Cher lecteur, je t’ai délaissé trop souvent ces derniers mois, au profit de l’amélioration du référencement du blog avec pour objectif de le rendre encore plus accessible. Un travail de l’ombre qui m’a demandé du temps et qui explique pourquoi je n’ai pas publié plus de billets…  Je reprends donc un rythme de publication plus soutenu, avec toujours le même objectif : être un “passeur de culture”, à travers l’art contemporain et le design.

La DATAR

Voici une histoire que j’avais envie de vous raconter depuis longtemps. Comment une commande publique de l’État est devenue un événement majeur de la photographie en France dans les années 1980 ? Comment est-elle devenue un modèle pour des missions photographiques à travers la France, et d’autres pays ? Et comment a-t-elle permis à des artistes de perfectionner leur art, en l’occurrence ici des photographes, conférant à leur travail et aux images un véritable statut ?

Nous sommes en 1983, la DATAR (Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à L’attractivité du Territoire), réfléchit à comment saisir un moment singulier dans l’histoire du paysage hexagonal français ? Car, oui, le paysage change à l’image des profondes transformations sociétales en cours : la population française croît, l’exode rural s’amplifie, l’urbanisation du pays s’accélère, la crise marque le début du déclin de l’industrie lourde, l’agriculture se modernise, l’industrie des services et des loisirs se développe… Alors, comment créer une nouvelle représentation du territoire français, quand son paysage évolue lentement, en silence, mais surement ? ↓

Pierre de Fenoÿl, St-Martin (Tarn), 1985, mission DATAR

 

© Robert Doisneau / Série banlieue d’aujourd’hui, dans les banlieues et les villes nouvelles de la région parisienne / Mission photographique de la Datar

Sophie Ristelhueber. Mission photographique de la DATAR. Série « Ouvrages d’art et paysage en montagne ». N 202, entre Barrême et Digne (Alpes-de-Haute-Provence), 1986. Sophie Ristelhueber © ADAGP, Paris 2017. BnF, Estampes et photographie.

La Mission photographique de la DATAR (1984-1988)

Pour répondre à cette question et sortir des cartes et des statistiques, les hauts fonctionnaires de la DATAR confient une mission de représentation du territoire à une quinzaine de photographes – ils seront au final 28 -, soit une véritable mission photographique, débutée en 1984. Elle débute sous la direction de Bernard Lartajet, alors secrétaire général du Fonds interministériel de développement et d’aménagement géré par la DATAR, et de François Hers, artiste et photographe belge. Sur le sujet, on explique que la Mission photographique de la DATAR est un projet qui succède, notamment, à la Mission Héliographique de 1851, commanditée par les Monuments Historiques. En 2002, la MEP (Maison Européenne de la Photographie) a précisément consacré une exposition au sujet en présentant 60 tirages originaux issus de cette aventure, dont le but était de photographier des monuments français avant leur restauration. ↓

Edouard Baldus, Paysage pris du Viaduc de Chantilly, sur la thématique "Patrimoine de Paris", Mission héliographique de 1851

Edouard Baldus, Paysage pris du Viaduc de Chantilly, sur la thématique “Patrimoine de Paris”, Mission héliographique de 1851

 

Cahors, pont de Cabessut, dit pont Neuf, et la ville. Mission héliographique, Gustave Le Gray et/ou Mestral, été 1851

 

Édouard-Denis Baldus, Maison carrée à Nîmes, Mission Héliographique

Ce fut la 1ère commande d’État passée à des photographes, un événement majeur de l’histoire de la photographie en France. Plus proche de nous, l’exposition américaine New Topographics en 1975, sous-titrée “Photographs of a man-altered landscape” (photos d’un paysage modifié par l’homme), avait définitivement fait rentrer la photographie comme une discipline de l’art contemporain. Elle renouvelait la vision de l’Amérique avec une place accordée au quotidien et à l’ordinaire. En 2013, j’avais consacré un billet à la photographe Sophie Ristelhueber, dans lequel j’évoquais l’importance de cette exposition, subjugué notamment par le travail du photographe américain Lewis Baltz (→ Lire Voir la ville par le prisme de l’art contemporain), qui, ce n’est pas une coïncidence, travailla à la mission de la DATAR. 

Photographier LE PAYSAGE, rien que LE PAYSAGE

La DATAR émit des conditions pour cette mission photographique : les clichés de paysages ne devaient pas comprendre ni objets, ni personnes (ou alors a minima). Une volonté affichée de se concentrer sur le paysage, sans parti-pris ou discours suggestif, une neutralité totale, seul le paysage parle… D’ailleurs, les commanditaires du projet insistent aussi pour que les photographes produisent des images « à hauteur d’homme » ; la photographie aérienne et les pratiques du photojournalisme sont formellement prohibées. Pour bien comprendre ce qu’on en tête les hauts fonctionnaires de la DATAR avec ce projet, saisissons les propos de Benard Lartajet :

 La photographie n’est pas pour nous un alibi. Nous ne sommes pas des technocrates frustrés culturellement qui nous faisons plaisir en utilisant un alibi technique pour entretenir une danseuse culturelle.  

Selon lui, l’aménagement du territoire ne peut faire l’impasse sur le développement d’une véritable « culture du paysage », d’une :

conscience collective de la qualité des paysages et des menaces qui pèsent sur eux ↓ 

Série « La ferme du Garet » (Villefranche-sur-Saône), Mission Photographique de la DATAR, 1984 – © Raymond Depardon / Magnum Photos.

 

Série "La ferme du Garet", mission photographique de la DATAR, 1984 Raymond Depardon. © Raymond Depardon / Magnum Photos / DATAR

Série “La ferme du Garet”, mission photographique de la DATAR, 1984 Raymond Depardon. © Raymond Depardon / Magnum Photos / DATAR

 

Gabriele, Basilico, Dieppe, 1984. Mission Photographique de la DATAR

Gabriele, Basilico, Dieppe, 1984. Mission Photographique de la DATAR

Au total, la Mission photographique de la DATAR compile 200.000 prises de vues, les artistes ont sélectionné quelques 2.000 épreuves originales déposées dans des albums à la Bibliothèque Nationale. Une 1ère exposition a eu lieu en 1985 au Palais de Tokyo à Paris, un 1er ouvrage a paru, intitulé : “Carnet d’étapes” sous le titre : “paysages, photographies, travaux en cours – 1984-1985”. En 1989 est sorti un second ouvrage que je conseille fortement (il est lourd certes !) : “Paysages, Photographies, en France les années 80”. Il s’agit plus d’un bilan raisonné de l’expérience. Enfin, en 2017, Les Rencontres d’Arles se sont emparées du sujet avec l’exposition : “Dans l’atelier de la mission photographique de la DATAR – Regards de 15 photographes“, succédant à l’exposition : “Paysages français, 1 aventure photographique, 1984-2017” à La Bibliothèque Nationale. À Arles, l’exposition montre comment l’aventure de la mission photographique de la DATAR fut un élément fondateur dans la carrière de certains photographes. ↓

© Holger Trülzsch, 1984. La porte d'Aix, Marseille. La cité phocéenne photographiée en 1984 par Holger Trülzsch, sculpteur, musicien, peintre, photographe et vidéaste, dans le cadre du programme de la « Mission photographique » de la DATAR.

© Holger Trülzsch, 1984. La porte d’Aix, Marseille. La cité phocéenne photographiée en 1984 par Holger Trülzsch, sculpteur, musicien, peintre, photographe et vidéaste, dans le cadre du programme de la « Mission photographique » de la DATAR

 

Jean-Louis Garnell, Paysage 15, 1986 – Mission photographique de la DATAR © Jean-Louis Garnell

Jean-Louis Garnell, Paysage 15, 1986 – Mission photographique de la DATAR © Jean-Louis Garnell

F.B.