris par le brièveté de ce billet et son choix : je choisis, régulièrement, des billet issus du blog : ilikethisart.net tenu par Jordan Tate (avec son autorisation), universitaire américain et artiste. Je n’ai jamais trouvé d’équivalent à ce blog qui explore des univers visuels que nous n’avons pas l’habitude de voir en Europe ou trop peu (à mon goût).
Du même artiste, j’aime aussi les photographies suivantes : ↓
F.B.